Je m'appelle Sébastien. J'ai treize ans. J'habite dans l'Ain, une petite ville où il ne se passe pas grand chose. J'ai deux frères. Je suis l'aîné. Mon père et ma mère ne s'entendent pas très bien mais on a l'habitude, surtout moi, parce que les deux autres, ils sont un peu trop petits pour comprendre. Dernièrement, ça encore empiré. J'étais dans ma chambre. Je les ai entendus se disputer, comme presque tous les soirs, mais hier, on aurait dit qu'ils allaient se battre tellement ils criaient. Alors, j'ai mis mes écouteurs et j'ai monté le son de ma musique. Je ne veux pas savoir ce qu'ils se disent. Je préfère ma musique. Et puis, dans la nuit, je me suis masturbé. Quand je suis stressé, je le fais toujours, ça me détend.
Ce matin, papa est entré dans ma chambre plus tôt que d'habitude. Le dimanche, on a le droit de rester plus longtemps au lit. J'ai été un peu surpris de le voir, mais je n'ai rien dit. Pas la peine d'en rajouter après la soirée d'hier. Il m'a dit que maman dormait encore et qu'elle avait besoin de repos. Alors, il m'a proposé d'aller faire une ballade en voiture, au bord du lac. On emmènerait aussi mes deux frères, bien sûr. Ça me plaisait assez comme programme, même avec mes deux frères. Il m'a dit que, comme il faisait beau, nous pourrions sans doute nous baigner, au bord, parce que plus loin, l'eau est trop froide. J'ai pris mon maillot de bain avant qu'il change d'avis. Papa, c'est comme ça: un moment, c'est tout rose, juste après, c'est tout noir.
Pour ne pas tomber en panne, il a dit que nous nous arrêterions en route dans une station essence pour faire le plein. Je ne sais pas pourquoi il m'a dit ça, c'est son problème, après tout, de s'occuper de sa voiture. J'ai pris mon petit déjeuner et nous sommes partis en direction de la montagne. Nous, nous habitons dans la plaine, mais moi, je préfère la montagne. Je me sens bien dans les bois. Quand nous marchons, mon père est obligé d'attendre les plus petits, qui traînent la patte. Ça me permet de partir devant. C'est ma liberté à moi. Une fois, de l'autre côté de la route, dans un champ, j'ai même vu une marmotte. Comme je ne faisais pas de bruit, elle ne m'a pas repéré. Elle était drôle, dressée sur ses deux pattes arrières, à sentir le vent. Mais quand ils sont arrivés, ils ont tout foutu en l'air avec leurs cris de gamins et mon père qui rouspétait.
Ce que j'aimerais, c'est qu'on me mette dans un internat, en ville. J'ai un copain qui y est allé, il m'a dit que c'était super. On pourrait avoir deux lits à côté et discuter la nuit, nous raconter nos histoires. A la maison, je n'ai personne à qui les raconter. Mes frères sont trop petits et, avec mes parents, je ne peux pas en placer une ou alors ils ne m'écoutent pas.
C'est à tout ça que je pense en ce moment dans la voiture. Moi, je suis devant: j'ai le droit, vu mon âge. Les deux autres sont derrière et on n'avait pas fait un kilomètre qu'ils commençaient déjà à se chamailler pour une histoire de place. Il y en a pourtant bien assez pour tous les deux. J'ai regardé papa mais il n'a pas réagi: il était perdu dans son monde. C'est bizarre: de profil, je le reconnais à peine. On ne dirait pas mon papa. Surtout aujourd'hui où il garde constamment les sourcils froncés. C'est moi qui ai dû intervenir pour les calmer. Ça a marché deux minutes. Alors, j'ai remis mes écouteurs.
Papa vient de mettre son clignotant pour entrer dans la station service. Ce n'est même pas celle où il a une carte pour accumuler des points. Il doit vraiment penser à autre chose! Et maintenant qu'il descend, le voilà qui verrouille les serrures! Mais je suis là! Pas la peine! Je peux les surveiller, les deux mioches. Et puis, il ne s'est même pas mis à la bonne pompe, son bouchon d'essence est de l'autre côté. J'essaie de lui dire par la vitre entrebâillée mais il ne m'entend pas, ou il fait comme si. Rien à cirer: il est assez grand pour s'en rendre compte tout seul.
Je ferme les yeux pour mieux m'enfoncer dans ma musique. De toute façon, s'il voyait que je me suis rendu compte de sa connerie, ça risquerait de le mettre en rogne. Débrouille-toi, pépère! C'est un jet visqueux qui me les fait rouvrir. Papa est contre la portière et nous asperge d'essence à l'intérieur. Et le briquet qu'il a à la main! Et puis, d'un coup, tout s'enflamme, mes frères, la voiture, papa, comme dans les films américains. Je vois ses cheveux prendre feu, j'étouffe, je sais que les miens sont en train de brûler aussi. Mes frères hurlent, derrière. Je vois des gens qui courent à l'extérieur. Il y a des bonbonnes de gaz contre le mur, tout près. Et tout à coup, je sais: maman est morte, elle aussi.
Mais pourquoi nous, papa, pourquoi nous?
mercredi 5 octobre 2011
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8 commentaires:
Une histoire sordide, une curieuse façon de la mettre en scène qui pourtant lui enlève sa couleur papier journal des faits divers.
Heureusement qu'il y a Judy Garland après...
Gloups !
D'ailleurs Sébastien il écoutait 'Over the rainbow' dans ses écouteurs à ce moment-là.
...parce que les papas et les mamans sont des gens très gentils,ils font des enfants qui sont à eux et l'on fait ce que l'on veut avec ses affaires pour peu que l'on soit propre sur soi et que l'on ne crie pas trop fort en dérangeant les voisins.Alcool,dépression défoncée,maladies de grands,violent,parce que,violeur à cause de...J'ajouterai la méchanceté rampante,tortionnaire sous prétexte de bien faire,indétectable à l'odeur...
Olivier: un petit délire vespéral.
La Plume: un peu d'équilibre, ça ne fait pas de mal.
Erin: comme tu dis!
Lancelot: un peu désuet pour son âge, non?
Ipsa: tu es pire que moi, mais tu n'as pas tout à fait tort!
Je n'avais pas entendu cette info (contrairement à Fromfrom qui sait toujours tout ce que je ne sais pas).
C'est dingue ça. En tout cas, c'est vachement bien vu de ta part.
Cornus: merci. J'ai hésité là aussi à publier, mais l'écrire m'a fait du bien car cette histoire sordide m'a beaucoup marqué.
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