lundi 29 novembre 2010

Matthieu

Matthieu est passé au collège pendant que j'étais en arrêt maladie. Matthieu m'a laissé un mot dans mon casier, en salle des professeurs: " Je suis passé pour vous voir, mais vous n'étiez pas là. Je repasserai bientôt."

Rien que de très banal, des mots simples, que n'importe qui peut dire ou écrire à n'importe qui. Mais Matthieu, ce n'est pas n'importe qui. Quand je l'ai eu la première fois, en sixième, je l'ai tout de suite remarqué: il me faisait penser, je ne sais pas pourquoi, à Poil de carotte, la rousseur moins agressive. Un chat maigre, craintif et peu intéressé par ce qui se passait en classe. Un qui se considérait une bonne fois pour toutes comme un cancre et qui n'avait pas l'intention de faire le moindre effort pour prouver aux autres et à lui-même qu'il pouvait en être autrement.

Au début, ça n'a pas été du tout cuit. Comme il était déjà grand, il a essayé la pitrerie pour se mettre en valeur. Avec moi, il restait relativement calme mais je savais par mes collègues que ce n'était pas le cas à tous les cours des autres matières. De plus, parfois, il prenait la mouche suite à une remarque et pouvait fort bien envoyer paître le professeur. Cerise sur le gâteau: Monsieur détestait lire.

Comment ai-je fait pour me le mettre dans la poche? Je ne sais pas. Sans doute avais-je une attitude, un humour, une façon de faire qui ne correspondaient pas à son image stéréotypée du prof lambda. Quand j'ai vu sa mère, lors d'une réunion, elle m'a avoué être ravie de ce qui était en train de se passer. Enfin, son fils traînait moins la patte pour aller à l'école et, ô merveille, elle avait même trouvé des livres dans sa chambre.

Car le petit, quand je l'ai retrouvé en cinquième pour une deuxième année ensemble, aimait lire. Aimer, c'est peu dire, car il s'était mis à dévorer, me demandant parfois ce que je pensais de ce qu'il avait choisi. Parallèlement, il avait acquis à la fois une sorte de calme intérieur et une stature d'adolescent posé. Je le reconnaissais à peine. Ses camarades ne s'y sont pas trompés, qui l'ont élu délégué de classe sans hésitation. Au conseil de classe, j'ai eu ainsi l'occasion de vérifier quel chemin hallucinant ce garçon avait parcouru.

Mais il avait visiblement décidé de surprendre tout le monde encore bien davantage. L'année suivante, il fut élu comme l'un des deux représentants des élèves au Conseil de Collège, regroupant des professeurs, des parents et des membres de l'équipe de direction. Sur le plan scolaire, je l'aimais beaucoup aussi: il réussissait moyennement, juste assez pour ne pas être bloqué en fin d'année. En fait, il approfondissait uniquement ce qui l'intéressait vraiment, ce qui m'a toujours paru une preuve d'intelligence, même s'il me faut souvent cacher ce sentiment aux élèves et peut-être encore davantage aux collègues.

Matthieu est ensuite parti au lycée. Je ne l'ai pas revu. Il y a combien de temps? Je ne sais pas, pas mal d'années déjà. J'aurai bien voulu être là lors de sa dernière visite car le devenir de ce gamin m'intéresse. Issu d'un milieu ouvrier, élevé par sa mère, il avait tout pour passer à côté de la grande maison de L'Éducation Nationale qui, si elle ouvre tout grand ses portes à tous, s'empresse d'en refermer la plupart par crainte des courants d'air. Et puis, je crois que, quelque part, je suis un peu, dans une infime mesure, responsable de son évolution. Ce que j'écris là semblera sans doute prétentieux mais ça ne l'est pas: je suis simplement très heureux pour ce garçon et très fier d'avoir apporté ma contribution, si minime soit-elle à l'édifice. S'il revient, je vous tiens au courant.

5 commentaires:

Valérie de Haute Savoie a dit…

Je me reconnais dans ce Mathieu mis à part la lecture qui toujours m'a sauvée. Et j'ai eu deux professeurs qui m'ont permis de surnager parce qu'ils avaient su passer au delà de mes provocations.

(tiens rien à voir mais je dois taper "hansi" qui est une des figures alsaciennes incontournables :D

Lancelot a dit…

Quand je suis arrivé vers la fin de la note, j'ai eu pendant une demi-seconde la certitude qu'il était revenu en tant que prof ! Pourquoi pas ? Mais j'avais mal lu le début. Certes certes...

Une preuve d'intelligence, approfondir uniquement ce qui nous intéresse vraiment ...? Mouais... Ca se discute, comme dirait Jean-Luc Delarue. Dans un contexte extra-scolaire, ça paraît tomber sous le sens. Je ne ferai pas ici, en bon prof bien formaté, l'apologie du "on se hisse vers le haut uniquement quand on en chie, au prix d'efforts acharnés". Mais, simplement, il m'est arrivé de me découvrir des intérêts déments pour certaines oeuvres, certaines matières, APRES être passé par la phase de répulsion primitive, et de l'effort d'approfondissement qui coûte. Pas très souvent, mais quand même.

Ne surtout pas sous-entendre par là que je me considère comme intelligent. :)

Voyelle et Consonne a dit…

J'aime de plus en plus me retrouver dans ton blog (ce qui est un peu prétentieux dans le cas de ce billet, je l'avoue...). Quel merveilleux boulot, pas vrai? Usant, énervant, frustrant, parfois décourageant (et rassure-toi, de l'autre côté de la frontière, l'institution n'est pas plus aimable) mais que d'échanges, de rencontres, de changements. A garder en mémoire pour les jours creux et les périodes de grands doutes (ou, dans mon cas, à consommer sur place...).

Cornus a dit…

Très intéressant cette histoire. Et je me disais qu'il y a peut-être pas mal de gamins qui sont dans une situation un peu analogue.
Il est essentiel que les gamins (ou les moins gamins) se découvrent des passions ou des centres d'intérêt car avec ça, ils vont soulever des montagnes. Le problème, c'est qu'ils aient l'occasion de faire les bonnes rencontres avec une discipline, une oeuvre ou une personne. Et cette occasion, ils n'ont pas toujours la possibilité de la trouver et c'est peut-être ça le plus terrible.
Je me doute bien combien cela t'aurait fait plaisir de le revoir et pareil pour lui. Mais il va repasser...

Calyste a dit…

Hansi! Oui, je connais, Valérie! moi, un seul prof m'a marqué, mais ô combien!

C'est bien ce que je disais, Lancelot: ne surtout pas avouer ça à des collègues!

Merci, VEC. Tu as raison pour l'intérêt que l'on peut prendre à ce travail si particulier. Mais j'avoue qu'aujourd'hui, il me tarde presque d'en voir le bout: j'ai perdu le feu sacré, je crois.

Ce qui me dérange le plus dans l'histoire, c'est que le destin d'un gamin soit à ce point dépendant des rencontres qu'il fera. Mais sans doute, sûrement, est-ce le cas de tout le monde!