Silvio fut le premier, rencontré par hasard à Paris. Silvio, comme le Pellico de Le mie prigioni dont me parla plus tard Pierre, Silvio comme l'obscurité de la forêt et la lumière de la clairière. Il venait de Cuneo, la presque savoyarde, où je le rejoignis quelques mois plus tard. C'était la première fois que j'entrais dans un appartement italien, avec ses ocres dominants et ses vastes pièces presque vides. Je me souviens de son amie Ida, la tendre Ida qui m'avait vite adopté, un peu bohème, un peu folle, à l'humour précieux, au rire éclatant. Dans le train pour Coni, je lisais Le Roi des Aulnes. Ils vinrent plus tard en France, tous les deux, avant que Silvio ne s'exile un moment en Amérique du sud pour y être conseiller culturel dans une ambassade. Silvio, j'ai toujours de toi la photo que tu m'envoyas, la main sur le front, rehaussant un peu tes cheveux bruns, au dos de laquelle tu avais écrit : "Mon Dieu, qu'est-ce qui m'arrive ?". La foudre avait frappé des deux côtés des Alpes.
A Perugia, plus tard, je fis deux autres rencontres, en m'évadant un peu de la ville dans la fraîcheur de la nuit ombrienne. Il me fallut longtemps pour m'aventurer hors des murs étrusques, dans la ville basse. Sur le noir de la muraille me dominait le belvédère où je me rendais chaque soir, à contempler au loin les lumières d'Assise et, dans la nuit, les vaghe stelle qu'évoqua Leopardi. J'étais seul face à ce miroitement silencieux.
L'un était cameriere à Città di Castello, un peu plus au nord en direction de Sansepolcro. Je crus d'abord à un voyou. Pasolini n'était mort que depuis six ans, les alentours des gares italiennes sont toujours des lieux interlopes. Et le parc où je le rencontrai était bien sombre. Il s'avéra tout autre chose : un jeune homme piacevole, simple et rieur, que je revis souvent et que je faisais entrer en cachette chez mes logeurs une fois que mon coturne tudesque s'en fut allé. Il était beau comme un italien l'été, cuivré et sensuel. Mais comment s'appelait-il ?
A la même époque, je fis une autre rencontre. Je l'appellerai Angelo, pour la douceur de notre étreinte, une nuit, devant cette église de Perugia. Lui aussi était beau, et grand. Une beauté plus intellectuelle, plus fine que mon petit taureau de Città di Castello. Je passais des bras de l'un à ceux de l'autre avec chaque fois la même joie. Un soir, il vint en voiture et me promit une surprise. Nous traversâmes donc la sinistre banlieue de la ville basse, ma main posée sur son genou pour me rassurer un peu. Lui ne voulut rien dire sur le but de notre escapade. Enfin, nous arrivâmes au bord du lac Trasimène. Après quelques années passées comme modèle dans la mode, il enseignait la latin et connaissait notre point commun. Trasimène, à lui aussi, parlait. La veille de mon départ, non pour la France, puisque Pierre me rejoignait, mais pour la Sardaigne, il m'offrit un disque, un quarante-cinq tours que je possède encore : Malinconia, de Riccardo Fogli, le slow à la mode cet été-là de 1981 mais aussi un écho de ce que nous ressentions : " Vous ne savez pas s'il faut pleurer ou essayer de plaisanter, vous ne dites rien et vous avez mille choses à dire."
Aujourd'hui restent la nostalgie et la tendresse des souvenirs.
3 commentaires:
Le dernier, tu l'avais déjà évoqué. Pas de souvenir du petit taureau par contre. Les images de Rome était déjà une promesse sensuelle.
Que de tendresse dans ta mémoire. Merci, Calyste.
Jérôme : Rome est toujours une promesse sensuelle !
Pippo : la tendresse de la vie qui m'a fait vivre tout cela, intensément.
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