Autre rencontre

Alors que je m'apprêtais à sortir du cimetière après avoir nettoyé la tombe de Pierre (un crève-cœur d'arracher tous ces coquelicots mais ils sont trop envahissants !), je suis abordé par une très vieille dame, petite et fluette, qui, elle aussi, a bien chaud. Elle a perdu son mari de 97 ans (elle, elle en a 95) et vient tous les jours se recueillir sur sa tombe. 

Il lui fallut peu de temps pour me raconter toute l'histoire.  Alors qu'elle ne pouvait se rendre dans l'établissement où il était hospitalisé pour cause de pandémie, au téléphone il se plaignait constamment d'avoir soif. C'est sans doute en cherchant à avoir un peu d'eau qu'il est tombé de son lit à 19h. On l'a retrouvé seulement le lendemain matin à 7h. Il a passé toute la nuit à terre et est mort à 7h30, malgré l'intervention du Samu. 

Sa fille ne veut pas qu'elle se rende maintenant dans cet établissement pour leur dire ce qu'elle pense de leur façon d'agir. Détail à ne pas oublier : il y avait seulement deux personnes pour s'occuper de cinq étages de chambres. Elle était encore hors d'elle ! Elle me dit aussi être d'origine alsacienne et ne jamais avoir eu peur des nazis pendant la guerre. "Alors, ce n'est pas aujourd'hui ...". Je l'ai conforté dans sa volonté de vider sa rancune, et lui ai aussi conseillé de ne pas venir au cimetière quand il fait aussi chaud. Je ne suis pas sûr qu'elle suivra ce dernier conseil ....

Je l'ai vue partir vers l'arrêt du tram, droite et vive, pour regagner sa solitude.