mardi 6 janvier 2015

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Curieux comme c'est l'image de mon père qui me revient le plus en ce moment. Mon deuxième père, le vrai finalement. La cicatrice de la mort de ma mère est peut-être encore trop saillante.

J'ai souvent l'impression d'être passé à côté de lui, je veux dire de ce qu'il était réellement. Je l'ai dit : enfant, je ne l'appréciais pas. J'allais dire "je ne l'aimais pas" mais c'est faux. Je le  voyais comme un homme impressionnant, tout dans ce qu'il paraissait, sans tendresse, sans mots. Un fou de travail qui n'avait pas de temps à perdre avec des futilités.

Il m'a fallu très longtemps pour m'apercevoir que je me trompais. Des indices d'abord, alors qu'il vieillissait, puis ses paroles, à moi destinées, sur son lit d'hôpital. Il devait avoir vingt-quatre ans lorsqu'il a épousé ma mère. Elle en avait déjà trente et un. C'était un gamin qui se retrouvait père d'un gamin qu'il n'avait pas eu. Cette phrase qui m'a glacé, dans les derniers jours de sa vie, lorsque je le remerciais de m'avoir élevé, de m'avoir accepté et qu'il m'a répondu : "J'ai fait mon devoir", cette phrase, je la comprends aujourd'hui. Je comprends qu'elle ne voulait pas dire le désamour.

Lorsqu'il était enfant et que quelqu'un venait rendre visite à ma grand-mère, il se cachait dans l'escalier qui montait au grenier et y attendait que les visiteurs soient partis. Lorsqu'il voulait s'isoler, plus tard, il s'enfermait dans sa serre, sourd, invisible à tous. Il avait besoin de ses moments de solitude où il pouvait se décharger de toutes les contraintes qu'on lui avait imposées et qu'il avait acceptées.  Suis-je si différent de lui aujourd'hui ?

J'ai souvent l'impression d'être ridicule, à plus de soixante-deux ans, de ressasser toujours les mêmes questions sur la paternité. Aux portes du dernier âge, qu'est-ce que cela peut bien faire, quelle importance cela peut-il avoir ? Il n'est plus temps de trouver des réponses. Et qu'en ferais-je d'ailleurs, puisque ce sont les questions qui me tiennent droit ?

5 commentaires:

renepaulhenry a dit…

Difficile d'être père en tout cas...
Je ne sais pas quel père je suis, comment je suis ressenti de la base.
Il faut transmettre des savoirs, des règles, de la tendresse. Deux phases en gros: quand ils sont à la maison et quand ils sont partis. En plus j'étais divorcé et je ne les voyais pas souvent. Je pense m'en être plutôt bien tiré, mais je n'ai pas eu de retour pour savoir...
Je me sens beaucoup plus à l'aise avec mes petits enfants. Le rôle est plus simple. Papy gâteau et hop, le tour est joué...

C'est bien que tu te poses ces questions. Et même si tu n'as pas de réponse...

plumequivole a dit…

Je ne trouve pas du tout ridicule de se poser encore ces questions à nos âges, et pour cause, j'en suis au même point ! Plus jeune j'étais plutôt à propos de mes 2 parents dans la tonalité ressentiment et/ou indifférence et distance, maintenant je cherche à comprendre, assez paisiblement d'ailleurs. Peut-être bien justement que la soixantaine est le bon moment ?

André a dit…

Tu écris que ces questions te tiennent droit. Peut-être que des amorces de réponse t'apporteraient un beau cadeau: plus de souplesse. C'est vital à ton âge et encore plus au mien.

Cornus a dit…

Certainement pas ridicule. Bien au contraire, c'est extrêmement touchant et cela montre qu'il n'est pas aisé d'être un fils et d'être un père, que ce soit par le sang ou par autre chose. J'imagine que les enfants et les parents se parlent un peu plus aujourd'hui qu'ils ne le faisaient auparavant, par pudeur ou pour je ne sais quelles raisons. L'amour parental, l'amour filial prend des formes parfois non conventionnelles et non visibles, parfois maladroites qu'on peine à décrypter. Je me suis moi-même cru obligé voilà quelques années d'écrire à mes parents combien je les aimais car je ne l'avais sans doute jamais dit suffisamment ouvertement. Du moins, c'est ce que je croyais, car c'était visiblement une évidence pour eux. Je pense néanmoins que même les évidences méritent d'être confirmées régulièrement.
Je mesure combien tes parents, ta mère doivent te manquer. Bises chaleureuses à toi.

Calyste a dit…

RPH : les grands-parents sont effectivement essentiels. Je ne serais pas celui qui je suis sans mes grand-mères (je n'ai pas connu mes grands-pères).

Plume : en écrivant ce billet, je pensais à toi, curieusement.

André : ma souplesse, justement, c'est d'accepter de ne pas avoir de réponses, ce qui n'a pas toujours été le cas plus jeune.

Cornus : oui, des formes non conventionnelles et peu visibles. Mais, comme tu le suggères, il serait parfois bon d'en dire un peu plus. Merci à toi.