mercredi 4 août 2010

La Porte des Enfers

Laurent Gaudé est un auteur dont, en général, j'apprécie les romans. Je viens de découvrir (ou de redécouvrir si je l'avais oublié) qu'il n'a que trente-huit ans. Je dis "que" car il me semble à chacune de mes lectures qu'il est proche souvent des classiques, en passe lui-même d'un devenir un.

La Porte des Enfers ne m'a pas déçu non plus, bien au contraire, même si mon préféré de cet auteur reste celui qui me l'a fait découvrir: La Mort du roi Tsongor. Dans ce roman évoquant déjà dans son titre toute une mythologie côtoyée au cours de mes études de Lettres Classiques, il y aborde de façon originale et en même temps parfaitement classique, comme je viens de le dire, le thème de la mort d'un être cher que l'on va chercher aux Enfers pour le ramener à la lumière de la vie. Ici, c'est un père qui fait le voyage pour retrouver son fils tué par hasard à six ans dans un règlement de compte entre bandes mafieuses rivales.

Le décor du drame, bien sûr, c'est Naples, la ville de la mort par excellence, à l'ombre du Vésuve, qui la cache derrière une exubérance trompeuse. Le Porte à emprunter est ici, dans la ville, et c'est un groupe d'"éclopés" qui décidera d'envoyer deux d'entre eux explorer les Ténèbres. Ces éclopés, ce sont Garibaldo, le patron d'un petit bar qui sait préparer un café pour chaque occasion, Don Mazerotti, le vieux curé barricadé dans son église, en rupture avec Rome, et qui a creusé un souterrain pour s'échapper jusqu'au café d'en face, le professeur Provolone, grand érudit qui ne déteste pas à l'occasion se faire rosser nu par des voyous du port. Il y a aussi Grâce, le travesti et prostitué noir au grand cœur et Matteo, le chauffeur de taxi que la mort de son fils a privé de toute raison d'exister.

Belle écriture, avec des réminiscences antiques suffisamment fines pour qu'elle ne pèsent pas, personnages archétypiques à l'existence desquels on peut cependant croire. Ce livre est, pour moi, une réussite, voyage alliant la réalité napolitaine contemporaine et les mythes de cette Italie du sud pétrie de culture hellénique.

"Vous vous demandez pourquoi je fais cela... n'est-ce pas?... J'imagine que oui... Vous vous souvenez de la conversation que nous avions eue la dernière fois...? La mort qui se loge en nous... l'impression d'être une ombre parfois... oui, exactement cela...une ombre.... sans vie... Dans des instants-là, voyez-vous, quand ils frappent et rient avec sauvagerie, lorsque je sens leurs muscles joyeux sur moi... je vis. C'est étrange à dire. Mais je vous assure. Je me sens, oui, je ne sais pas le dire autrement... précieusement en vie.
(...) La société d'aujourd'hui, rationaliste et sèche, ne jure que par l'imperméabilité de toute frontière mais il n'y a rien de plus faux... On n'est pas mort ou vivant. En aucune manière... C'est infiniment plus compliqué. Tout se confond et se superpose... Les Anciens le savaient... Le monde des vivants et celui de morts se chevauchent. Il existe des ponts, des intersections, des zones troubles... Nous avons simplement désappris à le voir et à le sentir."

2 commentaires:

Lancelot a dit…

AH ! 'La mort du Roi Tsongor' ! Je l'avais découvert sur la table de chevet de Sylviane à Pâques et je l'avais feuilleté, un peu au hasard, mais j'en avais noté les références car ça m'avait donné une terrible envie de le lire, j'en avais trouvé l'écriture admirable. Enfin, les quelques pages que j'avaies lues.

Ici aussi, ça fait envie. Davantage sur le fond que sur la forme, mais l'envie demeure. Lauren Gaudé, affaire à suivre. Merci, Papa.

Calyste a dit…

Tout à toi, fiston! Et écoute les conseils de l'ancêtre: lis Tsongor!