Anna, Donna Anna, était de ces femmes obéies même si sa parole impétueuse et ses yeux pétillants faisaient souvent oublier son poste tutélaire. Du mari, je ne sus jamais rien. Notre hôtesse, une fois, nous présenta une de ses nombreuses filles qui dessinait et créait des bijoux fantaisie que nous n'achetâmes pas. Elle n'insista pas et continua, à chacun de mes séjours, à me réserver une petite fiasque de ce merveilleux vin blanc des Monts Albains, dans ce territoire des Castelli Romani où les consuls antiques venaient chaque année offrir un sacrifice à Jupiter Latiaris lors des féries latines. L'homme d'abord ! Elle attendait que mes collègues se soient retirées dans leur chambre pour me le sortir, bien frais, de son réfrigérateur. Anna, ma mère latine.
Sur le Palatin, avec Pierre, je fis aussi une rencontre surprenante dont j'ai déjà parlé : un couple de vieillards nourrissant les chats qui y prospéraient et dont chacun, à leur initiative, portait un nom d'empereur. Son mari avait longtemps tenu une chaire universitaire scientifique dans une importante université des Etats-Unis. Elle, fine et discrète, était peintre. Le soir, après un long périple dans le centre historique (c'est ce jour-là que je découvris le Forum Boarium), elle nous invita chez eux, un appartement près de San Clemente qu'elle avait décoré de ses fresques évoquant la campagne romaine, à l'ancienne, avec aqueducs, cyprès, tombeaux à l'ombre desquels paissaient de tranquilles moutons et les si apaisant pins parasols. Nous repartîmes avec, dédicacé, un ouvrage de Jacques Maritain perdu aujourd'hui dans mon fatras de livres poussiéreux.
Lorsqu'un jour, nous logeâmes à Pompéi,ce fut dans un de ces palazzi décrépits dont l'heure de gloire était depuis longtemps passée. Celui-ci était devenu une albergo pour touristes peu fortunés et groupe d'adolescents en attente de la découverte de la cité ruinée. Mais quelle dignité chez la logeuse ! Lorsque nous arrivâmes, elle nous attendait derrière son bureau, tout au fond de ce que je nommerais ici le narthex tant nous eûmes l'impression de pénétrer dans un autre monde, celui du sacré, comme un cadeau que l'on nous offrait. Tout au long de ce vestibule, de chaque côté, un parfait alignement de soubrettes, jupes noires, petit tablier blanc et coiffe immaculée que je m'attendais à voir faire la révérence mais qui s'en tinrent à une inclination respectueuse de tête. La Donna ne se leva pas (j'appris plus tard que ses jambes enflées la rendait impotente) mais s'adressa directement à moi (l'homme encore !) dans un italien d'une fluidité parfaite où ne traînait, si loin de Florence, aucune sorte d'accent et que la politesse rendait presque précieux. J'eus droit à la plus grande chambre, ce qui me fit,ensuite, oublier la rusticité un peu fruste de ses paniers-repas.
Ces femmes sont sans doute mortes aujourd'hui , moi-même je dois avoir leur âge. Elles restent dans mon esprit, bienveillantes, éternelles, sacrées.
3 commentaires:
Belles évocations. L'Homme d'abord : on le constate encore de temps en temps en France, mais de manière atténuée (heureusement, mais quand même).
Cornus : dans ma famille, quand j'étais gamin, je n'ai jamais connu ça.
Calyste> Dans ma famille non plus, loin s'en faut.
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