dimanche 19 décembre 2010

Hellène

Elle l'était jusqu'au bout de son amour et de ses convictions, de ses combats, Jacqueline de Romilly. Une chaîne de télévision de la TNT a repris ce soir, en hommage, une ancienne émission où elles apparaissent toutes deux, avec Christiane Desroches-Noblecourt, la spécialiste de la Grèce de Périclès et celle de l'Égypte de Ramsès II. Deux grandes figures de femmes, dont une, De Romilly, vient de s'éteindre aujourd'hui. Elle a été la première femme au Collège de France, la deuxième, après Marguerite Yourcenar, à entrer à l'Académie Française.

J'ai peu lu d'elle: Hector, il y a quelques années, qui m'avait enchanté, et Le Trésor des savoirs oubliés qui ne m'a pas accroché et que j'ai arrêté des les premières pages. Étrange, cette gêne que je ressens souvent vis à vis de la civilisation grecque antique et de ses spécialistes. Alors que l'étude de la langue grecque, dès la quatrième, me fascinait, je percevais déjà, derrière la curiosité pour ce savoir nouveau, une sorte d'appréhension désagréable, comme si j'entrais par effraction dans un lieu où je n'avais que faire, comme si l'on allait me tolérer dans ce nouvel univers sans m'y accepter jamais. Une sorte de complexe d'infériorité sans doute, dû à mes origines prolétaires et paysannes (inutile de préciser que personne avant moi, dans ma famille, n'avait déchiffré la moindre lettre grecque!).

Le plus incompréhensible, c'est que je n'ai jamais ressenti ce mal être face à la culture latine, bien au contraire: je me suis glissé dans cette civilisation romaine comme un poisson dans une rivière d'eau fraîche, en goûtant chaque mouvement, chaque humeur, en disséquant chaque possibilité de plaisir. Face aux pays modernes que sont la Grèce et l'Italie d'aujourd'hui, je connais la même dissemblance. Je me sens issu de ces rustres de soldats des légions plus que des apprentis philosophes déambulant sous les portiques athéniens.

Quoi qu'il en soit, je me réconcilie un peu avec la télévision lorsqu'elle n'oublie pas de saluer, même rapidement, même imparfaitement, une grande dame qui quitte la scène.

7 commentaires:

KarregWenn a dit…

Moi je n'ai rien lu d'elle, mais j'en garde un souvenir ému, celui d'un oral qu'elle me fit passer dans un bureau des combles de la Sorbonne, oral où je m'écroulais en larmes, incapable de traduire la moindre phrase. C'était le dernier avant la licence. La honte de ma vie ! Je ne sais pas ce qui m'avait pris ce jour-là. Et la pauvre, elle était bien embêtée. Et plus elle compatissait et essayait de me calmer gentiment, plus je sanglotais. Quelle horreur !
Elle a quitté l'enseignement en fac peu après (pas à cause de moi, hein !)

Calyste a dit…

KarregWenn: En écrivant ce billet, je pensais à toi,imagine-toi, car je me souvenais que tu avais, il n'y a pas très longtemps, fait allusion à ta rencontre avec De Romilly.

Cornus a dit…

Quand la télévision honnore l'inutile que sont le grec ou la physique fondamentale, elle ne fait que son boulot. Malheureusement, son boulot, elle ne le fait qu'exceptionnellement.

Calyste a dit…

Inutile! Le grec! Vous m'en rendrez raison, manant! ;-)

zeus_antares a dit…

Pas plus helléniste que latiniste, j'ai été plus fasciné à l'école et au lycée par les apprentis philosophe que les rustres légionnaires! :-) Et davantage encore par les penseurs de la nature qu'on qualifie de façon inappropriée "présocratiques". Thalès, Anaxagore, Anaximène, Démocrite et Aristarque me fascinent pour avoir osé si tôt jeter les dieux aux orties et proposer une explication rationnelle du monde. Dommage qu'il n'y ai eu que le seul mais inspiré Lucrèce pour leur succéder dans le monde romain...

Calyste a dit…

Bien sûr, Zeus, mais c'est justement ce côté intellectuel qui m'effrayait un peu quand j'étais enfant.

Lancelot a dit…

Pour moi, Jacqueline de Romilly, c'est surtout un extrait d'une oeuvre d'elle que l'on m'avait donné, à traduire en anglais, en épreuve de thème en 2° année. Une description de la montagne Sainte Victoire. C'était hyper-difficile, et, certain de m'être planté, j'étais stupéfait d'avoir décroché un 13 miraculeux... ah, les souvenirs d'étudiant...