"Le doute est un mol oreiller pour une tête bien faite", disait, je crois, Montaigne. Pas toujours, pas toujours. Ce matin, en cours de français de sixième, j'ai essayé, et, il me semble, réussi à leur faire comprendre ce qu'est une phrase verbale (avec verbe principal) et une phrase nominale (sans verbe principal). Jusque là point trop de difficultés. Elles sont venues ensuite, lorsque nous avons abordé, dans des exercices, la façon de passer de l'une à l'autre, soit en rajoutant un verbe approprié, soit en transformant le verbe en nom ou le nom en verbe.
Voici ce que cela a donné:
"Hausse des prix de l'essence" a bien été reconnue comme une phrase nominale mais a été transformée ainsi:
- Les prix de l'essence haussent (bien sûr prononcé "osent") augmenter.
- La hausse des prix de l'essence augmente.
"Départ à onze heures de la gare routière" a donné:
- Le train part à onze heures de la gare routière.
- La gare routière est partie à onze heures.
J'en passe et des meilleures.
Je ne suis pas en train de me moquer de mes élèves, je suis en train de m'affoler pour l'ignorance de plus en plus grande de la langue française. A un élève qui vous propose une des phrases précédentes, si vous demandez s'il la dirait dans la vie courante, il vous assure que non. "Mais là, nous sommes en cours, à l'école"! rajoute-t-il comme pour se dédouaner.
Ainsi donc, peu à peu, les textes lus ne sont plus compris, on est surpris des contresens qui peuvent résulter de la lecture d'une page simple et courte de littérature. Mais il y a pire: les élèves, beaucoup plus qu'on ne le pense, se moquent totalement que cela ait un sens ou non. L'essentiel pour eux n'est absolument pas là: "nous sommes en cours, à l'école", c'est à dire dans un univers définitivement coupé de la réalité, de la vraie vie, un univers virtuel à qui l'on ne demande qu'une chose: non pas d'y être formé à l'analyse, à la critique, à la culture, à l'observation intelligente, mais de généreusement donner, en fin de parcours, les diplômes indispensables, bien que totalement vides de valeur, pour se caser dans la vie et, pour beaucoup, continuer à faire du "non-sens".
Sans doute un jour sans.......( Je sors de conseils de classe!)
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13 commentaires:
La vie ne leur fera pas de cadeau, laissons leur la chance de faire des erreurs à l'école qui est sommes toutes le meilleur moyen d'apprendre. Bien sûr, qu'ils ne diraient pas certaines de ces absurdités à l'extérieur, ce qui aurait été triste c'est qu'ils te répondent que "si, ils le diraient à l'extérieur". Là ils font tout de même preuve d'une prise de conscience. L'école n'est pas seulement un abreuvoir à connaissances, c'est aussi le lieu où on apprend à réfléchir et tu es leur guide à ce niveau là. Pour bien pousser, il faut se planter.
"La hausse des prix de l'essence augmente" : ça, cela n'est pas impossible, cela s'est même déjà vu plus d'une fois ;-)
Le fait que tu dises que les élèves sont à l'école dans un système déconnecté de leur réalité ne m'étonne guère. Je crois bien que de mon temps, cette tendance commençait déjà à s'amorcer. Et beaucoup de collégiens de mon temps (il y a environ 25 ans) ne pensaient pas être en classe pour toutes les choses positives que tu listes. Ils étaient là, parce qu'ils n'avaient pas le choix, parce qu'on leur disaient que c'était pour leur bien. On nous disait rarement les bienfaits de l'école. Personnellement, j'ai fini par m'en apercevoir, mais peut-être qu'on aurait dû nous le dire plus tôt, parce que ce n'est pas si évident, d'autant qu'aujourd'hui, l'école est souvent perçu comme une préparation au chômage, surtout si le chômage est un état de fait régulier à la maison.
Oui c'est la vérité de notre âge, les jeunes ont une perspective bien différente de la notre à leur âge.
Enfin tout pour l'argent et l'immédiate récompense.
L'âge de l'internet.
Bien d'accord avec toi sur le rôle de l'école, Nicolas. Mais je suis toujours un peu effrayé par leur manque de curiosité et leur conformisme . dans cette société-là, ils sont comme des poissons dans l'eau!
Crois-tu, Cornus, que si nous le leur disions, à cet âge-là, ils nous croiraient? Cause toujours!
Ce n'est pas Internet que je rendrais responsable de cet état de fait, Laurent. Plutôt le renoncement des parents, eux-mêmes d'ailleurs si proches de cette mentalité (Les parents de mes élèves les plus jeunes n'ont pas 40 ans!)!
je suis absolument en dehors du milieu de l'éducation nationale et n'ai donc aucun contact direct avec ces jeunes de 5ème, 4ème qui sont votre quotidien à toi et à nombre de tes amis! Mais j'entends, un peu, le rap, le slam, c'est pas mal! Parfois dans le fond, souvent dans la forme! Vos élèves sont concernés? Une analyse logique, grammaticale, je ne sais plus comment on dit, sur un texte de MC Solar ou Abd el Malik ça peut aider. Non?
Oui mais du coup ceux qui savent un peu manier la langue française passent pour des grands spécialistes :)
Pour une ancienne nulle à l'école, il y a quelque chose de gratifiant :D
Certes Calyste, je ne sais pas si tu serais entendu par beaucoup de monde, mais je suis néanmoins sûr qu'il faut faire l'exercice. S'il n'y en avait qu'un pour entendre, ce serait déjà une victoire. Bon, je dis ça à cause de ma propre personnalité qui n'était sans doute pas tout à fait une généralité.
Comme je comprends ton doute. Imagine lorsque tu rencontres le même genre de chose au niveau universitaire... ça fait peur non ?
Je ne sais pas ce qui est source du problème, moi qui me penche sur le problème, bien vaste, des difficultés d'apprentissage, je suis souvent surprise des conséquences lorsque certaines bases ne sont pas assimilées correctement.
Quand à l'image que les élèves ont de l'école, du savoir, etc, elle semble effectivement de plus en plus négative, vide de sens. Et lorsque les choses n'ont plus de sens, comment les appréhender ? Comment les vivre ? Et surtout comment se les approprier ?
Ma fille a une autre manière de partager, d'un coté ce qu'on "peut dire" et de l'autre ce qu'on "peut écrire". C'est parfois effarant ce qu'elle s'autorise à dire... Le truc qui nous écorche bien les oreilles "les filles ils zont..." C'est différent bien sur, mais ça ne remonte pas beaucoup le niveau non plus.
Intéressante ta remarque sur la dissociation école/vie...
En même temps je me souviens d'avoir lu des copies d'élève de ma frangine, il y a plus de 20 ans, des rédactions aux phrases totalement incompréhensibles et j'y avais vu à l'époque une difficulté à relier langue écrite et parlée, qui existe dans toutes les langues sans doute, mais de manière plus cruciale en français.
"La gare routière est partie à 11h". C'est presque un cadavre exquis! Tes élèves font de la poésie surréaliste sans s'en rendre compte...
Ces chers élèves ne sont pas si à plaindre que ça. Comme au temps de nos jeunes années respectives, il y aura toujours dans le lot des plus fins que les autres qui retiendrons nos leçons et sauront en tirer le meilleur parti plus tard...
A tous: merci de vos commentaires plutôt optimistes qui m'ont regonflé au moment où il le fallait. Maintenant, j'attends de pouvoir me reposer aux vacances de Noël. Pour eux aussi, les élèves, le premier trimestre est très long!
Je ne suis pas aussi pessimiste que toi. Justement, le fait qu'ils fassent la différence entre "ce qui se passe/dit à l'école" et "ce qui se passe/dit ailleurs", me paraît, paradoxalement, assez sain. Et ça, ça ne date pas d'aujourd'hui. Il y a une différence de niveau de langue, de façon de cmmuniquer, de perception de l'univers, en un mot. Ils ne savent pas "sauter" de la phrase nominale à la phrase verbale. Bon. Mais, finalemen, en parlant, ils savent fare des phrases nominales, ou verbales, sans y réfléchir. Tous tant que nous sommes, dans nos blogs, nous sommes un peu amoureux de l'écriture, de son processus, de ce qu'il véhicule, cache, recouvre, suggère, traduit. Mais on peut vivre, et même bien, en étant heureux, hors blog, hors écriture. Je ne dénigre pas le fait de bloguer. Je serais mal placé pour ça, accro omme je suis à la "chose"! C'est un peu court ici pour développer. Mais, tu comprends ce que je veux dire ? Ta compréhension de mes paroles ? Mes mots dans ton intellect ? Ton intelligence sur mes élucubrations ? :D
Moi, je suis pessimiste, lancelot, et pas seulement parce que j'aime la langue française et que je suis parfois, sans doute, un peu puriste. Non, ce qui m'affole, c'est l'absence de sens, pour beaucoup, de ce qui est écrit et même d'ailleurs, de ce qu'ils se disent entre ceux. Je crois que nous vivons l'ère du quiproquo.
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