jeudi 11 septembre 2008

Ma cour.

Il faut que je le dise: regarder chez les autres m'a toujours intéressé.

Non, je ne pense pas que ce soit du voyeurisme. Bien sûr, si une belle paire de fesses (mâle bien entendu) passe à portée de regard, je ne vais pas détourner les yeux et je profiterai sans honte du spectacle qui s'offre à moi. Mais plus généralement, c'est voir vivre les gens qui me passionne.

Ainsi, en ce début de demi-saison, alors qu'il fait déjà nuit beaucoup plus tôt, les appartements s'éclairent et je peux m'adonner librement à mon vice. Je précise encore que je ne reste pas des heures caché derrière les rideaux à l'affût de l'occasion, mais que, lorsque cette occasion se présente par hasard à moi, eh bien, j'en profite.

Ma cour est une cour fermée typique de Lyon, encerclée d'immeubles de six ou sept étages, pas très beaux extérieurement, mais confortables et assez bourgeoisement occupés pour la plupart. Si l'on comptait les habitants de cet îlot, je pense que l'on atteindrait l'équivalent d'un petit bourg de campagne.

Il y en a que je ne connais pas, que je n'ai jamais vus et que sans doute je croise dans la rue sans les reconnaître. Et puis il y a ceux qui, peu à peu, me sont devenus familiers, au fil des mois ou des années, parce que nous vivons au même rythme, parce que j'ai eu le regard attiré un jour chez eux par un événement précis, ou parce que ce sont ceux qui se trouvent juste en face de mes fenêtres, les plus visibles.

Ceux-là, il me semble que ce sont presque des amis, que je connais beaucoup de leur vie, au moins à certaines heures et selon ma propre imagination. C'est un peu comme dans le métro ou dans le train: j'invente des histoires à mes compagnons de voyage, en fonction de leur visage, de leurs vêtements ou de mes propres fantasmes.

Qui sont-ils, ces amis inconnus? Il y a le monsieur que je vois tous les soirs nu prendre sa douche (et sa femme, le matin), celui qui se met à la fenêtre pour fumer après le repas du soir et qui semble avoir un torse magnifique, un autre qui se lève en même temps que moi le matin (nous sommes les deux seules lumières allumées de la cour), et qui vérifie chaque fois que je suis bien là, comme je le fais pour lui.

Il y a la dame malade qui cache sa chute de cheveux sous une perruque et soigne ses fleurs malgré tout, le propriétaire d'un 4/4 qui ressemble trait pour trait à un propriétaire de 4/4 et à qui j'étais ravi, il y a quelques soirs, de piquer sous le nez la dernière place de stationnement libre de la rue. Je ne vous décris pas le regard!

Il y a les deux vieux dont la dame lave les grands, très grands slips blancs de son mari et les étend sur une cordelette à sa fenêtre. Il y a la mère de famille qui, pendant des années, n'a pas cessé de hurler sur son petit garçon. Aujourd'hui, je n'entends plus rien. D'ailleurs, j'ai aperçu le garçon récemment: il n'est plus si petit que ça!

Il y a les étudiants, qui défilent dans un appartement reloué chaque année, la fenêtre d'où sort toujours un air de clarinette ou de hautbois sans que j'y voie jamais personne, l'amie de mon voisin du rez-de-chaussée dont le rire pétaradant résonne aux alentours et qui ne sait pas que l'été, lorsque je dors la fenêtre ouverte, j'entends absolument tout ce qu'elle dit.

Il y a enfin ce sexagénaire qui vit avec une mère quasiment grabataire, qui la soigne, qui la nourrit, qui passe le plus clair de son temps à accompagner cette fin de vie (parfois remplacé, certains soirs, par ce que je pense être une aide à domicile). Lui, il m'a parlé, un jour. Il tenait un bureau de vote dans mon quartier. Depuis, nous nous saluons, dans la rue ou par fenêtres interposées. Au début, j'étais choqué par la façon dont parfois il parlait à sa mère, en la grondant vivement comme un gamin en faute. Depuis que je vis ça avec la mienne, je comprends mieux que parfois on puisse craquer.

Il y a donc ceux du réveil, ceux de midi ou de l'après-midi, ceux du soir et de la nuit. Peu de lève-tôt et peu de couche-tard, hélas. Certains disparaissent parfois, d'autres emménagent et il faut alors les intégrer dans la nouvelle géographie des lieux.

Et puis, lorsque j'en ai assez de la cour et de ses habitants, je me tourne... vers la rue et je regarde minou, qui me regarde.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et qui te dit que sont les grands, les très grands slips de son mari qu'elle lave ? :)

Anonyme a dit…

La manière de voiler ou dévoiler sa fenêtre,
de clore ou d'éclore ses volets,
le haut chat sur la balustrade...

Et tout ça qui vit, qui bouge, qui lave, qui grouille, qui s'aime, qui rit, qui chante, qui gronde, qui souffre, qui veille, qui s'y croit,
c'est pas un miroir, ça ?