jeudi 23 juillet 2009

La douane

Rien ne pouvait lui faire quitter son lit, ce matin-là. Il restait lové au creux de la douceur des draps qui avaient pris la forme de son corps. Le rêve était toujours là, tout près. Il ne voulait pas le perdre, pas voir disparaître cette sensation de bien-être, comme si les mains du palestinien caressaient encore sa peau.

Lorsqu'ils s'étaient approchés de la frontière, le petit conducteur arabe avait dû freiner mais la rue était en pente et les vieux freins de la voiture répondaient mal. Elle avait fini par s'immobiliser, apparemment plus sensible aux fusils braqués sur eux qu'aux coups de pédale frénétiques du conducteur.

On avait emmené le petit homme dans un bureau, une cahute plutôt, où il devait expliquer qu'il ne transportait que des légumes, et lui était resté près de la voiture avec un seul garde, un grand palestinien à la silhouette sèche, comme habituée au désert. Puis il s'était retrouvé avec le même dans une pièce sombre, en entendant, toujours.

Les regards s'étaient croisés, pour la première fois. Sous l'air courroucé et belliqueux de son garde, il avait saisi une nuance d'hésitation, un tout petit instant d'intérêt avant que les yeux ne se détournent. L'autre était resté longtemps sans rien dire, il n'avait toujours pas entendu le son de sa voix, et surtout sans tourner le regard vers lui.

Puis, imperceptiblement, il avait vu le profil bouger, l'autre peu à peu revenir sur lui, comme aimanté. A nouveau leurs regards s'étaient rencontrés et cette fois-ci davantage attardés. L'homme était beau, il ne le savait sans doute pas. Cette fêlure du regard, la timidité du combattant le rendaient désirable.

L'attente continua, toujours en silence. On ne lui avait pas interdit de bouger dans la pièce. Il passa derrière le palestinien et lui posa les deux mains sur les épaules, bien à plat pour en sentir la sèche musculature. L'autre ne protesta pas, à peine un petit recul, plus de surprise que de dégoût. Alors il fit ce qu'il voulait faire: passer les mains sous la chemise déjà entrouverte, les faire descendre le long du torse, de la peau tannée par le soleil, jusqu'aux seins de l'homme, peu marqués, légers reliefs sous la toison de poils. L'autre le regardait, perdu, effrayé et pourtant suppliant.

Un bruit, à l'extérieur, les fit sursauter. Était-ce terminé? Mais rien ne se produisit. Le palestinien alors, pour la première fois, caressa un homme, la jambe d'un homme, son semblable. Puis ce fut l'embrasement, les corps mêlés dans la moiteur de cette douane, le plaisir et la peur partagés. Qu'arriverait-il si on les surprenait? De cette partie du rêve, il ne se rappelle que la bourrasque brûlante comme un vent des sables au mouvement des corps, fraîche au goûter de la peau, enivrée aux odeurs de chaleur, avide aux morsures des dents, insatiable aux rencontres des lèvres. Ils savaient que ce serait la seule fois.

On ne les surprit pas. Ce fut l'éveil qui les interrompit. Il resta longtemps dans son lit, le souvenir de l'autre, de son odeur, de cette peau, de ses mains, à côté de lui, d'abord les yeux fermés, n'entendant que les bruits de la cour puis, lorsqu'il les ouvrit, reprenant pied dans la vie en suivant les rais du soleil filtrant à travers les volets.

De tout cela, il se souvient encore en l'écrivant, pour ne pas l'oublier.

2 commentaires:

Lancelot a dit…

Et le psychanalyste jeta par la fenêtre tous ses manuels d'interprétation des rêves pour supplier : "Encore, encore.... la suite, vite ! Rendormez-vous, j'en veux plus !"

Calyste a dit…

Mais ça ne se commande pas, Lancelot, c'est comme dans la chanson de Brassens!