samedi 14 novembre 2009

Photographier

Je suis de plus en plus passionné par la photographie. Mon "compte pro" chez Flickr vient justement de se terminer et il faut que je pense à me réabonner pour deux ans. J'ai toujours sur moi mon Lumix, à la main ou dans la poche, où que j'aille, y compris pour faire trois cents mètres ou acheter du pain. C'est souvent dans les moments où l'on s'y attend le moins que la scène à ne pas manquer se produit, au coin de la rue, dans un magasin, n'importe où.

Ce soir, dans le quartier de la Guillotière, c'était une symphonie de klaxons, des youyous et des envolées de drapeaux algériens: le match de football entre l'Algérie et l'Égypte allait bientôt commencer. Cela donnait au quartier une ambiance encore plus bon enfant que d'habitude et tout le monde, ou presque, avait le sourire. Aux dernières nouvelles (je viens de vérifier chez Google), c'est l'Algérie qui l'a emporté par trois buts à un. Mais je n'ai pas entendu les défilés de voitures après la victoire: j'étais invité à dîner chez Jean-Claude.

Après la place du Pont (nom couramment donné par les lyonnais à la place Gabriel Péri), j'ai traversé le Rhône pour quelques instants dans la presqu'île. Et c'est là, en continuant à photographier à droite à gauche que je me suis rendu compte de quelque chose: j'ai l'impression qu'actuellement la photographie a très bonne presse dans la société. Est-ce l'apparition du numérique et, de fait, la plus grande facilité à se laisser aller au mitraillage qui a fait évoluer les mentalités? Avant, il fallait développer les clichés, et cela devenait finalement assez cher, sans que l'on soit certain d'avoir des résultats concluants. Aujourd'hui, on essaie, et si cela ne convient pas, hop, on efface. Ainsi voit-on de plus en plus de photographes amateurs dans les rues de Lyon qui, il faut bien le dire aussi, depuis quelques années, est devenue une grande ville touristique (il suffit d'ouvrir grand ses oreilles pour s'en rendre compte).

Ce qui a également beaucoup changé, c'est la réaction des gens face à l'appareil. Il y a quelques années, et même encore quelquefois aujourd'hui, les gens n'appréciaient pas qu'on les photographie. Sans aller jusqu'à la croyance de certains peuples qui considèrent que figer l'image de quelqu'un, c'est lui voler une part de son âme, on avait tendance à éviter d'être dans la ligne du viseur ou à refuser énergiquement d'être pris en photo. Maintenant, certains le demandent même: ainsi ce vendeur de pains pendant la période du ramadan qui a voulu poser après que je lui ai demandé de photographier sa marchandise.

Bien sûr, quand on prend une photo dans la rue, on tâche de rester le plus discret possible, de ne pas se faire remarquer pour ne pas gêner les gens et aussi par curiosité peut-être un peu malsaine de les prendre sur le vif, dans leur quotidien au naturel. Mais il arrive que l'on soit surpris en pleine action. Pour l'instant, la réaction la plus négative que j'ai constatée est une indifférence absolue à ce qui arrive. La plupart du temps, les gens sourient. Société marqué par le spectacle facile et omniprésent? Ou petit bonheur d'avoir été remarqué alors que l'on ne fait rien pour? Je n'en sais rien. Ce que je vois, ce sont des gens qui vivent maintenant en parfaite harmonie (ou indifférence) avec l'image, qui arrêtent leurs pas un instant pour vous laisser finir les réglages et appuyer sur le bouton, qui font des détours pour ne pas s'interposer entre le sujet photographié et vous. Ce sont des gens qui deviennent même vos complices lorsqu'ils vous voient dérober furtivement une vue et s'arrangent pour vous masquer à la "proie" convoitée.

Je sais que cela peut paraître étrange de voler ainsi un instantané de la vie de quelqu'un, que certains le considèrent comme une intrusion dans la vie privée, comme une agression quasi physique de la personne. Moi, j'y vois au contraire une grande marque d'amour pour l'humanité, la preuve d'une fascination pour son semblable et en même temps autre, le désir de retenir des instants de beauté fugitifs des êtres ou du monde, la commémoration par la création d'une Création première, ou souvent aussi la volonté de choquer pour faire réagir, comme pour cette photo prise cet après-midi aux abords de la place Bellecour.

La dernière chose que je veux dire, mais est-ce bien nécessaire, c'est le plaisir intense que j'y éprouve, plaisir davantage axé sur la prise de la photo que sur sa contemplation ensuite, encore moins sur sa modification (je ne retravaille jamais aucune photo)! Je souhaite cependant, dans un ordre d'idées assez proche, que jamais, au grand jamais, les gens ne s'habituent à être de plus en plus souvent filmés dans les rues des villes par des caméras omniprésentes qui sont, paraît-il, destinées à leur garantir un plus grande sécurité. Mais je redoute que l'homme, par paresse, ne s'habitue à tout!

10 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Moi j'ai lu que l'Algérie avait perdu 0-2 mais sans certitude.
Ce qui me gêne le plus dans la photographie de personnes, c'est leur publication. Liée au risque que quelqu'un la voit et dise, tiens tu étais là ce jour-là, je te croyais ailleurs. La probabilité que cela arrive exactement comme ça est infime, je sais. Mais ça m'inquiète toujours.

KarregWenn a dit…

Moi qui à peu de choses près ne porte atteinte à l'intimité que de la mer, des églises et des arbres, dois-je craindre des représailles ? Une vague scélérate, un lancer de gargouille, une bogue de châtaigne assassine ? (tiens j'y pense, y a eu une tentative). En plus avec mon petit appareil de rien du tout, je les massacre parfois...
C'est sans doute idiot, mais malgré l'envie je n'ose pas souvent photographier les gens.

Cornus a dit…

J'aime bien cette façon d'aborder la photographie. Façon humaniste, mais en définitive pas si douce que ça vu la 3ème photo qui résume toutes les violences de notre société. Sans jamais oser les photographier, je me sens souvent ulcéré quand je vois des SDF couchés sur les grilles de ventilation du métro, notamment la première fois à Lille vers 6 heures du matin, où j'avais croisé un "tas de déchets" avant de m'apercevoir qu'il y avait du monde là dessous. Et je le répète, avec un minimum de volonté politique, on pourrait assez facilement éradiquer ce type de misère, pour un coût pas si exhorbitant que ça. Mais tous les politiques qui se sont succédés n'ont pas voulu le faire, pour des raisons scandaleuses et inhumaines. J'ai eu l'occasion d'en parler, je me calme.

En ce qui me concerne, je m'efforce de toujours faire en sorte qu'il y ait le minimum de monde sur les photos que je prends (édifices, monuments, paysages) et je ne prends jamais personne en photo (en dehors des miens), sauf une fois cet été où j'ai photographié une dame qui rejoignait un mariage et qui était épouvantablement ridicule avec son chapeau. Et puis avec mon appareil actuel, il m'est difficile de prendre en photo les gens à leur insu.

A l'époque de l'argentique, les gens (grand public) ne faisaient pas beaucoup de photos effectivement parce que cela avait un coût et que beaucoup étaient ratées. Maintenant, ce qui plaît, c'est l'immédiateté et la possibilité de faire plusieurs essais. Toutefois, j'ai l'impression que la plupart des amateurs (c'est-à-dire plus amateurs que moi qui en suis) ne maîtrisent absolument pas leur appareil (du genre mettre le flash intégré pour photographier une scène se trouvant à plusieurs dizaines de mètres) et conservent toutes leurs photos, y compris les plus ratées.

J'ai connu une personne (une collègue), aujourd'hui disparue, qui refusait de se faire photographier, même si on ne pouvait pas la reconnaître sur le cliché. Et ce n'était pas une simple coquetterie. A tel point qu'un autre collègue, voulant immortaliser une scène alors que nous étions à bord d'un hélicoptère (pas très commun pour des bot*anistes "ordinaires") s'était fait méchamment engueulé. J'ai eu ensuite un début d'explication sur une telle attitude, mais c'était trop tard.

Kab-Aod a dit…

Pour Pêr et moi, l'inverse s'est produit : depuis que nous sommes passés au numérique (en 2004 ; notre Nikon argentique nous ayant lâché), nos albums/photos ne sont plus du tout alimentés. Comme si la magie avait cessé. Certes, la caméra nous aura permis, avec un souffle nouveau, de filmer quelques souvenirs, mais quand je feuillète les anciens albums je sens bien que quelque chose a disparu en cours de route, un je-ne-sais-quoi qui était de l'ordre de la mise en scène rare.
Il y a encore peu, alors nous filmions, je me suis confronté à ce constat : lorsque je me promène avec mon numérique, je ne sens pas libre d'observer globalement...

Upsilon a dit…

Le développement du numérique est lié à mon avis à un changement de la fonction de la photo. Jadis, on photographiait pour des souvenirs, naissance, bapteme de la petite derniere etc, et ça avait un cout : le développement des pellicules.
Depuis le passage au numérique, il y n'y a plus de risque de louper une photo, mais l'on ne prend plus de photo que pour le souvenir, on développe son coté artistique, c'est plutot positif.
En revanche, comme nous sommes dans une société où il y a surabondance d'images (ah Debord), nos photos viennent se superposer à une masse déja abondante. Pourtant les gens ne répugnent pas à se faire photographier : ils ne perçoivent pas la photo comme un possible élément coercitif ou une atteinte à leur vie privé. Personnellement, je ne photographie pas trop les gens. Moi j'aime bien le jeu de lumières et des perspectives....

Upsilon a dit…

J'étais rue Paul Bert samedi soir avant le match : on se croyait à Alger ! Mais il y avait des inconscients qui créaient des torches avec des bombes de laque !
La lumière vers 17 h était étrange ! J'ai pris quelques photos sympatoches du coté du 6e...

Nicolas Bleusher a dit…

J'ai l'ambition d'un nouveau blog orienté photographie plutôt qu'écriture. Mais il y en déjà tellement...

Aurais-je l'œil autant que la plume ? :)

Ce que je sais, c'est que je prends un réel plaisir à choisir et recadrer les photos qui illustrent mon carnet.

Décidément, je ne sais que parler de moi. Désolé.

Bonne fin de week-end, mon Calyste... :)

Calyste a dit…

Tu as raison, Olivier: 2-0 pour l'Égypte! J'ai explique mon erreur dans le billet d'aujourd'hui.

Pour ce qui est de photographier des gens, j'ai longtemps hésité. Mais je crois que c'est ce que je préfère dans la photographie, avec les jeux de lumière et les lignes géométriques (un peu comme toi,-Y-). C'est en grande partie pour pouvoir le faire que j'ai changé d'appareil et opté pour un zoom plus puissant.
C'est vrai que j'éprouve toujours une certaine gêne à photographier de pauvres bougres au bord des trottoirs. Pourtant ce qui me fait le plus mal, ce n'est pas de les photographier, c'est que cela existe et, en me mettant une barrière, en reculant devant le fait de les montrer, j'aurais l'impression de participer encore plus que je ne le fais à une hypocrisie nationale.
Il est vrai, Kab-Aod que se promener avec un appareil photos, c'est perdre un peu de sa liberté, c'est devenir souvent obsessionnel et perdre de vue le général pour ne plus voir que le détail, une couleur, une forme, une ombre, une symétrie, etc. On peut sans doute dire l'inverse, c'est-à-dire que choisir pour photographier, c'est entrevoir l'essence derrière l'apparence. Peut-être!
Mais que fais-je d'autre, Nicolas, que de parler de moi, aussi. Nous ne parlons tous que de nous, sans cesse. Et quand tu termines par "mon Calyste", moi ça me plait bien!
Moi j'étais place du Pont et j'ai eu la même impression. Nous nous sommes peut-être croisés, qui sait. En tout cas, entièrement d'accord pour la lumière particulière. Moi aussi, j'ai fait quelques photos depuis les quais du Rhône, avant qu'elle ne disparaisse. Je vais allé jetre un œil aux tiennes.
Bonne fin de soirée à tous.

D. Hasselmann a dit…

La photo capte aussi celui qui la prend : elle renvoie au photographe comme en creux (en négatif ou positif).

Finalement, une photo qualifie toujours son auteur : il suffit de la décrypter.

C'est pourquoi j'aime - entre autres - ces photos ici.

Calyste a dit…

Bien d'accord avec vous, Dominique. Il me semble même parfois que l'on se livre plus par ses clichés que par ses mots, car on sait moins les manipuler, les rendre menteurs pour se cacher. La photo parle, le mot, souvent, tait.