lundi 6 octobre 2014

Fiction (15)



Vivant mais intrigué par les coups que l’on frappait à la porte d’entrée. Qui faisait un tel vacarme ? Ma colère ne dura qu’un instant, le temps de constater qu’il était plus de neuf heures et que, si je voulais faire quelque chose de ma journée, c’était le moment de me lever. J’enfilai ma robe de chambre pour aller ouvrir après avoir reconnu la voix de Dorée. Le livre sur Cimabue traînait encore sur un des coussins du canapé.

- Oh ! Je suis désolée ! Vous dormiez encore ? Je croyais que vous étiez déjà debout.
- Aucune importance. Il est tard déjà et je ne suis pas venu en Toscane pour traîner au lit.
- Vous avez l’intention de visiter quelque chose aujourd’hui ?
- J’avais vaguement le projet de revoir Pise mais je me décide toujours à la dernière minute, selon l’humeur du moment.
- Mais c’est une excellente idée. Accepteriez-vous que je vous accompagne ? Tom est fatigué ce matin et plutôt grincheux, si vous voyez ce que je veux dire. Il n’a pas l’intention de sortir et je me vois mal le supporter la journée entière. Dans ces cas-là, il est préférable de le laisser seul.

Comment un tel colosse pouvait-il être fatigué ? Il me semblait que, moi, si j’avais sa carrure, je ne me laisserais pas aussi facilement abattre. Le gaillard serait-il du genre footballeur, prêt à geindre au premier bobo ? Mais je ne voulus pas que le temps que je mettais à répondre soit interprété par Dorée comme une fin de non-recevoir. Après tout, pourquoi pas ? Même si je préférais visiter seul, cela me donnerait l’occasion de la connaître mieux.

- Avec plaisir ! Laissez-moi une petite demi-heure pour me doucher et déjeuner et je suis à vous. Nous prendrons ma voiture : je déteste être conduit.
- Vous ne faîtes pas confiance aux femmes pour conduire ? Il paraît que c’est un défaut bien français !
- Pas du tout, je vous assure, mais il se trouve que la conduite d’un autre, homme ou femme, me rend toujours nerveux.
- Alors, c’est entendu. A tout à l’heure. Et, dans ce cas, pour vous rembourser de l’essence, je vous invite dans un petit restaurant à midi.

Je n’eus pas le temps de protester : elle remontait déjà la rocaille de sa démarche souple et athlétique.
Une demi-heure plus tard, comme convenu, nous nous retrouvâmes sur la terrasse. Elle avait passé la robe légère que je lui avais déjà vue, mais, par précaution, avait fait suivre un lainage. Aux pieds des chaussures légères et confortables pour la marche. Pas un instant, Tom ne fit une apparition. Drôle d’individu qui acceptait sans broncher que sa femme parte pour la journée avec un autre homme, un presqu’inconnu. 

- Je dois vous prévenir qu’il m’arrive de fumer en roulant.
- Je l’avais deviné. Votre voiture sent un peu le tabac. Mais cela ne me dérangera pas si j’ouvre la vitre.

Et elle partit d’un grand éclat de rire tout en me tapotant l’épaule.

- Vous êtes vraiment très gentil d’accepter ainsi que je visite avec vous. Je vous le promets : je me ferai toute petite. Je ne bavarderai pas plus qu’il ne faut si cela vous ennuie.

Effectivement, la majeure partie du trajet s’effectua sans que nous échangions plus que quelques phrases, par politesse plus que par réelle nécessité. Elle ne se plaignit jamais lorsque j’allumais une cigarette et se contenta, comme elle l’avait dit, d’ouvrir en grand la fenêtre. J’appréciai surtout le fait qu’à aucun moment, elle ne fit une remarque sur ma façon un peu « sportive » de conduire et que jamais elle ne donna l’impression d’avoir peur, en s’agrippant à la poignée ou en freinant involontairement dans le vide.

Quand nous arrivâmes aux abords de Pise, la conversation devint un peu plus soutenue. J’avais presque oublié sa présence lorsqu’elle me demanda : 

- Vous connaissez les Pays-Bas ?
- J’y suis allé il y a quelques années, chez des amis à Utrecht. Je les avais connus en vacances, dans le sud de la France et ils m’avaient invité à découvrir leur pays.
- Et vous avez aimé ?
- Comment ne pas aimer ? Vous possédez un nombre incalculable de musées, tous plus intéressants les uns que les autres, et tellement variés dans ce qu’ils proposent. Et puis les gens sont accueillants, même si l’on se sent parfois un peu dépaysé par certaine coutumes locales.
- Tiens ! Lesquelles, par exemple.
- Eh bien, le fait que vous dîniez très tôt le soir, beaucoup plus tôt qu’en France, ou que votre porte soit, dans la soirée, ouverte à tous vos amis, qu’ils aient prévenu de leur passage ou pas. J’ai passé plus d’un mois à Utrecht, en rayonnant un peu partout dans le pays puisque, chez vous, rien n’est vraiment loin de rien. Mais je dois vous avouer qu’au bout de ce mois, j’avais une envie furieuse de montagnes et de sapins. Mes paysages familiers finissaient par me manquer.
- Ce que je peux comprendre. Il nous arrive à nous aussi d’avoir envie de voir quelques bosses à l’horizon. Et pour cela, la Toscane nous ravit, Tom et moi.

Nous échangeâmes encore quelques généralités sur la Hollande. Dorée semblait à la fois touchée que je connaisse aussi bien son pays et surprise que j’en aie fait une destination de vacances. Selon elle, il y avait tant de choses à découvrir en France ou dans le sud de l’Europe. Elle, ne cherchait que le soleil et une mer aux eaux chaudes. 

Nous ne vîmes pas passer les derniers kilomètres. Finalement, je ne regrettais pas de l’avoir emmenée : elle se révélait plus cultivée que je ne l’avais pensé au premier abord, plus spirituelle aussi, malgré une certaine gêne parfois à trouver ses mots dans ma langue. Et son rire, qui fusait très souvent, me plaisait. J’aurais simplement préféré qu’à chaque fois qu’elle riait, elle ne me tape par sur l’épaule. Bien piètre défaut chez cette femme très agréable autrement !



4 commentaires:

Cornus a dit…

La Hollandaise plus "normale" que prévu. Mais cela cache-t-il quelque chose ? Et le Hollandais plus secret, fourbe ?...

karagar a dit…

Tiens, le héros partage bien des points communs avec moi, automobilement parlant..

karagar a dit…

sinon, je pense qu'elle l'a occis

Calyste a dit…

Cornus : il est sûr qu'ils cachent quelque chose, mais quoi ?

Karagar : avec moi aussi !

Karagar(2): je ne crois pas !