vendredi 2 avril 2010

Sursis

Entendu sur une radio locale hier: une étudiante a été jugée pour le meurtre de son bébé qu'elle avait d'abord tenté d'étouffer puis qu'elle a poignardé par deux fois au cœur. La jeune fille avait caché sa grossesse à son entourage et a essayé ensuite de dissimuler le corps dans un placard de l'appartement familial. Elle risquait la réclusion à perpétuité. Le procureur, clément, n'avait réclamé que cinq ans d'emprisonnement. Finalement la peine qu'on lui a infligée est bien celle-ci mais avec trois ans de sursis. Comme elle a été incarcérée pendant huit mois avant le procès, elle ne retournera pas en prison, grâce à je ne sais quelle clause particulière.

Cette nouvelle ne m'a pas laissé indifférent. Bien sûr, je peux percevoir la détresse de cette jeune fille sans doute totalement seule face à ce qui lui arrivait: ni le don juan de service ni la famille directe n'ont été là pour l'aider. Il faut avoir touché le fond du désespoir pour en arriver à un tel acte. En même temps, je me demande de plus en plus souvent si cette façon de penser qui est la mienne n'est pas celle d'un autre âge, totalement révolu aujourd'hui, que ne partagent que quelques spécimens rares de dinosaures attardés. En effet, il me semble que ces crimes abominables sont de plus en plus fréquents, ou alors, sensationnalisme oblige, on tient davantage à nous les mettre sous le nez.

Des nouveaux nés de quelques heures se retrouvent dans un sac plastique au fond d'une poubelle ou enfouis dans un congélateur. Des naissances refusées parce qu'elles risquent de bouleverser la vie d'un adulte ou d'une famille. Si l'on considère que la pilule est aujourd'hui un moyen de contraception largement répandu et à la portée de tous, on ne peut qu'être surpris par la multiplication de ces situations extrêmes. Plusieurs causes à cela, probablement: ignorance de certains, malgré tout, quant aux possibilités de contraception, infantilisme des nouvelles générations face à des actes graves comme la procréation et les devoirs qu'elle suppose, égoïsme forcené devant quelque devoirs que ce soit. L'important, c'est moi et ma vie. Dans un tout autre domaine, je ressens cela aussi au sein de l'école, dans mon métier que, bien que l'ayant véritablement adoré, je ne voudrais pas avoir à exercer dans une dizaine d'années.

Face à cela, que dit la justice? La loi permet la réclusion criminelle à perpétuité, ce qui revient, dans l'état actuel des choses, à transformer cette jeune femme en croûton oublié de tous et destiné à moisir loin des regards. Le tribunal en a jugé autrement: cinq ans dont trois années de sursis. Mais saisit-on l'horreur de ce mot "sursis" dans une telle circonstance? Il me semble que cela veut dire que cette peine s'ajoutera à une nouvelle s'il y a récidive. Or comment peut-on envisager la récidive d'un tel acte? Que l'on puisse recommencer à voler, à braquer, à boire, cela peut se concevoir. mais recommencer à baiser sans précaution pour ensuite, en pleine connaissance de cause cette fois, faire disparaître le résultat des ébats en lui plantant un couteau dans le cœur et en le faisant patienter, coincé entre le colin d'Alaska et les escalopes cordon bleu, je ne comprends plus!

A-t-on fait prendre conscience à cette fille de la gravité de son acte, l'a-t-on aidée à en percevoir les contours exacts, et non pas seulement une sorte de rapport quantifié entre la faute commise et la punition attendue? J'allais dire que, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire celui de la repentance, la jeune femme a devant elle une vie fichue. Dans le meilleur des cas car cela voudrait dire qu'elle a compris ce qu'elle avait fait. Mais je n'en suis pas sûr.

Je ne suis pas en train de réclamer plus de répression. Je fais simplement le constat de mon effarement face à une société où cette répression est la seule réponse apportée, alors qu'à mon avis, même si elle est nécessaire, elle ne peut, seule, être considérée comme une réponse ou une solution. On m'a jadis appris que, lorsqu'on punissait un élève, pour quelque raison que ce soit, on devait ne pas le faire à chaud, sous le coup de la colère, et d'autre part prendre le temps d'expliquer la faute, d'en envisager avec l'élève concerné aussi bien les conséquences que les façons de remédier à ce moment difficile. Je crois que c'est cette démarche qui allie une forme d'éducation à la répression nécessaire, qui fait cruellement défaut dans nos sociétés modernes.

15 commentaires:

Cornus a dit…

Tout autant effaré que toi. Dans ce cas là, comme dans l'immense majorité des cas, je pense que la prison n'est pas une solution ou alors la pire des solutions pour écarter les rebus que la société a fabriqué. Je n'ai malheureusement pas la solution, mais je pense que la société dans laquelle nous sommes fabrique de plus en plus des cas comme celui-ci. Il faut "élever" l'Homme, le cultiver, le rendre heureux au lieu de le soumettre à la compétition perpétuelle, à la concurrence internationale... On dira que je suis idéaliste, utopiste, naïf. Certes, mais ai-je complètement tort ?

Cornus a dit…

Pardon, j'ai redit vaguement la même chose pensant que ce n'était pas passer la première fois (erreur avec un nom exotique donné par la plateforme blogger)

KarregWenn a dit…

Eh ben Cornus, ça, ça s'appelle occuper le terrain !

karagar a dit…

Cornus>"je pense que la société dans laquelle nous sommes fabrique de plus en plus des cas comme celui-ci", ça me semble bien péremptoire !

christophe a dit…

Je ne suis pas certain que ce phénomène soit plus fréquent qu'autrefois (attention, c'est juste une impression). Ma copine Julietta, qui bosse sur la figure de la bonne dans la littérature du XIXe siècle a relevé bien situations ou des sous-entendus de meurtres de nouveaux-nés. Et même plus tard, dans le Journal d'une femme de chambre, on peut lire :
"Après un silence, je lui demande :
— Et le gosse?… qu’est-ce qu’il est devenu?
Marianne fait un geste vague et lointain, un geste qui semble
écarter les lourds voiles de ces limbes où dort son enfant… Elle
répond d’une voix qu’éraille l’alcool :
— Ah! bien… vous pensez… Qu’est-ce que j’en aurais fait,
mon Dieu?…
— Comme les petits cochons d’Inde, alors?…
— C’est ça…
Et, elle s’est reversé à boire…"
Alors bien sûr, il n'y avait pas de contraception possible et pas toujours une faiseuse d'ange dans le coin. Tout ça pour dire que je pense que les médias, mais peut-être aussi l'entourage, sont devenus beaucoup plus vigilants...
Je suis d'accord avec toi sur l'ambiance générale de nos sociétés qui portent aux nues la réalisation d'un Moi tout-puissant autour duquel le monde se doit de tourner avec bienveillance et soumission. Sans entraves surtout. Mais dans l'exemple que tu cites - et dans bien d'autres récemment médiatisés - je suis quand même tenté d'y voir des structures psychiques nettement propices aux passages à l'acte. En cela, la prison ne me semble guère propice. Après, tout dépend de ce que l'on veut, collectivement, que la prison soit...

Calyste a dit…

Prise dans son contexte, je ne trouve pas la phrase de Cornus péremptoire. Je pense en effet comme lui que la violence se banalise et que le respect de l'autre en tant que personne (non, je n'emploierai pas cette abomination de formule:"personne humaine") est en train de se perdre. En collège, je suis assez bien placé pour le constater. Et les tentatives des enseignants ne servent à rien (qu'à les discréditer auprès des élèves?) si la société présente à ses enfants de tout autres valeurs.

Oui, Christophe, il y aurait sur le thème des prisons matière à débats, ne serait-ce que pour examiner cette manie de nos sociétés de toujours masquer ce qui dérange (les délinquants, la mort,...) et de croire ainsi le problème résolu.

KarregWenn a dit…

Il y a décidément quelque chose qui me choque gravement dans ce qui est dit ici, note et commentaires. Et oui, j'emploirais bien aussi le terme "péremptoire". Je ne sais rien de cette affaire, et j'ignore ce que toi Calyste, et les autres, savez d'elle. Peut-être tous les détails qui me manquent, auquel cas je retirerais (virtuellement) ce que je dis. Tu évoques, Calyste, détresse, abandon par le père, désespoir...pour très vite nuancer en parlant de pilule et autres possibilités d'éviter les grossesses.
Et le viol, tu y as pensé ? Et l'inceste, tu y as pensé ? As-tu, avez-vous pensé à l'état psychique dans lequel se retrouve les femmes après cela ? Croyez-vous qu'elles aient la lucidité suffisante pour penser même à la "pilule du lendemain", alors qu'elles sont capables de se taire pendant des semaines et des mois ? Je ne dis pas qu'il s'agit de cela, je dis que je ne sais pas, et que je n'ai aucun droit à émettre un jugement.
Et je vous pose une question, les garçons. Je sais que le viol ne vous épargne pas. Mais vous êtes-vous jamais demandé ce que cela peut être de porter, en plus, l'enfant d'un violeur ? La nature vous a au moins épargné cela.
Et pourquoi j'ai pensé à cela ? A cause des coups de couteaux. Les actes infanticides sont toujours violentsen eux-même, mais le plus souvent il s'agit d'étouffement. Mais les coups de couteaux, ce qui fait jaillir le sang, exceptionnels. Voilà, je me trompe peut-être, je voulais juste suggérer la prudence dans les jugements.
Hier je ne savais comment répondre, je ne trouvais pas les mots, c'est pourquoi j'ai mis une complainte sur mon blog. Sorte de compte-rendu de fait-divers à l'ancienne. Le répertoire est immense dans ce domaine, immense, pour une population bien moins nombreuse, et il est violent. Et le public friand de tous temps de ces histoires horribles. Je ne crois pas que nous soyons dans une pire situation.
Mon dieu quelle tartine ! On m'excusera ?

Calyste a dit…

K., je viens de chez toi et je ne trouve pas incompatible ce que nous disons puisque nous disons la même chose. Tout ce que tu dis de l'inceste et du viol conforte mon avis d'un égocentrisme grandissant et d'un non respect de la personne Y en a-t-il plus? Y en a-t-il moins? Je n'en sais rien et je m'en fous. Comme Cornus, je voudrais voir avancer l'homme plus vite dans son humanité (note que je ne parle pas de progrès, notion bien piégée aujourd'hui) et avoir avant de mourir un peu d'espoir que ce contre quoi je me suis toujours battu est en train de disparaître.
Quant à porter un enfant qui est le fruit d'un viol, je n'en connaitrai jamais la douleur, c'est sûr, pas plus d'ailleurs, y a-tu pensé, que la joie de porter celui d'un être aimé. Est-ce pour autant que je dois me taire? Je précise que dans cette affaire, il n'est nullement question d'inceste ou de viol et que la fille, étant étudiante, n'appartient pas au quart-monde. Donc je confirme ce que j'ai dit: ce n'est pas la fille que je condamne, c'est la société (présente ou passée) qui transforme des êtres humains fragiles en loques désespérées. Je n'ai porté de jugement contre personne, il me semble. Si je condamne quelqu'un, c'est nous tous, hommes ou femmes, moi compris. Ou alors je me suis mal exprimé.
Merci en tout cas de ta réaction. J'aime les gens vivants et entiers.

KarregWenn a dit…

Merci beaucoup Calyste pour ta réponse patiente et argumentée. Juste une petite dernière (promis !) remarque : le viol est loin d'être l'apanage du quart monde. Très loin. Et le milieu étudiant, précisément...
Mais assez sur la tristesse, n'oublions pas, aujourd'hui d'être joyeux ! Joyeuses Pâques à toi donc.
Bises marines

Calyste a dit…

Bonnes fêtes à toi aussi. Bises de l'intérieur!

Cornus a dit…

Oui, j'ai été péremptoire compte tenu de la briéveté de mes propos et non pour dire comme tout le monde, même si cela correspond à un sentiment apparent. Je n'ai pas fait de statistiques et je ne suis pas un train de dire que tout est plus mal aujourd'hui qu'avant. Bien au contraire, je pense qu'il y a plein de "mieux" aujourd'hui qu'il y a quelques dizaines d'années à peine, comme la CMU, l'IVG... (des droits qui malheureusement sont écornés depuis peu).
S., en tant qu'instit dans des écoles ni particulièrement "bourgeoises", ni particulièrement "favorisées", m'a raconté des choses effarantes sur les élèves et leurs parents (en cela les écoles Diwan sont assimilables à l'élite) et quand on voit les proportions de parents et de gamins à problèmes, souvent lourds, ça fait peur. Alors je compare avec ce que j'ai vu, vécu plus jeune. J'étais certes gamin et naïf, mais je pense sérieusement qu'on n'est pas à la même échelle. Tout n'était certes pas rose, mais j'étais dans une école publique ordinaire dans une petite ville ordinaire ouvrière. Aujourd'hui, la "classe ouvrière" n'existe plus en tant que telle. Elle a muté. Ceux qui n'ont pas pu ou pas su évoluer ont sombré dans la misère. Et dans le Nord-Pas-de-Calais, il faut voir ce que cela donne aussi. Je t'assure, KarregWenn, j'essaye d'être sincère. J'ai bien sûr globalisé sur des choses qui dépassaient largement les propos de Calyste sur les "seuls problèmes" de la contraception ou les grossesses non désirées, mais je ne pense pas me tromper outre mesure.

Cornus a dit…

Sinon, bonne contunuation de ce dimanche pascal. Je vous embrasse tous !

Calyste a dit…

Bonne "contounuation" alors, Cornus! Et bises partagées.

Lancelot a dit…

Hum, j’arrive un peu tard dans le débat pour dire que j’aurais eu tendance à penser comme Calyste : à quoi servent les informations sur la contraception et la sexualité qui ont lieu (entre autres) dans le cadre scolaire depuis de nombreuses années si c’est pour déboucher sur des grossesses non désirées et, pire encore, des infanticides ?
Ceci dit, les arguments de KarregWenn font mouche aussi : quid des conceptions dûes à des viols ou des incestes ?
Une des questions intéressantes qui se posent, c’est de savoir si ces situations sont plus courantes aujourd’hui qu’il y a 20 ans, qu’il y a un siècle, ou même davantage. Et, comme Christophe, je crois que non. Simplement les projecteurs des médias font du bruit autour, et malheureusement (comme pour tout) contribuent peut-être aussi à amplifier le phénomène.

Je crois que c’est une question vachement délicate, et, au risque de me faire huer, j’ai envie de dire que seules les femmes pourraient avoir voix au chapitre. Peut-on avoir une opinion objective sans avoir eu la possibilité de porter un enfant dans sa chair ? Je suis très mal à l’aise si l’on m’interroge là-dessus. Toutes proportions gardées, j’aurais envie de dire que c’est un peu la même chose que lorsqu’un hétéro porte un jugement sur le fait d’être homo. On ne peut pas savoir ce que c’est, ni si c’est bien ou mal, sans l’avoir vécu soi-même.
Ce qui, bien sûr, ne veut pas dire qu’on ne puisse avoir d’opinion. Mais, dans le cas d’une mère infanticide, avoir le pouvoir de juger du poids de la faute, et le devoir d’y accrocher une peine proportionnelle... Je suis très content de n’avoir pas été l’un des jurés.

Calyste a dit…

Oui, c'est une discussion inépuisable.