mercredi 15 septembre 2010

Mourir pour un remords

Ce devait être ma première année à l'université. Je n'avais pas vingt ans. J'avais quitté la région stéphanoise et ma famille pour m'installer dans une chambre minuscule de cité universitaire. En tendant les bras de chaque côté du corps, on pouvait presque toucher les deux murs. Il était interdit d'y inviter qui que ce soit, il était même interdit d'en décorer les murs, à l'exception d'un minuscule carré recouvert de liège au-dessus du bureau. Je venais de la campagne, d'une grande maison, inconfortable mais immense, et qui donnait sur les champs. J'avais perdu ma plus petite sœur quelques mois auparavant. J'étais malheureux. Je ne connaissais pas encore Pierre.

Malheureux mais fier. J'avais seul décidé de quitter Saint-Etienne pour venir à Lyon, pour vivre mon homosexualité dans une grande ville mais surtout pour fuir mon père avec qui je ne m'entendais pas. Il était convenu que je rentrerais un week-end sur deux. Le deuxième, je le passais à m'ennuyer dans ma chambre ou à errer dans une ville où je ne connaissais personne. Les rencontres crapuleuses ne manquaient pas (pensez! j'avais 20 ans!) mais je n'en éprouvais bien souvent plus que de la lassitude et du dégoût.

Lorsque je rentrais dans la famille, je ne passais qu'une nuit sous leur toit: celle du samedi au dimanche. Malgré les demandes répétées de ma mère, je refusais toujours d'y dormir celle du dimanche au lundi, ce qui, pourtant, était tout à fait possible avec l'emploi du temps qui était le mien. Là aussi, je l'avais décidé et je m'y tenais, même si rien ne m'attendait à Lyon, même si le prince charmant tant espéré ne s'était jamais manifesté un dimanche soir.

Qui connaît ma mère sait combien elle a le don d'insuffler un profond sentiment de culpabilité à tous ceux qui l'entourent. Peut-être est-ce là l'apanage (naturel?) de toutes les mères mais la mienne possède cet art au plus haut point, même encore aujourd'hui malgré sa maladie. C'est donc toujours profondément malheureux que je quittais le toit familial le dimanche soir, malheureux de devoir réintégrer la grande ville où la solitude me pesait, malheureux de rendre triste ma mère.

Je possédais à l'époque une 4L, une merveille pour moi qui découvrais alors les joies de la conduite automobile, joies que je connais encore aujourd'hui. Un dimanche soir, alors que j'étais parti depuis à peine cinq minutes et que je roulais dans la campagne en direction de l'autoroute, le remords se fit particulièrement sentir. Pourquoi après tout rentrer ce soir-là plutôt que le lendemain matin? Je n'y gagnais rien, je n'y perdais rien non plus et rester pouvait faire plaisir à ma mère. Sous le coup d'une subite impulsion, je décidai de faire demi-tour.

Mes parents étaient alors gérants d'un commerce d'alimentation dans un petit village de la Loire qui, depuis, a dû décupler sa population. Leur commerce était situé à la sortie du village, dans un bâtiment nouvellement construit. Au rez-de-chaussée, le magasin sur le devant, et le garage derrière qui communiquait avec les pièces d'habitation au premier étage. Afin de leur éviter une frayeur, j'essayai de faire le moins de bruit possible en glissant ma voiture dans le garage. Peut-être étaient-ils déjà couchés: je n'avais pas vu de lumière aux fenêtres du premier.

Alors que je récupérais mon bagage sur le siège arrière, la lumière du garage soudain s'éclaira et, en me retournant prestement, je vis mon père derrière moi, une barre de fer à la main, prêt à frapper celui que, dans le noir, il avait pris pour un cambrioleur. J'avais été à deux doigts de faire un mort stupide et lui un absurde infanticide. Inutile de dire l'avoinée que j'essuyai avant de pouvoir regagner mon lit. Je n'ai jamais plus rebroussé chemin, quoi que dise ma mère!

10 commentaires:

karagar a dit…

Mon dieu, cette histoire est terrifiante, pas seulement la fin!

Calyste a dit…

Elle est pourtant bien réelle, Karagar. L'ayant vécue moi-même, j'en vois sans doute moins les aspérités qu'un regard extérieur peut y découvrir. Pourtant, tu as raison: cette anecdote est totalement symptomatique.

Cornus a dit…

Terrible en effet d'autant qu'une telle chose n'aurait jamais pu m'arriver.
D'abord parce que j'étais parti faire des études à 500 km de la maison (et pas pour fuire mes parents ou ma région) et que je ne revenais les voir en train moins d'une fois par mois. Ensuite parce que j'aimais la compagnie de mes parents. Et parce qu'on a jamais tenter de me culpabiliser (ou alors j'ai été complètement sourd à toute tentative). Enfin, parce que je n'ai jamais été du style à rentrer à la maison à pas feutrés.
Moi aussi, il m'est arrivé de ressentir la solitude dans ma chambre d'étudiant (plus grande que la tienne car dans le sous-sol d'un particulier où je n'étais pas spécialement malheureux) et alors que je n'avais pas de moyens de locomotion. Un vendredi soir, voyant partir tous mes camarades dans leurs familles (beaucoup moins éloignées que la mienne), j'ai eu un terrible coup de cafard. Et j'ai décidé de rentrer aussi. Mais il était trop tard, alors j'ai pris un train de nuit et le week-end fut bien court. Je n'ai jamais recommencé plus tard.

christophe a dit…

Ah oui, je visualise bien le profil de la mère culpabilisante... Et tu l'as échappé belle ! D'ailleurs, tu mérites mieux qu'un entrefilet dans la colonne faits divers !! ;-)

Calyste a dit…

Un reportage sur TF1 alors, Christophe! Mon rêve!:-)

Calyste a dit…

Pas de pas feutrés pour rentrer à la maison. D'accord, Cornus. Alors, raconte comment tu fais: à la tournure de ta phrase, je pressens quelque chose de drôle!

christophe a dit…

Ou un dossier spécial dans Détective ! ;-)

Lancelot a dit…

Ceci dit, rétrospectivement, il est vrai que ton idée paraît quelque peu bizarre : quand tu parlais de ton "demi-tour" je croyais que tu allais retrouver tes parents suffisamment tôt le soir pour qu'ils ne soient pas encore couchés. La perspective de revenir ainsi et de me mettre au lit 'en douce' sans avoir vu personne, en définitive, en attendant le lendemain matin, aurait refroidi mon envie de rebrousser chemin.

Je parie que ta note a été inspirée par ce que tu as lu chez Valérie... :)

Cornus a dit…

Eh bien je ne vois pas bien ce que tu pressens de drôle dans ma phrase, mais peu importe. Quand j'arrive chez mes parents, c'est plutôt avec tambours et trompettes et à la limite, cela ne me dérangerais pas des masses de les réveiller en sursaut en pleine nuit. Bon, je ne ferais pas pour pas les inquiéter outre mesure et parce qu'ils commencent à se faire vieux.

Calyste a dit…

Christophe, tu me gâtes! (Ça existe encore, Détective?)

Tout juste, Lancelot, je lui ai même laissé un commentaire en ce sens.

Non, Cornus, je t'imaginais simplement avec un attirail d'homme-orchestre et un gros nez rouge, jouant de la trompette à t'en époumoner pour réveiller la maisonnée.