lundi 17 novembre 2008

Les femmes de ma vie (5): Béatrice.

Je marchais sans le savoir sur les pas de Dante Alighieri. Elle s'appelait Béatrice. Mon premier amour, ma petite fiancée. Son nom n'était pas Portinari mais elle en portait un sans doute francisé par un ancêtre qui voulait faire oublier ses racines italiennes.

Elle était brune. C'est le seul détail dont je me souvienne, avec un long cou de lys qui a peut-être initié mon amour de la nuque, là où le duvet frissonne sous le souffle du baiser, où j'aime tant sentir l'odeur de l'autre. Je ne sais plus rien d'elle, simplement que je l'ai aimée, que je découvrais avec elle -j'avais cinq ou six ans- les prémices des futures délices, sans me douter encore que ce ne seraient pas des bras féminins qui me les feraient partager.

Elle n'a jamais su que je l'aimais comme un fou. La folie était dans ma tête, la sagesse sur ma bouche et mon visage, comme encore souvent aujourd'hui. Je la regardais de loin, chantant, lorsque personne ne risquait de m'entendre, la chanson d'Alain Barrière: "Elle était si jolie". Ces mots disaient tout ce que j'éprouvais alors, même si je ne les comprenais pas vraiment.

En partant à l'école, je marchais le long du trottoir, tout au bord, sur une fine bordure, et me disais: "Si tu arrives jusqu'au prochain banc sans tomber, c'est qu'elle t'aime." Si j'y parvenais, j'étais heureux jusqu'au lendemain, où il me fallait renouveler l'expérience. Si je chutais, j'accusais le vent, un caillou mal placé, un camarade qui m'avait distrait, et je considérais l'essai comme nul, bien sûr.

Le soir dans mon lit, je frottais le drap ou la couverture contre mon visage pour en sentir la douceur et c'est à elle que je pensais, à sa peau que je n'ai jamais touchée, que je n'ai jamais même effleurée, avant de m'endormir bien vite.

Un jour, ses parents ont déménagé. Je ne l'ai plus vue. Ma première peine amoureuse. J'ai toujours souffert d'être abandonné. Je me souviens d'avoir ressenti un grand vide. Mais elle m'avait appris sans le savoir la sensualité et le désir, deux choses dont je ne me suis jamais départi dans ma vie, même si le vert paradis des amours enfantines a, depuis quelque temps déjà, pris les nuances mordorées d'un bel automne ensoleillé.

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4 commentaires:

S. a dit…

Quelle tendresse se dégage!!! On oublie parfois nos tous premiers "amours". C'est marrant que tu nous racontes ceci, ça me rappelle quelques souvenirs.
Grosse bise, S.

Calyste a dit…

C'est bien que tu aies senti de la tendresse en lisant ce billet. C'est ce sentiment exactement qui m'habitait en écrivant. Je n'avais pas évoqué ces souvenirs depuis très longtemps et je me suis demandé ce qu'elle était devenue, cette Béatrice, que j'embrasserais encore bien volontiers aujourd'hui. Elle serait sans doute la première surprise!
J''espère que toi aussi tu me feras part de tes premières amours, dans ton blog... ou autour d'un pastis!
Je t'embrasse. R.

Anonyme a dit…

Oui, c'est très joli... Et, bien sûr, on s'est tous lancé les mêmes défis quand on était enfants : si le chat se laisse caresser... si 5h sonnent avant que mes parents ne me rappellent... si j'arrive à compter 5 voitures vertes avant d'arriver chez moi... etc etc etc..

"le vert paradis des amours enfantines a, depuis quelque temps déjà, pris les nuances mordorées d'un bel automne ensoleillé." hum, belle formule...
Au fait c'est bien en automne, ou en fin d'été, que les cerfs brament et poursuivent les chevreuils (ou les biches, enfin, bon, bref...) dans les sous-bois...?

Calyste a dit…

Merci pour les compliments, mon cher Lancelot. Le brame, oui, les cerfs sont en plein dedans, je crois. Moi, comme tu peux le constater, je compense avec la pédagogie!!!! et comme disent les italiens: "Se non è vero, è ben trovato!" :-))