mercredi 17 février 2021

La Rose et le Réséda

« La Rose et le Réséda » 

 À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Tous deux adoraient la belle 

Prisonnière des soldats 

Lequel montait à l'échelle 

Et lequel guettait en bas 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Qu'importe comment s'appelle 

Cette clarté sur leur pas Que l'un fût de la chapelle

Et l'autre s'y dérobât 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Tous les deux étaient fidèles 

Des lèvres du cœur des bras 

Et tous les deux disaient qu'elle 

Vive et qui vivra verra 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Quand les blés sont sous la grêle 

Fou qui fait le délicat 

Fou qui songe à ses querelles 

Au cœur du commun combat 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Du haut de la citadelle La sentinelle tira 

Par deux fois et l'un chancelle 

L'autre tombe qui mourra 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Ils sont en prison Lequel 

A le plus triste grabat 

Lequel plus que l'autre gèle 

Lequel préfère les rats 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Un rebelle est un rebelle 

Nos sanglots font un seul glas 

Et quand vient l'aube cruelle 

Passent de vie à trépas

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Répétant le nom de celle 

Qu'aucun des deux ne trompa 

Et leur sang rouge ruisselle 

Même couleur même éclat 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

Il coule il coule il se mêle 

A la terre qu'il aima 

Pour qu'à la saison nouvelle 

Mûrisse un raisin muscat 

Celui qui croyait au ciel 

Celui qui n'y croyait pas 

L'un court et l'autre a des ailes 

De Bretagne ou du Jura 

Et framboise ou mirabelle 

Le grillon rechantera 

Dites flûte ou violoncelle 

Le double amour qui brûla 

L'alouette et l'hirondelle.

La rose et le réséda 

Louis Aragon, « La Rose et le Réséda », mars 1943.

4 commentaires:

Cornus a dit…

Oui oui oui.

Calyste a dit…

Cornus : comme quoi Aragon n'était pas (toujours) sectaire !

Cornus a dit…

Calyste> J'avoue que je ne connais que sa poésie et que via les chansons de Ferrat, Ferré et de quelques autres, mais je connais son parcours dans son ensemble.

Calyste a dit…

Cornus : franchement, ses romans me sont lourds. Je me demande même si j'en ai jamais fini un.