Dieu fait une grâce à ceux à qui il soustrait la vie par le menu: c'est le seul bénéfice de la vieillesse. La dernière mort en sera d'autant moins pleine et nuisible; elle ne tuera plus qu'un demi ou un quart d'homme. Voilà une dent qui me vient de choir, sans douleur, sans effort: c'était le terme naturel de sa durée. Et cette partie de mon être et plusieurs autres sont déjà mortes, d'autres sont demi-mortes, des plus actives et qui tenaient le premier rang pendant la vigueur de mon âge. C'est ainsi que je fonds et échappe à moi. Quelle bêtise sera-ce à mon entendement de sentir le saut de cette chute, déjà si avancée, comme si elle était entière? Je ne l'espère pas.
Montaigne, Essais, Livre III, chapitre 18: De l'expérience.
mercredi 11 juillet 2012
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5 commentaires:
Je comprends désormais que vieillir c'est apprendre à renoncer. Et ce n'est pas aussi cruel qu'on le dit, pour peu qu'on ait cueilli chaque jour dans sa vaste ou infime totalité.
Je n'en suis pas encore au tomeIII mais en te lisant je me dis que Montaigne tenant un blog ça aurait été quelque chose, Jules Renard aussi. Je conserve en lecture fil -rouge ces deux auteurs, pour tout dire je n'ai aucune envie véritable de finir de lire totalement ni les Essais ni le Journal parce qu'après il ne me resterais...que la relecture.
Quel texte ! j'ai senti un frisson à sa lecture..
La peur de la décrépitude qui nous guette et qui ne nous épargnera pas, ou l'impermanence des choses et de la vie qui rejoint ton billet sur la perte ? ("Que sont mes amis devenus...?")
"Si toute vie va inévitablement vers sa fin, nous devons durant la nôtre, la colorier avec nos couleurs d'amour et d'espoir." (Marc Chagall)
Ceci dit, tu mets pas mal de couleurs dans ton blog !
En général je suis assez d'accord avec Montaigne. Surtout quand il parle de la philia avec La Boétie. Mais là, il a tout faux. Perdre une dent! Mais combien d'idées nouvelles, de rencontres sur le chemin. Bien sûr on va mourir. Mais en attendant que de surprises à qui sait ouvrir les yeux avant qu'ils ne se ferment.
Christine: "carpe diem", oui, bien sûr, mais cela peut aussi rendre le manque plus aigu.
Ipsa: tu as de très saines et intéressantes lectures. Ton idée de blogs de ces deux auteurs me séduit beaucoup. Oui, ça aurait été quelque chose!
Jean-Pierre: c'est effectivement un sentiment qui me questionne en ce moment. Merci pour les couleurs. J'espère qu'elles ne se terniront pas trop vite.
Didier: quand on oublie les passages à vide.
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