mercredi 22 octobre 2008

Les acacias.

Ils étaient tout au sommet de la côte, à la fourche de la route, là où la partie haute monte à l'assaut des Voirons alors que l'autre redescend vers le village. Un endroit préservé, sans maisons, rien que des prés jalonnés de vieux pommiers recouverts de gui. Les talus étaient consolidés parfois de murs de pierres sèches, magnifique ajustement de blocs taillés et assemblés autrefois. De l'eau coulait toujours dans le fossé et rouissait les pommes acides qui tombaient des arbres les plus proches.

De là, la nuit, on apercevait les feux de Thonon et, plus loin, de l'autre côté, ceux de Lausanne. A l'extrémité opposée, Genève dans un halo plus clair. En face, la colline de Balaison était obscure, effrayante et rassurante à la fois.

C'était le but ultime de ma promenade du soir, avec le chien, lorsque, vieux, il ne pouvait guère en faire davantage. Nous montions lentement jusqu'à ces deux arbres sans doute centenaires, un pèlerinage connu de l'un et de l'autre. Mais si, les premières années, il s'enfuyait dans le noir des prés et des chemins pour courir après la trace odorante d'un quelconque gibier, s'il fallait alors le rappeler plusieurs fois et attendre son bon vouloir, vers la fin il ne me quittait plus guère, tout apeuré si je détachais la laisse, se tapissant encore davantage contre mon genou.

C'est moi peut-être qui humais, le plus des deux, les parfums de la nuit, herbes coupées, pommes pourrissantes ou cette enivrante et écœurante odeur des feuilles de peupliers en décomposition. L'hiver, il fallait que j'insiste, que je lui parle, pour qu'il accepte de finir l'itinéraire. Quand nous arrivions en haut, la même chose se produisait chaque fois: alors que nous pénétrions à l'abri de leurs branches, ces acacias nous enveloppaient d'une atmosphère plus douce, plus chaude. Physiquement plus chaude, comme un microclimat de quelques mètres carrés. Je n'ai jamais compris ce phénomène, puisque le site, vu son emplacement, aurait dû être davantage venté que la route plus bas.

Un jour, ils ont coupés ces deux arbres. Pour en faire du bois? Pour dégager la vue sur la route? La chaleur a disparu. Mais ça n'a pas d'importance: mon chien est mort et je ne retourne jamais dans le Chablais. J'aimais pourtant, avant de rentrer, pisser dans la nuit, face aux lumières des villes et du ciel, face à la Grande Ourse.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me suis plu dans ce récit. Vraiment.

Calyste a dit…

Merci, kab-aod. Je reviens de chez toi. J'y retournerai. Je m'y sens en terre connue.