C'était en 1964. Je le sais parce qu'une sorte de cousine de quelques années plus âgée que moi, m'avait parlé d'un film qu'elle venait de voir: Mort, où est ta Victoire, d'après l'ouvrage de Daniel-Rops, et que ce film est sorti cette année-là. A cette époque, j'avais à peine douze ans et je devais me lever très tôt pour partir au lycée (qui regroupait, celui-ci, les classes de la sixième à la terminale). Le seul car à rallier Saint- Étienne dans les temps passait tout près de chez moi à 7h10. Je n'ai jamais vu le film et jamais lu le livre mais le titre m'avait marqué parce qu'il me faisait peur.
Quelquefois, cette cousine attendait le car en même temps que moi, dans le noir, à l'orée d'un petit bois. Mais bien souvent, j'étais seul avec mon cartable qui pesait des tonnes et mon anorak acheté trois tailles trop grand pour "faire du profit", c'est à dire me servir plusieurs années et ensuite être porté par mon frère. Mes camarades de classe s'en moquaient bien au début et c'est grâce à eux que j'ai appris à riposter de façon cinglante, lapidaire et définitive.
Ce lundi matin-là, j'avais eu exceptionnellement le droit, la veille au soir, de regarder un film à la télévision. Il s'agissait d'un film dont le héros était Sherlock Holmes et où les méchants étaient des hindous se servant d'une sorte de corde, terminée par des boules à chaque extrémité, qu'ils lançaient au cou de leur victime pour l'étrangler ou l'énuquer. J'en ai complètement oublié le titre.
J'étais seul, la cousine devait commencer ses cours plus tard, il faisait nuit et un peu de vent fourrageait dans les branches de l'arbre sous lequel j'attendais. L'atmosphère un peu sinistre contribua sans doute à me remémorer cette fiction de la veille qui, vu mon jeune âge, m'avait fortement impressionné. J'aimais d'ailleurs cette sensation de semi-insécurité tout en essayant de la canaliser dans des proportions supportables.
Ce que je n'avais pas prévu, c'est la suite. Une bourrasque de vent sans doute un peu plus forte fit ployer une des branches qui me servaient d'abri et le bout de cette branche vint me frapper l'épaule, un peu comme une main qui s'y serait appesantie. Et, pour ma part, c'est bien à une main inconnue et hostile, hindoue bien sûr, que je pensai immédiatement. Je crois n'avoir connu cela qu'une fois dans ma vie: mes cheveux se sont littéralement dressés sur ma tête. Je connaissais l'expression mais de façon purement imagée et abstraite. Là, je l'ai ressentie physiquement, comme si l'on avait tiré ma chevelure vers le haut, tirant en même temps la peau de mes tempes et de mon visage.
Je suis resté tétanisé un quart de seconde avant de me retourner courageusement pour faire face à qui voulait m'agresser et je n'ai vu que la branche qui, entre deux bourrasques, avait repris sa position initiale. Mon cœur n'a dû cesser de battre la chamade que dans les faubourgs de la ville. Le soir, j'ai raconté l'histoire à ma mère qui en a bien ri et s'est empressée de la colporter à qui voulait l'entendre. Voilà comme on acquiert une réputation de pleutre. Mais j'aurais voulu vous y voir à ma place!
dimanche 10 avril 2011
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8 commentaires:
J'avoue que lorsque j'étais jeune et que je devais me déplacer loin dans la nuit dans la campagne, je n'en menait pas large par rapport à tous ces bruits, ces animaux nocturnes. Mais je n'ai jamais été surpris par une branche d'arbre. Et maintenant, me faufiler dans la nuit, c'est quelque chose que je rechercherais plutôt.
Cornus: moi aussi, malgré tout, j'ai toujours aimé la nuit. Mais plutôt dans les villes, où les animaux nocturnes ne manquent pas non plus.
J'aime cette histoire, notamment à cause de "cette sensation de semi-insécurité tout en essayant de la canaliser dans des proportions supportables" que j'ai toujours adoré cultiver.
Karagar: c'est ce sentiment qui m'a fait avancer, bien souvent.
Dieu que j'ai ri à la lecture de cette histoire (oui, c'est mal !) mais je n'imaginais que trop bien la scène...
La Discrète: mais je suis ravi de vous avoir fait rire, surtout en cette période pour vous!
Les parents ne prennent jamais assez au sérieux les terreurs de leurs enfants, à mon goût. Je me souviens de 'Docteur Jekyll et Mr Hyde' avec Spencer Tracy, qui m'avait terrorisé au-delà de l'imaginable.
C'était pas Anna qui disait qu'elle avait été traumatisée, elle aussi, par les méchantes branches dans la forêt où fuyait la pauvre Blanche-Neige ? Ca y fait penser !
Et le vérificateur de mots qui me demande de taper "INGRAT".... :D
Lancelot: les enfants d'aujourd'hui ont-ils les mêmes terreurs, gavés qu'ils sont d'images violentes?
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