samedi 22 décembre 2012

Poète en herbe

Un petit costaud, du genre râblé, plutôt le style sportif qui n'a pas d'états d'âme, un autre de mes élèves de sixième. Cette semaine, après un cours, il vient me voir avec une feuille de classeur à la main. Ce n'est pas pour contester une note puisque le format du papier ne correspond pas à celui que je demande pour les devoirs. Mais que me veut-il ? Je suis d'autant plus intrigué qu'il attend patiemment que tous ses camarades soient sortis pour enfin me parler, lui qui, d'ordinaire, n'a pas la langue dans sa poche.

 "Monsieur, est-ce que vous pourriez lire ça et me dire ce que vous en pensez ?".
Pas besoin d'être un grand expert pour voir immédiatement qu'il s'agit de poèmes, cinq ou six, un long et les autres plus brefs. Comment j'ai une autre classe qui m'attend, je lui propose de reporter au lendemain notre entrevue et mes commentaires. Il accepte de me laisser partir avec son œuvre, qui lui tient probablement beaucoup à cœur.

Le soir, chez moi, je retrouve la feuille oubliée dans mon cartable et me mets à lire. Il s'agit de poèmes d'amour, ou plutôt de désamour, après rupture. Je n'en reviens pas: ainsi donc, ce garçon plein de vitalité aime, ou a aimé, ou aime encore! Il n'a pourtant rien du romantique pensif et souffreteux!

Poèmes maladroits et truffés de fautes d'orthographe mais poèmes originaux, pas mièvres pour deux sous. Certes la rime est hasardeuse et la versification approximative mais c'est plutôt bien pour un élève de son âge. Je le lui dis le lendemain et l'incite à poursuivre dans la voie de l'écriture.

De cette lecture, il me reste un seul ver qui m'a beaucoup fait rire:
"Et tes mains de serpent ont osé lui dire non."
Licence poétique, sans doute...

9 commentaires:

P. P. Lemoqeur a dit…

Tu as des élèves rares et qui te font confiance... C'est peut-être dans ta carrière de pédagogue, la chose la plus importante que tu auras vécue...
Ce gamin et sa demande, c'est ton bâton de maréchal. Il n'aurait pas demandé ça à n'importe qui. Bravo ! tu peux prendre ta retraite fier et qui sait, ému...

plumequivole a dit…

En lisant ta note je me suis fait la réflexion que j'avais eu en 6ème5ème des profs dans ton genre (!!!) à qui j'aurais pu montrer mes "pattes de serpents" et sûrement ils auraient été très réceptifs et accueillants. Et je ne l'ai jamais fait. Vraiment dommage.

Calyste a dit…

PP: n'en jette pas trop! J'ai mes mauvais moments aussi!

La Plume: pas de regret, La Plume. il ne faut pas.

Anonyme a dit…

Il se cache souvent des coeurs sensibles sous les cuirasses et c'est touchant qu'il puisse sortir quelque chose de sensible et d'intime d'un élève aux apparences rudes. C'est encore plus touchant qu'il fasse confiance au professeur (et que ce dernier inspire confiance!) pour lui confier sa production. Ce métier vaut encore pour ces petits moments d'échange...

Calyste a dit…

Laurent Pierre: n'oublie pas qu'ils sont plus jeunes que les tiens, et donc en principe plus ouverts à l'enseignant. Je ne crois pas que mes "qualités" personnelles y soient pour grand chose.

Didier M a dit…

Belle histoire qui me fait penser au film de François ozon "Dans la maison". J'ai lu ton texte comme un conte. Plein d'émotion. Trés de saison. Bon Noël. D + D

Calyste a dit…

Didier: merci à toi et bon Noël à vous deux. Je vous embrasse.

Cornus a dit…

Bien sûr que le fait de donner à lire ses propres productions, non soumises aux notes "normales" n'est pas anodin, sutout quand on livre des choses personnelles. Et il faut avoir confiance. Tout cela est charmant.

Calyste a dit…

Cornus: et en plus, c'était pas si mal que ça!