Et quand on a fini ce qui demande un effort assez prolongé et que l'on relit, on s'aperçoit que l'on n'a pas parlé de tout, que des éléments importants, ou ressentis comme tels au moment où ils apparaissaient, ont disparu, emportés par les fluctuations d'une pensée plus rapide que la main.
Alors je vais en sauver deux de l'oubli, comme ça, pris au hasard de cette même pensée vagabonde. Pourquoi ceux-là plutôt que ceux-ci? Pourquoi pas. Je ne fais pas oeuvre de démiurge mais d'impressionniste.
Le couple au restaurant de Bergame. Nos voisins de table, aperçus un moment avant sur la Piazza Vecchia. Deux français, tous les deux très jeunes, à peine plus de vingt ans. Le garçon mince et brun, presque fluet. La fille énorme, au corps de bourrelets, au visage de Madone, d'une grâce infinie. Conversation à peine ébauchée lorsque j'ai demandé au jeune homme ce qu'il mangeait et qui sentait si bon. La jeune fille m'intéressait davantage: je sais que ce que je vais écrire peut paraître méprisant (et je suis bien sûr que, dans ma tête, ça ne l'est pas) mais j'ai toujours plaint les gros en temps de fortes chaleurs. Moi qui ai toujours l'impression que même mes os transpirent, je ne comprends pas comment ils peuvent supporter ce que je pense être une profonde souffrance pour eux. Ils étaient au début tous deux assez silencieux, peut-être gênés par la présence si près d'eux de trois francophones, mais bien vite, en tendant l'oreille, je m'aperçus qu'ils avaient recommencé à bavarder, simplement un ton plus bas. Nous, par hasard, nous parlions de Freaks,le film de Tod Browning. Je fus le seul à l'entendre, elle, qui lui demandait à lui s'il avait aimé ses vacances avec elle. La réponse fut rapide mais je ne la saisis pas. Ensuite le silence s'installa, un long moment.
2 commentaires:
'Freaks', le hasard était malheureux, pour sûr !
J'ai aimé le début de ta note (mais on avait déjà parlé de ça toi et moi, je crois) sur le choix à faire entre écrire, décrire, sur le vif, ou plus tard. Personnellement j'ai préféré la 'corvée' (qui n'en était pas une pour moi) de relater au jour le jour, par peur justement, non pas d'oublier certains détails, mais de leur trouver moins d'importance avec du recul, et donc d'épurer mon récit. Et j'avais peur que le compte rendu (quelle vilaine expression) "a posteriori" en perde en saveur et en vérité. Ce qui, d'ailleurs, n'a pas empêché mon blabla sur le voyage en Sicile d'être très rasoir par moments. Mais je me méfiais surtout du phénomène de 'flemme' en rentrant. Je tenais donc à immortaliser par écrit, quotidiennement, et sur place. Bref.
Ta technique consistant à 'extraire' des souvenirs précis hors de la chronologie du voyage est effectivement une excellente idée. Bravo.
Ce sont parfois justement ces souvenirs secondaires qui restent en fin de compte le plus durablement dans la mémoire.
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