Il y a soixante ans aujourd'hui (04 janvier 1960) mourait Albert Camus, lors d'un accident de voiture à Villeblevin dans l'Yonne. Son ami Michel Gallimard, neveu de l'éditeur, mourra, lui, six jours plus tard des suites de ses blessures.
Mon rapport à cet écrivain est très étrange. J'ai connu son œuvre en terminale, avec l'étude de L’Étranger, roman qui ne m'avait pas du tout accroché, principalement, je pense, à cause de la personnalité de la prof de français : une femme (la première), jeune (la première), que mes camarades, fascinés, contemplaient en bavant lorsqu'elle s'asseyait sur son bureau en remontant un peu sa jupe trop courte à mon goût. Le rejet de l'enseignante avait provoqué chez moi le rejet de l’œuvre. D'ailleurs, je ne me souviens de rien d'autre de cette année-là, d'aucun autre écrivain étudié.
Si Camus a survécu dans ma mémoire, je le dois à une élève de seconde lors de mes débuts dans l'enseignement. Je crois l'avoir déjà raconté : après l'étude de L'Etranger, cette jeune fille m'avait reproché de ne pas aimer Camus et de l'avoir fait sentir, alors que mon amour pour Racine (Phèdre) transpirait de tous mes propos. Je faisais tout pourtant pour dissimuler mes attirances personnelles. Elle venait de lire sa pièce Les Justes et m'en parla avec une telle flamme que j'achetai le livre et le dévorai.
Grâce à cette élève, je ne suis pas passé à côté d'un grand auteur et, à la suite, je lus La Peste, Le Mythe de Sisyphe, L'Envers et l'endroit et quelques autres, avec un plaisir et un intérêt grandissants. Et puis, j'ai découvert que, dans les détails de sa vie, j'en retrouvais un certain nombre que je partageais avec lui : il est né un 07 novembre, comme moi, d'une famille très modeste, comme moi, il n'a pas connu son père, mort alors que Camus n'avait pas un an, comme moi. Il partage même avec moi un de mes prénoms secondaires.
Je me retrouve aussi dans sa proximité avec les courants libertaires prônant une liberté absolue face au principe d'autorité dans l'organisation sociale et le refus de toute contrainte venant des institutions. Et je ne suis pas loin de contresigner sa déclaration au journal Le Monde en 1956 : "Je ne crois pas en Dieu, c'est vrai. Mais je ne suis pas athée pour autant. Je serais même d'accord avec Benjamin Constant pour trouver à l’irréligion quelque chose de vulgaire et de... oui, d'usé." Ou cette phrase tirée du Mythe de Sisiphe (1942) : " L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde ."Ou encore celles-ci, dans L'Homme révolté (1951) : "La solidarité des hommes se fonde sur le
mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification
que dans cette complicité", "(les hommes tentent de) se retrouver dans la seule valeur qui puisse les sauver du nihilisme, la longue complicité des hommes aux prises avec leur destin.". Enfin ce propos (Pourquoi je fais du théâtre )lors de sa mise en scène des Possédés de Dostoïevski : "Oui, le bonheur. Eh bien, pour le bonheur aujourd’hui, c’est comme pour
le crime de droit commun : n’avouez jamais. Ne dites pas ingénument
comme ça sans penser à mal « je suis heureux ». Aussitôt vous lirez
autour de vous sur les lèvres retroussées votre condamnation. « Ah !
vous êtes heureux, mon garçon ! Et dites-moi, que faîtes-vous des
orphelins du Cachemire et des lépreux de Nouvelles-Hébrides, qui, eux,
ne sont pas heureux, comme vous dites » Hé oui que faire des lépreux ?
Comment s’en débarrasser comme dit notre ami Ionesco. Et aussitôt nous
voilà tristes comme des cure-dents.Pourtant moi, je suis plutôt tenté de croire qu’il faut être fort et heureux pour bien aider les gens dans le malheur."
Et puis encore comment ne pas aimer un homme qui aima Maria Casarès
samedi 4 janvier 2020
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2 commentaires:
Je n'ai lu que des passages de l'Étranger il me semble et c'était sûrement au lycée. Moi qui me dit athée, je retrouve certaines similitudes avec la position de Camus dans le sens où la plupart des athées que j'entends s'exprimer, parfois lourdement, sont beaucoup plus incultes que moi en rejetant d'un bloc croyances et religions sans analyse. Et pourtant, je suis parfois excessif en la matière, mais c'est un peu comme si je m'arrogeais seul ce droit.
Cornus : en vieillissant, je trouve que l'étudier aussi jeune,c'est beaucoup trop tôt. Sa pensée est tout de même assez complexe. Quant au reste, j'ai beaucoup de mal à supporter que la laïcité devienne une nouvelle religion.
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