mercredi 30 juin 2021

Amours transalpines (4)

Nous habitions sur les hauteurs de Lucca, à Celle di Puccini, un peu en contrebas du village. La route qui y menait m'évoquait l'Auvergne plus que la Toscane : ici, pas de collines harmonieuses ni de cyprès mais des forêts d'arbres bourrus et probablement centenaires s'accrochant à la pente. La vigne d'autrefois avait disparu autour de la maison. Nous étions ailleurs, sentiment renforcé, à l'intérieur,  par l'étrangeté des pièces que reliaient trois ou quatre marches usées par les pas. L'antre d'une artiste qui nous l'avait loué et dont nous fîmes plus tard la connaissance. Les soirées étaient fraîches sur la terrasse où nous fumions notre dernière cigarette, Frédéric et moi. Nous y prenions soin des plantes de l'hôtesse en voyage en Allemagne. Le serpent aux couleurs vives que nous vîmes un matin fut le seul être vivant qui nous rendit visite. Et, silhouettes nocturnes, quelques scorpions que nous n'épargnâmes pas. 

Un jour, alors que nous revenions de Sienne, Frédéric me fit connaître San Galgano et les ruines de son abbaye où fut tournée la scène finale du Repos du guerrier (1962), de Roger Vadim. L'après-midi touchait à sa fin, la chaleur baissait, le ciel adoucissait son azur. Nous avions garé la voiture devant une bicoque dont la platitude jurait avec la beauté des ruines qui lui faisaient face mais où la tenancière, tout aussi simple que sa boutique, nous servirait, avant notre départ, une boisson fraîche à souhait. Nous étions les seuls clients.

Je me souviens de la longue allée menant à l'abbaye, bordée d'arbres rectilignes et où se poursuivaient, là aussi, une bande d'oiseaux excités. Je m'étais arrêté, moins fasciné par ce que j'allais voir que par ce que je ressentais à ce moment : une sérénité sans âge, un bonheur discret qui m'envahit soudain et dont je n'essayais pas de comprendre la cause. Frédéric ressentit-il la même tranquillité  au même moment ? Il m'embrassa doucement avant que nous ne reprenions notre chemin. 

Dans les ruines aussi nichaient des oiseaux .... 

J'ai eu, dans ma vie, quelques émotions de cette sorte, et toutes en Italie, à des moments inattendus, devant des spectacles pourtant totalement différents : à Venise, à Capri, à Volterra, dans un musée romain ... Jamais ailleurs, même face à des merveilles.

6 commentaires:

Jérôme a dit…

c'est un très beau billet, tellement vibrant

Cornus a dit…

Je le trouve très bien cet épisode et plus littéraire que les précédents.

Anonyme a dit…

Beaucoup d'émotions ressenties dans cette série...

Bleck

Calyste a dit…

Jérôme : merci que tu vibres comme moi.

Cornus : effectivement, par rapport à d'autres billets où j'ai déjà évoqué tout cela, j'essaie ici de mieux écrire.

Bleck : c'est vrai. Elles sont toujours présentes quelques années après.

Anonyme a dit…

Et la musique de Michel MAGNE (reprise par Frida BOCCARA dans 100 000 chansons) et BARDOT et HOSSEIN sublimes.... Nigaud....

Calyste a dit…

Anonyme (qui ne l'est pas tant que ça !) : ça, c'était entre les lignes ...