mercredi 10 novembre 2010

Tous sont passés dans mes mains

Encore un, cet après-midi! Combien y en a-t-il eu dans le passé? Combien y en aura-t-il encore avant que tout s'arrête? Des centaines, déjà, sans doute, avec qui j'ai passé un moment, quelques heures avant de les oublier, même s'ils m'ont intéressé, même si, parfois, ils m'ont fait rire. D'autres étaient insignifiants ou stupides et pourtant il a bien fallu que je m'en occupe aussi. Activité répétitive et souvent stérile dont je savais qu'elle ne menait nulle part une fois la dernière page tournée.


Je parle bien sûr de tous les paquets de copies que j'ai corrigés dans ma carrière d'enseignant! A quoi pensiez-vous donc? Combien de milliers de pages ai-je couverts de rouge, soulignant les fautes d'orthographe, encadrant les constructions de phrases incorrectes, donnant des conseils, éructant parfois l'indignation. Encore un cet après-midi, et pas le pire d'ailleurs. Le sujet? Un chevalier, pour obtenir l'amour de sa dame, doit délivrer le frère de celle-ci, prisonnier dans un lointain château. En traversant la forêt pour s'y rendre, le chevalier va affronter un monstre redoutable que, bien sûr, au final, il parviendra à vaincre.

L'ensemble n'était pas mauvais et les consignes assez bien respectées. J'ai même pu me rendre compte, à mon plus grand plaisir (et peut-être aussi un peu de surprise), que je n'avais pas pour rien passé des heures à leur parler de la littérature courtoise et qu'il avait bien lu et compris Le Chevalier au Lion. Un moment assez agréable donc, émaillé par ci par là de quelques tournures de style de leur part assez "drolatiques". En voici quelques-unes que je me permets de transcrire ici, sachant que j'ai déjà prouvé par ailleurs que je n'appartenais pas à cette race d'enseignants qui, par mépris, rient de fautes de leurs élèves qui devraient, au contraire, les faire réfléchir sur leur propre capacité à transmettre des savoirs.

" Il prit son armure et son écu en peau de scorpion." (Travail interdisciplinaire possible, avec les mathématiques: combien de scorpions faut-il pour faire un écu de chevalier du Moyen-Age, sachant que.... ?)

" En armure, le chevalier l'évita en faisant une roulade sur le côté droit." ( Lui, il regarde trop les films américains!)

" Il pénétra dans une sombre forêt ornée d'arbres morts." (Chacun ses goûts!)

" Il s'approcha et faillit échapper un cri." (Ça tache moins que d'échapper le pot de sauce vinaigrette!)

et la meilleure, de loin, à mon goût:

" Sa sœur bien-aimée, Ludièvre, est courtoisée par le preux chevalier Rovain." ( Il doit être bien petit, le chevalier, pour la court-toiser!)

Mais, il y a des années, au début de ma carrière, j'en ai rencontré deux que je n'ai jamais oubliées:

-A propos d'un mariage religieux où le prêtre se fait attendre alors que tout le monde est arrivé: "L'église était pleine. Sa future épouse était assise. Le fiancé fit deux ou trois va-et-vient dans celle-ci."

- A propos de La Parure, de Maupassant, lorsque Madame Loisel se rend compte, en rentrant d'une soirée, qu'elle a égaré la parure de diamants que lui a prêtée Madame Forestier et qu'elle croit d'une grande valeur marchande: "Elle mit la main sur sa poitrine et, s'apercevant qu'elle ne l'avait plus, elle la chercha par terre."

Charmants bambins!

8 commentaires:

KarregWenn a dit…

Oh les deux dernières sont des merveilles !
Au fond on peut considérer que toutes ces perles sont des cadeaux (involontaires mais précieux) que les élèves font aux profs pour les aider à surmonter la lassitude des corrections ?

Calyste a dit…

C'est exactement ça, Karregwenn! D'ailleurs, inconsciemment, en corrigeant, je suis toujours à leur recherche, et un peu déçu si je n'en ai pas trouvé! Les deux dernières datent des années soixante-dix et me font toujours autant rire!

Cornus a dit…

Mais moi, à ton élève, je ne lui mettrai pas la moyenne en sciences naturelles (on dit SVT maintenant ?).
A part nous autres, a-t-on déjà vu un scorpion avec une peau ? Tout au plus, pourrait-on à la rigueur parler de tégument, mais plus judicieusement d'exosquelette. Bon je rigole bien sûr...
Mais je mets une bonne note à "forêt ornée d'arbres morts" car une forêt mature à haut niveau de naturalité se caractérise par une forte proportion d'arbres morts sur pied à à terre. Cette quantité de bois mort est même un critère d'évaluation de l'état de conservation des écosystèmes forestiers.

Lancelot a dit…

...et une fois que le chevalier eut délivré le frère, il s'aperçut qu'en fin de compte, sa soeur était bien moins attirante, et ils s'enfuirent tous deux ensemble, et ils vécurent heureux et n'eurent absolument aucun enfant...

Quoi qu'en dise Messire Cornus, un écu en peau de scorpion, moi je trouve ça génialement poétique. 'Exosquelette', tsst ! Quant aux mesquines considérations sur la quantité de scorpions nécessaires pour confectionner un écu, quelle importance ? Dans ce monde-là, tout est possible...

Voyelle et Consonne a dit…

Corriger, que je le veuille ou non, fait aussi partie de mon quotidien. Même si mes élèves ont, globalement, un niveau qui rend leurs travaux intéressants à lire, c'est à chaque fois un combat pour m'y mettre.
Rien à voir (et pour sortir un peu des corrections): je vous ai tagué ici: http://voyelleetconsonne.blogspot.com/2010/11/tag-ta-gueule-la-recre.html

christophe a dit…

C'est très charmant !

karagar a dit…

Je n'arrive plus à me rappeler des belles perles de ce genre, dommage. C'est vrai que je ne corrige qu'une fois l'an, donc l'occasion en est rare...

Calyste a dit…

N'oublie pas, Cornus, qu'il ne s'agit pas d'un devoir scientifique, mais d'une simple réaction où la "licence poétique" est permise...

Et la princesse devint une abominable mégère qui, une fois au pouvoir, se fit un point d'honneur de pourrir la vie à tous les hommes qui la croisèrent. Dis-donc, Lancelot, ça nous change pas mal du conte traditionnel, mais ça pourrait être drôle, le Prince et le Chevalier.

J'ai rendu ma copie, Voyelle et Consonne, en espérant pouvoir compter sur votre indulgence...

Isn't it, Christophe!

Corriger une fois l'an. Tu me fais mal de me dire ça, à moi, Karagar!