lundi 19 octobre 2009

Marie-Luce et le crapaud (épisode 3)

(Résumé des deux premiers épisodes: lors de son premier séjour à la campagne, Marie-Luce, une gosse des cités, rencontre un crapaud dont elle imagine qu'il pourrait bien être un Prince charmant sous le coup d'un charme maléfique. Mais saisir le batracien et le tenir en main n'est pas si aisé que cela...)

3ème épisode:

Maintenant le crapaud semblait plus à l'aise et, par contrecoup, Marie-Luce se détendit un peu. Elle attendit encore quelques instants pour voir si l'animal n'aurait pas de réaction plus énergique et agressive puis, ne voyant rien venir, elle se sentit totalement rassurée et alla même jusqu'à s'asseoir sur le talus, les deux pieds enjambant le fossé trop humide pour les y poser. L'herbe était sèche et ne risquait pas de tacher son jeans qui, de plus, en avait vu d'autres.

Alors qu'elle ne s'y attendait pas, le crapaud se mit lentement à se mouvoir sur sa main. Pour éviter qu'il ne retombe dans l'herbe d'où elle l'avait sorti, elle plaça devant l'extrémité de ses doigts son autre main où se dirigea aussitôt l'animal ce qui fit que, bientôt, les deux protagonistes de cette histoire champêtre se retrouvèrent face à face. Pour mieux observer celle du batracien, Marie-Luce éleva un peu le bras et positionna sa main à la hauteur de son regard.

Oui, vraiment, on ne pouvait pas dire qu'il soit beau. Rien, chez lui, ne rachetait le reste. Le pire était peut-être les yeux, globuleux et comme opacifiés par une fine membrane humide. Elle le fixa longuement, cherchant à capter son regard et, effectivement, elle se rendit compte, au bout d'un temps assez long, que le crapaud semblait s'intéresser aussi à elle. Était-ce le début de leur longue histoire d'amour?

A cette idée, Marie-Luce se sentit tout émue. Jamais auparavant elle n'avait ressenti ce picotement dans la poitrine qui donnait à la fois l'envie de rire et de pleurer. Bien sûr, elle avait déjà dit "je t'aime" à un garçon: à treize ans, il ne fallait tout de même pas la prendre pour une gourde. A trois garçons, même, exactement. Le premier, c'était un camarade de classe, un garçon de son âge, empoté et timide, qu'elle avait attiré, pendant la récréation, derrière le transformateur que, parait-il, on allait bientôt détruire parce qu'il était dangereux pour la santé des enfants (dommage car c'était une cachette idéale pour échapper quelques instants aux yeux de chouette de la maîtresse, celle qu'elle n'aimait pas et qui ne sentait pas bon!).

Avec celui-là, elle ne risquait rien: il ne savait même pas ce que voulait dire "nichons" et, quand il l'avait vu écrit sur le mur du préau, il avait cru que c'était le début d'un exercice de conjugaison! C'est dire s'il était arriéré! Non, c'était juste pour voir ce que ça faisait, ces mots dans la bouche, comme les grands qui les disaient mais n'attendaient même pas que tout leur arôme s'épanouisse à l'intérieur pour se frotter les langues et se les enfoncer jusqu'au fond de la gorge, ces dégoûtants! Elle avait été déçue! L'autre avait rougi et lui avait promis de lui offrir une bague à la quincaillerie de la galerie marchande. Il n'avait même pas essayé de l'embrasser. Bon d'accord, pas jusqu'aux amygdales, mais on aurait pu tout de même se mettre un peu la langue entre les dents!

Le deuxième, c'était plus sérieux. C'était un grand, il avait au moins deux ans de plus qu'elle et semblait la reluquer de près chaque soir à la sortie de l'école. Elle avait repéré qu'elle ne le laissait pas indifférent et s'amusait à l'exciter, comme ça, gentiment, en tordant un peu le derrière pour avancer jusqu'à son allée ou en laissant apparaître un petit bout de la peau de ses reins entre le pantalon et le pull-over. Le jour où elle lui avait dit "je t'aime",c'était uniquement pour lui chauffer le sang. Elle n'avait même pas prononcé les mots: elle les avait formés avec les lèvres, en silence, et de loin, en lui adressant son sourire le plus aguicheur. Là aussi, elle ne risquait rien car, en cas de manœuvre de sa part pour l'approcher davantage, elle n'avait que la porte vitrée à pousser pour se retrouver dans son immeuble, où elle était sûre qu'il ne la suivrait pas. Mais elle ne savait pas ce qu'il avait compris car il s'était alors légèrement camouflé derrière le tronc du seul arbre de la cité et avait commencé à faire glisser la fermeture éclair de son pantalon. Quand il avait mis la main à l'intérieur en lui faisant de la tête le signe de le rejoindre, elle avait préféré tourner le dos et rentrer chez elle. Le lendemain, il ne faisait plus attention à elle.

Quant au troisième, elle le lui avait dit et répété des centaines de fois, chaque fois exactement qu'un film de lui passait en ville et qu'elle voyait son portrait en couleurs sur les abris-bus. Celui-ci, ce n'était pas un garçon, c'était un homme, un américain, autrement plus beau que tous ces poils noirs des tours de son quartier. Lui, il était blond, bronzé, musclé et, quand il souriait, on voyait toutes ses dents de devant, blanches, bien alignées, resplendissantes. Lorsqu'il s'était marié, elle avait même volé Gala dans un kiosque parce qu'il y avait tout un reportage photos sur lui et sa "nouvelle épouse", comme l'écrivait le journaliste. D'ailleurs, elle avait été déçue de son choix: il méritait mieux. Qu'était-il allé s'enticher de cette boniche qui n'était même pas attirante? Des femmes belles, il y en avait des milliers qui rêvaient chaque nuit à lui et à ses bras vigoureux. Elle, en cachette, elle avait donné son nom à sa vieille peluche et le soir, elle la pressait tendrement contre elle en murmurant ses "je t'aime".

Mais de picotement point, ni avec le demeuré,ni avec l'obsédé ni avec la vedette américaine. Tandis que devant ce regard triste et voilé de crapaud, elle découvrait quelque chose de nouveau, quelque chose de chaud et d'envahissant, quelque chose qui lui plaisait. Elle était tellement partie dans ses rêves et dans l'analyse de ce qu'elle était en train de vivre qu'elle faillit lâcher celui qui était, sans le savoir peut-être, l'origine de ses sensations nouvelles. Sa main avait légèrement penché d'un côté et le crapaud avait glissé. Elle le rattrapa in extremis avec un mouvement si brusque que le remède parut un instant pire que le mal car le batracien se retrouva alors en grand danger de se transformer en projectile vivant direction le champ voisin.

"Excuse-moi, Greg! Je suis désolée!". Elle se rendit compte aussitôt qu'elle venait de lui parler. Parler à un crapaud! Si ses copines l'entendait. Elle s'assura que personne, entre temps, ne s'était approché silencieusement de l'endroit où elle se trouvait et, rassurée, reporta ses regards sur l'animal qui retrouvait tant bien que mal son équilibre. Et quand, une fois de plus, elle le regarda au fond des yeux, en essayant de percer le mystère si bien gardé par la membrane visqueuse, elle y vit briller, allumés par le soleil, des dizaines de petits points lumineux, comme des pépites dorées, comme des étoiles du jour, comme les lumières du bouquet final au feu d'artifice du 14 juillet. Son crapaud était heureux! Et en plus, il s'appelait réellement Greg! On progressait.

7 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Je ne suis pas sûr que les hétéros entre eux, pour s'attirer, mettent leur main dans leur braguette derrière un arbre en faisant un signe de la tête. Mais après tout, pourquoi pas.

KarregWenn a dit…

Olivier Autissier > Ah bon ? Et ils feraient comment ? Une autre hypothèse ?

Olivier Autissier a dit…

Je n'ai pas dit qu'ils ne le faisaient pas, j'ai dit que je n'en étais pas sûr. Mais de toutes les filles que je connais, je n'en connais aucune qui serait séduit par ce genre de numéro de charme direct d'entrée de jeu. Alors que des homos, j'en connais des tonnes.
Néanmoins, je revendique le droit à l'erreur, et comment !

piergil a dit…

Moi, n'ai ma p'tite idée pour le denouement de l'histoire....
En tout cas j'ai baiser beaucoup de crapauds dans ma vie ...bin aucun s'est transformé en prince charmant!!:-(

piergil a dit…

'a y est!! n'ai compris pourquoi ça n'a pas marché!!
J'ai baisé, j'ai baisé, j'ai baisé, j'ai baisé, j'ai baisé!....
oui, maitre, je merite le bacul...

Lancelot a dit…

@ Karreg : Les mecs hétéros, eux, doivent avoir des belles motos, des voitures décapotables, ou des rolex, ou inviter au restaurant, et faire du plat, et faire du gna, et faire du bla, et faire du bla. Epuisant tout ça ! Je me demande si ce n'est pas la perspective de cette course à l'échalotte absolument décourageante et "désérotisante" qui m'a fait virer ma cuti...

Mais, après tout, peut-être que certaines femmes seraient charmées par le mode de drague homo ?

Karreg, t'en penses quoi, toi...? Finalement t'es la seule à pouvoir donner une réponse objective...

Mais nous perdons de vue le point principal : que va faire Greg le crapaud ? Ouvrir sa braguette ?

Calyste a dit…

A vrai dire, comment font les hétéros pour draguer, je m'en tape un peu: c'est leur problème, après tout. Peut-être le mien avait-il des pulsions homos sans le savoir!!!

C'est que tu n'as pas su dire les mots qu'il fallait, Piergil, ou que tu n'avais pas envie de les dire! Il y a des crapauds qui inspirent peu, après "coup"!

La réponse un de ces jours, Chevalier!

Dame k., mes hommages à vos pieds! C'est comme ça qu'on doit faire avec les dames?