mardi 9 septembre 2008

Qu'est-ce que tu lis?

En début d'année, les sixièmes sont soumis à de nombreux tests afin de déceler ce qu'ils ont réellement acquis au cours de leur primaire, ce qui est en cours d'acquisition et les lacunes éventuelles dans les connaissances nécessaires.

La semaine prochaine, ce seront les tests nationaux, mais auparavant je leur propose quelques exercices plus personnels qui me permettent d'affiner davantage les résultats officiels. Ainsi, je leur ai fait passer ce matin un test de lecture silencieuse chronométrée. Un terme bien affreux, d'accord, pour ces bambins à peine débarqués dans la grande école, mais cet exercice, bien que silencieux, est très parlant.

Précédé d'un "pour de faux", d'un essai afin de les désangoisser et de bien leur faire comprendre les consignes, il consiste à lire un texte court (le prochain sera beaucoup plus long) à sa vitesse normale de lecture, sans lambiner, sans non plus se croire sur un circuit de Formule 1.
A la fin de sa lecture, chacun inscrit son temps sur la copie, puis répond à dix questions à choix multiple portant sur la compréhension du texte. Le temps de réponse n'est, lui, pas chronométré. Seule obligation: celle de ne jamais revenir au texte.

Ensuite, par de savants calculs prenant en compte le temps de lecture, le nombre de mots du texte et le pourcentage de compréhension de ce texte (nombre de bonnes réponses aux questions), je peux situer l'élève dans une échelle de lecture et, à partir de certaines normes, juger s'il est un bon lecteur, un lecteur correct ou s'il a visiblement des difficultés et de la lenteur dans le déchiffrage.

Je sais, tout cela vu de l'extérieur peut paraître très barbare et plus médical que pédagogique. Pourtant cette série de tests est un excellent outil pour déceler les élèves en grosse difficulté et pour leur apporter le plus tôt possible l'aide dont ils ont besoin. Car, la plupart du temps, si les enfants n'aiment pas lire, c'est parce qu'ils lisent trop lentement, faute d'un entraînement suffisant de l'œil.

Je les observais tout à l'heure, tous concentrés sur leur texte à déchiffrer. Comme ils sont sérieux à cet âge-là. Je suis toujours sidéré par le pouvoir qu'un professeur peut avoir sur eux, si demandeurs et si malléables. Cela me fait parfois un peu peur, et en même temps me réjouit car j'y vois la promesse d'un bon travail, d'une bonne coopération.

Le premier à terminer a lu en 1mn30, le dernier en plus de 6mn. Donc quatre fois plus. Le premier a ensuite sorti un gros roman de son cartable, afin de s'occuper en attendant: dès le premier jour, il m'a demandé la permission de l'apporter en classe, pour meubler ses temps morts. Le dernier était penché sur la feuille, contracté des épaules, suivant les mots du doigt et les formant sur ses lèvres à voix basse.

Je n'ai pas encore corrigé leurs réponses. Je sais pourtant d'emblée et presque à coup sûr quels seront les résultats pour ces deux-là. Qu'il existe une telle différence me surprend et me révolte chaque fois. Il va falloir s'atteler à la tache sans certitude de réussir. Mais quelle joie, en fin d'année quand un élève, qui a accepté l'aventure de la lecture et les contraintes pour démarrer, vient vous voir au bureau et vous dit que maintenant il aime lire, ou lorsque, en cours d'année, vous en voyez un, mal parti au début, sortir de son cartable, un livre et le lire, un petit livre certes mais un LIVRE!

A ceux qui ne cessent de dire que le niveau baisse, que les enfants ne lisent plus, je dis que c'est faux. Les enfants aujourd'hui, pour la plupart, lisent beaucoup plus que ceux qui les ont précédés dans les vingt dernières années. Bien sûr, ils ne lisent pas toujours ce que les parents (ou certains profs) voudraient: un père de famille s'étonnait, il y a peu, que je ne fasse pas étudier Eugénie Grandet en cinquième! Je n'ai, moi-même qui aime (aimais?) pourtant beaucoup Balzac, jamais pu finir ce roman qui, chaque fois, m'est tombé des mains. Et je suis prof de lettres! Alors, vous imaginez un cinquième!

Ils préfèrent des romans plus axés sur le fantastique, l'humour ou la science-fiction. Ils sont alors capables de dévorer trois ou quatre tomes d'une série sans sourciller. Moi, je dis "bravo", je dis "continuez, lisez, développez votre imagination et vos rêves." Je saurai attendre le moment où, la confiance gagnée, l'habitude de lecture prise, je les ferai doucement glisser vers d'autres univers, d'autres genres littéraires, d'autres plaisirs, d'autres rêves. Parfois, souvent, d'ailleurs, ils n'ont, pour cela, même pas besoin de moi!

En relisant ce billet avant de l'exposer, je me rends compte qu'avec ce que j'écris, je peux passer pour un très grand prétentieux. Pourtant, je n'enlèverai rien. Je crois que je ne peux concevoir mon métier que dans une ambition extrême, non pour moi mais pour eux.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour moi la littérature est un art avant tout, sa lecture un plaisir.
Je conçois que la lecture apporte bien davantage que le plaisir, mais sans doute savoir lire peut suffire et reste bien différent d'aimer lire.
Et donc, je n'ai jamais compris le pourquoi du comment il y avait du sens à inviter les enfants à aimer lire.
Est-ce qu'on les pousse autant à aller au cinéma ou à faire des confitures ? Ou je ne sais quoi d'autre qui relève du plaisir. A moins que la lecture soit un plaisir noble et les autres non.
J'avoue sans honte demeurer dubitatif à chaque fois.

Calyste a dit…

Parce que si on ne leur fait pas aimer la lecture, ils ne lisent pas! La lecture n'est pas un plaisir plus noble, elle est un plaisir dont certains se privent. A nous de leur faire découvrir cet univers. Pour le cinéma, tu te trompes: on en parle également beaucoup et on utile le septième art dans les cours. Quant aux confitures, ce n'est effectivement pas dans mes programmes. Mais je regrette d'avoir, faute de "maître", découvert ce plaisir gourmand aussi tard!

Anonyme a dit…

Je n'entendais pas ma remarque qu'au niveau scolaire, mais en général.

Anonyme a dit…

Ah, pour les confitures, je peux te donner des tuyaux (d'ami, pas de maître). D'ailleurs, te souviens-tu de celle de kakis dont je t'ai parlé ? On devrait l'essayer cet automne.
Tu sais que je préfère de loin la SF, et tu as raison de commencer par ce qu'on peut aimer.
Bises, J.

Calyste a dit…

Rendez-vous est pris, J.
D'autant plus volontiers que je n'y ai plus goûté depuis des décennies!
Bisous.

Anonyme a dit…

"Le premier à terminer a lu en 1mn30, le dernier en plus de 6mn."

!!pour moi c'est encore un peu court!!!n'aime bien faire durer le plaisir.... ;-)

Anonyme a dit…

Eugénie Grandet t'est tombé des mains ???? INCROABLE !!! C'est le SEUL roman de Balzac que je sois parvenu à terminer (et en un après-midi, même, cocorico !). Pour les autres, (le Père Goriot, la Peau de Chagrin, entre autres, je n'ai JAMAIS réussi à dépasser les 50 premières pages. Jamais...)

Mais si mais si Olivier, moi je pousse tous mes enfants à faire des confitures. Un pot tous les soirs, au moins...

Anonyme a dit…

Et d'ailleurs si j'avais lu davantage étant enfant, je saurais que "incroYable" s'écrit avec un Y. Voilà !