jeudi 26 août 2010

La maison dans les vignes

Vent chaud, très chaud, comme le soufflet d'un sèche-cheveux, pendant la promenade à travers les vignes. Les raisins sont bientôt à maturité mais les feuilles sont restées vertes. Pas encore la splendeur de l'or automnal. Le pas a été ralenti par la touffeur et je me suis souvenu que Georges avait plus de 70 ans.

J'aime ce coin de Loire coincé au sud au bord du Rhône, cette terre claire où poussent parmi les meilleurs cépages de la vallée, dominée par la beauté du Pilat. Georges m'avait invité, depuis longtemps. J'ai laissé Jean Claude travailler seul et j'ai pris la 86, cette route que j'ai toujours aimée mais où les roses trémières ont désormais disparu.

Il m'avait dit onze heures. J'avais le temps de monter au cimetière qui domine la ville: la tombe est là, pas encore totalement installée, fleurie, à regarder la montagne. Seule une vieille dame m'a salué en venant chercher de l'eau. Sur une croix de bois, simple, dépouillée, il y a, outre son nom, son vrai prénom qu'elle n'a jamais admis, Marie-José, et sa véritable identité pour tous ses amis, celle unique par laquelle on la reconnaissait: Kicou.

Je me suis arrêté un moment dans les rues où subsistent quelques traces moyen-âgeuses et puis je suis monté le voir, dans sa grande maison désormais un peu vide. Une femme était là, que je ne connaissais pas. Je n'ai pu empêcher ma surprise d'apparaître sans doute sur mon visage, mêlée à une sorte de colère naissante. ce n'était que la femme de ménage. Comment avais-je pu imaginer autre chose?

Comment ce vieil ours de Georges peut-il m'apprécier? Nous sommes si différents. Il m'a pourtant toujours montré des signes de la plus grande confiance, en particulier lorsqu'il m'a proposé d'entrer au Conseil d'Administration qui gère les six établissements de l'institution où je travaille. La joie qu'il éprouve à me voir n'est pas feinte, j'en suis sûr: pourquoi prendrait-il cette peine? Il ne l'a jamais fait pour personne.

Lui qui parle peu d'ordinaire ne cesse de m'entretenir de ses projets, en cherchant, mine de rien, à connaître mon avis, de me confier, pudiquement, très pudiquement, ses tristesses et ses angoisses. Il veut aussi connaître ma vie. Le plus drôle, c'est lorsque nous échangeons des recettes de cuisine, nous qui, deux ans en arrière, savions à peine le temps de cuisson d'un œuf dur.

Après le repas, il m'a proposé la promenade jusqu'à la Chapelle des Pénitents Blancs, halte habituelle des pèlerins de Compostelle. C'est la dernière que nous ayons faite avec Kicou, probablement en mars de l'an dernier, deux mois avant sa mort. Elle n'avait pu terminer et Georges était parti chercher la voiture. La nature était couverte de fleurs.

Nous sommes rentrés par un autre chemin, que je ne connaissais pas, le long duquel s'alignaient les ceps tortueux. Auparavant, nous nous étions assis sur les marches de la chapelle, comme avec Kicou en attendant la voiture, et nous avons parlé longtemps, sans jamais nous regarder, en fixant devant nous le méandre du Rhône à peine animé par une péniche solitaire et, au loin, la chaîne du Mont-Blanc, étincelante de soleil.

J'ai dit à Georges que revenir dans cette maison où j'ai connu tant de belles heures n'était jamais simple pour moi. Peu à peu, elle change, elle se vide d'objets familiers, d'autres apparaissent que je n'avais jamais vus. Les petites décorations trop féminines de Kicou qui parfois m'énervaient disparaissent. On est maintenant chez un homme et la maison des fêtes n'est plus ce qu'elle était. Mais, si je dois fournir un effort, je le fais volontiers parce que Georges est un être secret que j'apprécie beaucoup (et comprends peut-être mieux que d'autres?) et parce qu'il veut de toutes ses forces garder cette maison vivante, autre forcément mais vivante.

3 commentaires:

Cornus a dit…

Un beau récit, assurément, que je n'ai pas trop peine à visualiser dans le paysage, même s'il reste bien triste.

Lancelot a dit…

Triste, pas forcément. J'y sens aussi (mais peut-être que je me trompe) une trace d'optimisme, sur la certitude de ce qui dure.

Calyste a dit…

Bien vu, Chevalier! Même si Cornus n'a pas tort d'y déceler aussi une forme de tristesse.