lundi 10 février 2025

Rumination

Cette année, cet été, il y aura vingt ans que Pierre est mort. Vingt ans ! J'ai du mal à y croire. Vingt ans que je suis seul dans cet appartement que j'ai, des années plus tard, fait rénover mais où les meubles sont toujours les mêmes. Je les ai regardés hier soir parce que je ne les vois plus. Son piano, à tout jamais muet, sa bibliothèque où j'ai gardé ses livres de sociologie que je me promettais de lire un jour et que je n'ai jamais lus. Ses pantoufles, son rond de serviette, sa robe de chambre, dont se sert un ami lorsqu'il dort ici. J'ai donné beaucoup de ses vêtements mais pas tous. Il m'arrive de mettre une de ses chemises et j'ai toujours sa polaire qui lui a longtemps tenu chaud pendant sa maladie.

Mais à quoi cela rime-t-il ? Je crois que l'on ne fait jamais vraiment son deuil même si la vie, peu à peu, redevient vivable. J'ai osé, un jour, faire de sa chambre la mienne, de son lit le mien. Il m'arrive parfois, en me réveillant, de faire attention à ne pas faire de bruit, comme s'il était encore là à dormir. Ou bien, je me dis :tiens, il est déjà debout ! 

Pourquoi tout cela, et tout ce que je ne dis pas, me revient ces jours-ci ? Le repas chez son ancien collègue de boulot, aujourd'hui atteint d'Alzheimer ? Le temps à chier, ce gris, ce ciel bas et lourd, comme disait l'autre ? Le fait que j'en ai marre du livre que je lis, de la série télé que je suis, du téléphone trop souvent muet, même de mes balades ? 

Bon, allez, il paraît que les cigognes sont de retour. Bientôt le ciel beau ?

13 commentaires:

karagar a dit…

Dans ton inventaire, c'est le piano muet qui m'a fait un peu toucher du doigt ce que tu voulais dire.

CHROUM-BADABAN a dit…

Je crois qu'on ne fait jamais son deuil.

phil a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Petrus a dit…

La chambre et le lit c'est particulier. Mon père est mort il y a un an et je n'arrive pas à utiliser sachambre à la maison de campagne.
Tabou ? Pudeur ? Respect ? Je ne sais pas.

Anonyme a dit…

Il devait revenir à une de ses nièces, mais elle n'en a pas voulu.

Calyste a dit…

Encore un coup de l'anonyme ! Il commence à me gonfler, celui-là !

Calyste a dit…

En plus, c'est une expression horrible, je trouve.

Calyste a dit…

Normal. A moi, il a fallu des années. Je pense que c'est tout ce qui tu dis.

Cornus a dit…

Comme on le sait, j'ai quand même assez longtemps vécu complètement seul. Le fait de d'habiter dans de petits appartements, de surcroît assez peu longtemps et de ne pas avoir connu autre chose, faisait qu'il n'y avait pas la "mémoire" d'une autre personne dans les lieux. Mais à présent, avec une maison plus grande, d'y habiter longtemps, d'y avoir des habitudes, des "rites"... me laisse penser que j'aurais des pensées un peu semblables aux tiennes. Mais en fait, je n'en sais rien.
Cela fera déjà 20 ans cette année que Fromfrom et moi nous connaissons...

Calyste a dit…

Et Fromfrom est toujours là, Dieu merci.

[Nicolas] a dit…

"La mort n’est rien.
Je suis seulement passé dans la pièce d’à côté.
Je suis moi, vous êtes vous.
Ce que nous étions les uns pour les autres,
Nous le sommes toujours." (attribué à Charles Péguy)
Je sais, c'est un texte surfait mais moi, il me soutient beaucoup car intuitivement, c'est ce que je ressens.

Calyste a dit…

Péguy l'a écrit d'après un texte de saint Augustin. Je l'aime beaucoup aussi.

Bleck a dit…

Face à ce que tu écris là, je reste coi et je ressens pleinement ta tristesse... une accolade.

Bleck