lundi 17 novembre 2008

La Cicatrice

Je viens de terminer la correction d'un contrôle de lecture de ma classe de cinquième portant sur le roman de Bruce Lowery publié en 1960: La Cicatrice (Éditions J'ai lu).
Jeff, un préadolescent affublé d'un bec de lièvre, a du mal à se faire accepter dans sa nouvelle école où on le traite de "grosses lèvres". Un jour, il parvient à se faire un ami de Willy, le grand, le héros de l'école. Pour avoir quelque chose appartenant à son idole, il lui dérobe un soir une partie de sa collection de timbres. Pris par le remords et de plus en plus rejeté par les autres, Jeff va devenir hargneux et méchant et, à Pâques, repoussera son petit frère venu lui offrir un oeuf. Ce dernier, en allant se réfugier auprès de sa mère, tombe dans l'escalier et se tue. C'est Jeff lui-même qui tient lieu de narrateur.

Rares sont les années où je n'ai pas proposé ce livre à la lecture de mes élèves. Il ne les laisse jamais indifférent. Mais, au fil des ans, je constate une évolution certaine dans leur appréciation. Au début, il y a donc environ trente ans, cette histoire de culpabilité, de remords, interpellait les élèves au plus profond d'eux-mêmes. Ils s'assimilaient totalement à Jeff, à sa révolte, à sa violence. Ils dévoraient ce livre un peu comme on se regarde dans un miroir et la mort de Bubby, le frère, à la fin, les faisait réfléchir sur la part de responsabilité de Jeff dans cette mort.

J'avais pour habitude d'ériger la classe en jury de tribunal. Chaque élève devait se prononcer clairement et répondre uniquement par oui ou par non selon qu'il condamnait Jeff ou pas. En général, il était condamné. Même s'ils comprenaient cet adolescent et voyaient en lui un grand frère proche, tout proche d'eux, ils n'acceptaient pas la mort d'un enfant, même purement accidentelle.

Aujourd'hui, j'ai tenté la même expérience: Jeff a été largement acquitté. On pourrait penser que les élèves actuels sont plus réfléchis, pèsent davantage le pour et le contre et tiennent heureusement compte de la part de hasard dans cette chute dans l'escalier. Pourtant, je ne crois pas. Je pense plutôt que cette mort les indiffère davantage, qu'ils sont accoutumés à ces fins cruelles (même si certains, en donnant leur avis, ont regretté que le livre se termine sur cette note sinistre) par le cinéma ou la BD.

Un argument soutenant ma thèse est la critique presque générale qu'ils ont adressé au livre: ça manque de suspens, c'est trop lent. Et j'entends souvent ce même refrain: si un roman ne contient pas douze actions par page et presque autant de morts et de rebondissements par chapitre, ce n'est pas un bon roman. Vive l'influence de la série américaine! J'ai beau leur expliquer qu'un roman d'actions n'est pas un roman d'analyse, qu'une bluette sentimentale n'est pas de la science-fiction, ils n'en démordent pas. Je crains que certains d'entre eux (pas la majorité, Dieu merci) ne lisent toute leur vie, s'ils lisent, que le même type d'ouvrages, que l'on peut certes apprécier mais d'où l'on doit parfois sortir pour admirer le paysage alentour et goûter à la diversité de la production littéraire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Qund j'avais lu "La cicatrice" , ma 6° était déjà loin derrière moi ! Je devais avoir 22 ou 23 ans. Je me souviens que le début (l'histoire du rejet du héros, et du vol des timbres) m'avait un peu ennuyé. En revanche, la fin, après la mort du petit frère, m'avait bouleversé et le récit des remords et de la culpabilité qui en avait découlé m'avaient fait énormément réfléchir.

Il m'arrive de me demander si les livres où il est question d'enfants sont plus accessibles aux enfants, justement. Les débats dont tu parles me semblent très intéressants et j'aurais aimé participer à ce style de choses quand j'avais 11 ans. Mais je me souviens justement qu'en 6° notre prof nous avait fait travailler sur la trilogie des Souvenirs d'Enfance de Marcel Pagnol. Heureusement, je les avais lus et appréciés deux ans auparavant. Parce qu'elle abordait ça d'une façon tellement chiante et rébarbative (pour exemple : elle nous avait donné en exercice de corriger les fautes d'orthographe et de syntaxe de la lettre de Lili dans 'le Temps des Secrets' !!!!)que je m'étais dit que j'aurais détesté ces bouquins si je les avais découverts avec elle...

Calyste a dit…

Oui, certaines modes pédagogiques ont été de graves erreurs, en particulier celle consistant à presser toujours le même texte (ou le même auteur) jusqu'à plus soif, jusqu'à ce qu'il ait rendu tout son jus. Après, ces textes et ces auteurs ne sont plus bons qu'à jeter. En tant que prof, j'ai eu une indigestion de Pagnol. Une prof de français de mon lycée (la seule femme que j'ai eue dans cette matière) m'a fait détester Camus (heureusement réhabilité par une de mes élèves de seconde en 79.)
Il faut laisser de la liberté, de l'espace aux élèves pour qu'ils puissent construire leur propre lecture, correspondant à leur propre sensibilité. Et tant pis si leur interprétation de l'ouvre n'est pas académique. L'essentiel, c'est de lire et de réagir.