mardi 8 juin 2010

Aimable

Quand je suis entré dans la salle des professeurs, ce matin, la responsable des cinquièmes était en train d'écrire une annonce sur le tableau d'affichage: une élève du niveau était exclue définitivement du collège.

Ce n'est pas la première fois, mais cette élève-là, je la connais: je l'ai eu cette année en latin. Une fille intelligente et vive, souriante et provocatrice avec ceux qu'elle apprécie (et dont j'ai eu la chance de faire partie), agressive et incontrôlable avec ceux qu'elle n'aime pas. J'ai tenté toute l'année de ne pas trop briser le fragile lien qu'elle avait avec moi, comme deux ou trois autres professeurs l'ont fait également. Ne jamais la brusquer, ne jamais y aller dans le mauvais sens du poil, être ferme sans être rigide. C'était parfois difficile car, certains jours, elle n'était vraiment pas bien. Quelques bruits de couloir laissent entendre qu'elle aurait fait une tentative de suicide ces derniers temps.

Son malaise lui vient de loin: son père n'a jamais accepté de la reconnaître et les a abandonnées, elle et sa mère. Plus tard, sa mère s'est suicidée et personne n'a voulu de cette petite fille, à part une tante qui l'a recueillie sans trop en connaître le mode d'emploi et qui a fait ce qu'elle a pu pour rendre cette enfant heureuse. Peine perdue. Et aujourd'hui, c'est nous qui la renvoyons.

Je ne suis pas en train de hurler au scandale, je crois qu'il n'y avait guère d'autre solution. Mais, malgré tout, je considère toujours que le départ d'un élève dans ces conditions est un échec, non pas seulement personnel, mais du collège et surtout de l'institution. Même si la solution à son mal être est sans doute chez un psychiatre ou un psychologue, que pouvons-nous, nous les enseignants, apporter à ce genre d'adolescents? Que faire pour que certains collègues ne se comportent plus, face à de semblables situations, comme des êtres pervers et psychorigides, uniquement soucieux d'asseoir leur autorité sans se soucier vraiment de savoir sur quoi ils se sont assis.

Pour Isa, je vois deux pistes d'avenir: ou elle réitère sa tentative de se supprimer et y parvient, et alors, à part la brave tante, il n'y aura pas grand monde pour la regretter, ou alors elle est forte, suffisamment forte pour passer outre en s'endurcissant encore un peu et j'espère que, parvenue à l'âge adulte, elle n'aura pas le cœur trop réfractaire aux autres, à ces autres parmi lesquels, certainement, il s'en trouvera un pour l'aimer. Car elle est aimable, Isa.

2 commentaires:

Cornus a dit…

C'est abominable ce que tu nous contes là. De tels faits, de telles histoires tragiques, sans être fréquents, ne sont malheureusement pas aussi rares qu'on le croit. Aucune histoire n'est vraiment semblable à une autre, mais ce que je ressens comme particulièrement violent, c'est que certaines circonstances conduisent irrémédiablement au sacrifice de certains enfants. Des sacrifices parfois perpétrés sur l'autel d'une justice qui perd les pédales ou d'institutions inhumaines. Bien sûr, j'ai à l'esprit des cas concrets que m'a rapporté Fromfrom et devant lesquels l'école (et les enseignants, même s'il en existe qui n'ont pas ta sensibilité, ton intelligence) est souvent désarmée.
Souhaitons à cette Isa qu'elle fasse désormais que de bonnes rencontres.

Calyste a dit…

Sacrifice, c'est le mot, Cornus, au nom du bien commun! Ce soir, je suis un peu écœuré de tout ça!