lundi 20 avril 2009

Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué

Quelle idée d'aller exhumer ce livre du fin fond de ma bibliothèque? Un pur hasard: :mon œil s'est arrêté dessus il y a peu, j'ai confondu l'auteur, Howard Buten, avec celui de Pourquoi j'ai mangé mon père?, Roy Lewis, ce qui, pourtant, n'a rien à voir, et j'ai voulu lire ce roman dont Pierre m'avait parlé il y a bien longtemps et qui lui avait énormément plu.

Ma première impression fut négative. Les tics d'écriture visant à singer la façon de parler d'un enfant de cinq ans ont commencé par m'agacer considérablement. J'y voyais un truc littéraire un peu gros, une sorte de mode branchée des années 80 (le livre est sorti en 81). Puis, peu à peu, je me suis laissé emmener dans l'univers de cet enfant que l'on enferme dans une institution psychiatrique qui ne lui convient pas vraiment, je me suis laissé prendre à ses mots, à sa naïveté mêlée d'une grande créativité poétique.

Et puis je voulais savoir ce qu'avait fait cet enfant à Jessica, son amie, pour mériter ce traitement. Et cela n'est dit qu'en fin d'ouvrage, bien qu'on le devine beaucoup plus tôt. Aujourd'hui, l'univers psychiatrique passionne moins que dans ces années-là. On ne l'aborde plus que sous l'angle de justice (j'allais écrire vengeance): on ne se pose plus la question que de savoir s'il est normal qu'un individu que les médecins jugent irresponsables échappe au glaive de la "République". Certains, pour bien montrer qui dirige et possède le pouvoir, n'hésiteraient pas à rétablir la peine de mort et à faire gravir en priorité les marches de l'échafaud à des gens dont les pulsions sont incontrôlables, y compris par eux-mêmes.

Dans les années 80 et même avant, le problème se posait différemment. Fallait-il ouvrir les "asiles" sur l'extérieur, fallait-il permettre aux "fous" de côtoyer dans la rue tous les gens "normaux" qui la peuplent quotidiennement? Pour avoir eu des ami(e)s infirmier(e)s psy., j'ai pas mal navigué en bordure de ce monde, jusqu'à, avec l'un d'entre eux, emmener au théâtre un pauvre garçon dont les parents ne faisaient jamais à Noël le déplacement pour le voir. Je me souviens de sa joie, de ses cris de bonheur un peu trop expansif pendant le spectacle. Je me souviens aussi du regard des gens sur ce résidu dont personne ne voulait et de la condamnation à peine voilée qu'on pouvait y lire. Je me souviens enfin d'avoir moi-même eu honte de me montrer avec lui et qu'il avait fallu que je prenne sur moi pour me forcer à accepter ce qui aurait dû me paraître d'emblée normal.

Ce roman est peut-être un peu manichéen quant à son analyse du milieu médical mais parvient parfaitement à nous introduire dans l'esprit de cet enfant qu'un rien pourrait sauver et qui ne le trouvera pas. Il est aussi étonnamment moderne dans le fait de nous montrer que la seule solution proposée est la contrainte et la remise dans les rails de la norme.

Une fois, j'avais cinq ans. J'allais souvent en voiture . Je me mettais à côté de papa sur la bosse. La bosse c'était au milieu du siège avant, là où il n'y avait pas de couture. Ca me soulevait comme ça je pouvais voir. C'était ma place spéciale à moi tout seul. Une fois on est allé jusqu'à Frankfort dans le Michigan et j'ai passé tout le voyage sur la bosse. Tout le voyage.
Et puis un jour mon papa nous a emmenés Jeffrey et moi dans la boutique Hanley-Dawson Chevrolet pour acheter une nouvelle voiture. On y est allé dans notre vieille voiture. J'étais assis sur la bosse. Et puis on est monté dans la nouvelle voiture. Elle avait une drôle d'odeur. Papa est monté et il a démarré. On est parti. J'ai regardé par la vitre arrière notre vieille voiture et je lui ai fait au revoir avec la main.
- Et notre vieille voiture, papa? j'ai demandé.
- Quoi, ce tas de ferraille? On s'en fiche.
J'ai regardé le siège avant. Y avait pas de bosse. Mon papa a expliqué:
- C'est parce que cette petite merveille a le moteur à l'arrière. Vous avez vu toute la place supplémentaire que ça nous donne?
J'ai posé mon menton sur le dossier du siège arrière et j'ai regardé notre vieille voiture par la fenêtre arrière. J'ai même pleuré peut-être. Et Jeffrey m'a dit:
- Qu'est-ce que t'as à pleurer, bébé?
Et j'ai dit:
- J'ai pas de place pour m'asseoir.

(Trad. de Jean-Pierre Carasso.)

4 commentaires:

christophe a dit…

J'ai lu ce roman au lycée et j'avais vraiment beaucoup aimé. A l'époque, je lisais beaucoup Valérie Valère (Le Pavillon des enfants fous) également, à peu près complètement tombée dans l'oubli à présent.
Et sur la question de l'expérience psychiatrique possible, je me permets de te conseiller Dieu gît dans les détails, de Marie Depussé, une ancienne enseignante de Paris 7 qui a marqué pas mal de ses étudiants (dont moi).

Olivier Autissier a dit…

Je l'ai lu quand j'étais ado, à sa sortie sans doute donc. Je ne m'en souviens plus. Quelques années plus tard, son adaptation au cinéma m'avait laissé un goût de déception.

Lancelot a dit…

Je suis un peu comme toi : les tics langagiers visant à faire croire que c'est un enfant jeune qui parle ça m'avait fatigué. J'avais très nettement préféré l tome 2 : "Le coeur sousle rouleau compresseur" (lui et Jessica s'y retrouvent, adultes). C'était beaucoup plus 'naturel', je dirais.

@ Christophe : "Le pavillon des enfants fous" ? HORREUR... ce que j'ai pu détester ce livre que j'avais trouvé hyper-soporifique et répétitif....

Calyste a dit…

De gustibus et coloribus, mes trois chers amis!