lundi 16 juin 2014

L'élastique

Après avoir vu hier, je crois, le film Secrets et mensonges de Mike Leigh, qui raconte les retrouvailles d'une jeune femme avec sa mère qui l'avait abandonnée alors qu'elle venait de naître, j'ai repensé à mon père, celui qu'ici, j'appelai P1 lorsque j'en parlais. Cela n'a rien à voir et pourtant.

J'aurai 62 ans à la fin de cette année. Mon père est mort à 24, j'avais 7 mois à l'époque. Sur les photos en noir et blanc, il a l'air tellement sérieux qu'enfant, je n'ai jamais compris qu'il était si jeune. Et plus je vieillis, plus je trouve cette mort scandaleuse. Pour lui, et pour moi aussi.

Je dis toujours que je ne l'ai jamais connu. Pourtant, je l'ai connu 7 mois, il m'a porté dans ses bras (il paraît qu'il était très fier d'avoir un fils, comme, je le suppose, tout père doit l'être, mais je ne connais pas la paternité), je l'ai touché, mes yeux l'ont vu, et je ne me souviens de rien, bien sûr. Scandale aussi pour moi.

Le plus étrange, c'est que je suis toujours son fils et que cela agit comme un élastique : je ne peux l'imaginer vieux (il aurait aujourd'hui 86 ans), alors quelque part, en moi, je suis toujours son bébé. J'ai grandi, j'ai vieilli, l'élastique s'est étiré jusqu'à ce soir, et se redétend parfois parce qu'une partie de celui qui le tire est resté accroché là-bas. Mais l'élastique est solide et accepte chaque fois de se retendre. Il n'a jamais craqué. La vie, quoi.

6 commentaires:

plumequivole a dit…

J'ai bien aimé ce film même si j'ai été gênée par l'actrice qui joue la mère et qui surjoue abominablement à mon goût. Mais il pose vraiment de très bonnes questions. Je ne me les étais vraiment jamais posées jusqu'à ce qu'une amie proche commence à rechercher sa mère biologique. De l'écouter et de la suivre dans ses recherches, longues et éprouvantes m'avait appris beaucoup.

Cornus a dit…

J'ai commencé à regarder ce film qui ne plaisait pas à Fromfrom et j'ai fini par renoncer aussi, sans doute parce que c'était assez éprouvant et la mère surjoue comme le dit justement Plume et sa voix doublée bien trop aiguë et désagréable. Ceci dit, si j'avais été dans d'autres dispositions et avais eu suffisamment de patience...

Sinon, très bien ce que tu dis de ton père P1.

Jérôme a dit…

Je me suis rendu compte récemment, avec plus d'acuité, de l'importance d'être un fils/un enfant et comment cet état est une part de notre identité.
Peut-être est-ce plus fort quand on est pas devenu soi-même père.

Nicolas a dit…

J'aime beaucoup cette image de l'élastique. Beau billet.

plumequivole a dit…

Cornus > Je l'ai regardé en VOST et t'inquiète c'était pas mieux pour le suraigu de la voix !

Calyste a dit…

Plume et Cornus : moi aussi la voix de l'actrice principale m'a gêné, et pour les mêmes raisons. Je croyais que c'était dû au doublage, mais en fait, apparemment, il n'en est rien. Cela dit, c'est tout de même un excellent film.

Jérôme : et je crois que c'est plus fort aussi, paradoxalement, en vieillissant.

Nicolas : merci. Je voulais la développer davantage, au risque d'alourdir ce billet, mais je vois que vous avez tous compris ce que je voulais dire.