mercredi 17 juin 2015

Happy-end, pas toujours

En ce moment, je donne beaucoup dans le souvenir. En voyant l'autre soir le film de Billy Wilder , Le Poison, avec Ray Milland interprétant le rôle d'un écrivain raté et alcoolique, j'ai repensé à ce garçon qui fréquentait notre communauté lorsque j'avais un peu plus de vingt ans. Il s'appelait Roland, mais se faisait appeler Mam's, comme déjà un premier masque. 

Avant que je le connaisse, il avait fait une école d'ingénieurs à Voiron et réussissait parfaitement. Et puis, du jour au lendemain et sans que personne ne sache pourquoi, il est parti et est devenu alcoolique. Il gravitait autour de notre cercle, principalement quand il avait besoin d'argent, ou d'un toit pour se loger. 

J'ai eu souvent l'occasion de bavarder avec lui et je l'estimais beaucoup. A jeun, il se montrait aimable et très cultivé, particulièrement en littérature où ses connaissances me surprenaient toujours. Mais lorsqu'il avait bu, il devenait agressif et méprisant, nous traitant de cons, nous qui ne connaissions pas, selon lui, la vraie vie. Le lendemain, il était reparti, pour réapparaître quelques mois plus tard.

Lorsque Pierre et moi avons pris un appartement pour nous eux, il aimait y venir, se sentant moins jugé, plus à l'aise que dans la communauté. Le frère de Pierre, qui fréquentait les séances des AA (alcooliques anonymes) lui avait un jour conseillé d'y aller faire un tour. La réaction fut violente : il n'était pas alcoolique, il avait simplement des problèmes de foie.

Nous l'avons  hébergé chez nous pendant environ six mois. Il était intérimaire et touchait son salaire en fin de semaine, le vendredi. Les autres jours, nous lui donnions de quoi payer son bus, ses cigarettes et sa cantine. Mais le week-end, nous ne le voyions plus : il allait boire sa paye dans des bars qu'il disait sélects et où, selon lui, les filles parlaient plusieurs langues. Il nous y emmena un soir : les filles en question n'étaient que de vulgaires entraîneuses qui le mettaient à sec et le jetaient ensuite. 

Nous faisions en sorte de cacher les bouteilles d'alcool. Malgré cela, je me souviens de la bouteille de pastis qui diminuait chaque nuit alors qu'elle se trouvait sur la cheminée de ma chambre. Je ne l'ai jamais entendu se servir. Devant la vanité de nos efforts, nous avons contacté sa sœur qui l'a d'abord pris avec elle puis rapatrié chez ses parents, de riches agriculteurs de Saône et-Loire. Nous croyions tous ainsi lui donner une nouvelle chance de s'en sortir.

Mais la vie n'est pas un film. Le happy-end à l'américaine, il ne l'a pas connu. On a retrouvé un matin sa bicyclette au bord d'un affluent de la Saône, et son corps, quelques temps plus tard, dans cette rivière où le courant l'avait emporté. Nous n'avons jamais su s'il s'agissait d'un accident ou d'un suicide.

6 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

De toutes les façons, un accident ne serait qu'un suicide inconscient...

Cornus a dit…

C'est pas drôle ce soir et ce récit rappelle pas mal d'exemples de problèmes liés à l'alcoolisme plus ou moins proches que je n'évoquerai pas ce soir.

Calyste a dit…

Chroum : je ne m'avancerai pas sur ce terrain-là.

Cornus : pas drôle, non. De plus, à l'époque, on considérait encore(en tout cas pas mal de gens) l'alcoolisme comme un vice.

Unknown a dit…

Sans rapport avec ton texte, mon grand. Un grand Bonjour de berlin à 5 heures du matin,Pétula chante pour moi : https://www.youtube.com/watch?v=uzInX7VbIUA

Cornus a dit…

Beaucoup trop de personnes sont encore à considérer l'alcoolisme comme un "vice" et beaucoup d'alcooliques refusent de se soigner.

Calyste a dit…

Yannick : même lieu, même heure, même passion. Tu n'as pas changé !

Cornus : avec des gens de mon entourage, j'ai fait, pour ma part, un long chemin de compréhension.