mercredi 11 février 2009

Nuit grise

Il savait déjà qu'il ne dormirait pas, ou mal.

Il en était à redouter l'endormissement. Comment faire face à la nuit qui venait? Une fois le livre posé à terre, dans un dernier sursaut de conscience, une fois la lampe refroidie, les bras rangés sous la couverture, comme un petit garçon, viendraient les mauvais rêves, ceux qui se ressemblent toujours, qui se cachent longtemps dans les recoins de la conscience, si longtemps qu'on les croit morts, et qui réapparaissent une nuit, parce que la garde est un peu baissée, la fatigue trop grande.

Rêves d'enfant coincé dans l'impossible: je ne peux plus avancer, mes jambes refusent de fonctionner, cette pente est trop raide, je vais me tuer. Et les deux plus horribles, presque rassurants dans leur refus de se transformer: celui de sa sœur s'enfonçant dans la vase alors qu'il ne peut esquisser le moindre geste; celui de l'escalier qui monte jusqu'à nulle part, jusqu'au passage de plus en plus rétréci où il doit pourtant s'engager.

Il sait qu'en les rêvant, ces rêves familiers, il les reconnaîtra, il se dira: ce ne sont qu'eux, aucune importance. Mais la conscience, suffisante pour les reconnaître, ne pourra les chasser, empêcher qu'il n'alourdissent la nuit, que le corps ne ressorte fourbu au matin de cette compagnie. Déjà ce corps regimbe en lançant des fourmillements, déjà l'esprit analyse le mal-être pour tenter de l'apaiser. D'où vient-il? La journée fut agréable. Serait-ce plus ancien, dans la mort, dans ce que l'on ne dit pas, pas même à soi, et qui finit par se dire tout seul?

Depuis longtemps, il ne connaissait plus ces angoisses qui réveillent au milieu de la nuit ou qui se créent à l'état de veille, lorsqu'au mieux on n'a pour se tenir compagnie que le bruit de l'urine du voisin de dessus dans sa cuvette. Depuis longtemps ces réveils, trop matinaux, étaient sereins, respectueux de la tiédeur des draps, de la douceur du coton sur la joue, de la moiteur de la nuque sur l'oreiller.

Il prit alors conscience, comme dans une fulgurance, que l'angoisse ne venait pas du fond de son âge, des strates entassées jadis mais de demain, de sa vie à gérer, cette vie si longtemps bardée de certitudes, de rocs inébranlables, de monuments d'amour. Aujourd'hui, elle avait éclaté en morceaux. Elle n'était plus unique. Un prisme nouveau, un kaléidoscope multiforme lui présentant d'autres facettes. Une existence variée mais incertaine, plus vraie sans doute mais encore toute à bâtir, en refusant, parce que l'on n'a pas le choix, de se dire que l'on construit pour durer, que rien ne viendra les lui prendre, ce bonheur, cette joie. En sachant maintenant la fragilité de l'humain, qu'il croyait éternel.

Alors, il ouvrit les yeux.

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