A parcourir d'anciens journaux intimes, écrits quelques quarante ans auparavant, en s'arrêtant parfois plus longuement sur certaines pages, on a souvent des surprises de taille.
D'abord la naïveté de certaines idées qui fait sourire, et le style ampoulé à grincer des dents qui nous restent. Bien sûr, il y a cette sorte de tendresse à retrouver le jeune homme que l'on était alors et qui, sur certains points, n'a pas vraiment changé. Mais que de pathos et de propension à s'apitoyer sur soi-même, que de temps passé à chercher à se connaître et à deviner ce que l'on va devenir!
Si la trace écrite permet de dater précisément certains souvenirs, voire à en rappeler d'autres totalement oubliés, elle a aussi ce satané pouvoir de nous montrer comme l'on peut se mentir à soi-même et comment la mémoire, au fil des ans, transforme peu à peu, sans que l'on y prenne garde, la réalité retrouvée intégrale ici, dans ses pattes de mouche.
Ainsi, l'histoire de cet ami brésilien lecteur de portugais à l'université de Saint-Étienne, rencontré dans des lieux peu fréquentables (et pourtant, à cette époque, moultes fois fréquenté) et retrouvé à Lyon, lorsque je trahis ma ville de naissance pour passer à l'ennemi. J'ai cru avoir appris sa mort à mon arrivée à Lyon, juste après mon installation en cité universitaire. Or, voici ce que je lis, à la date du 13 décembre 1972:
"J'allais quelquefois manger chez lui et nous discutions beaucoup. Il préparait une thèse sur Proust(...) Nous en parlions souvent(...) Car c'était bien là le fond de son être: d'avoir un amour immense pour la beauté, lui qui n'était pas très beau. Il nous reprochait, à nous français, de manquer de passion (...) . La dernière fois que je le vis, c'était à l'hôpital: on le croyait atteint d'une pleurésie. Par la suite, j'appris qu'il était parti, quelques temps après, au Brésil (...). Selon le brésilien qui m'expliqua tout cela,il n'eut pas la joie de jouir de son retour: deux jours seulement auprès de sa mère."
Je me souviens bien sûr de ce garçon que j'appréciais réellement. Mais aucun souvenir de ces discussions, de ses repas, ni même de ma visite dans sa chambre d'hôpital. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que, quelques mois après, en feuilletant des bouquins d'occasion chez Gibert, j'ai décidé d'en acheter un qui ne m'intéressait pas vraiment mais qui était dans mes moyens, une étude sur Bernanos, il me semble. En traversant le Rhône par le pont de la Guillotière, j'ai ouvert ce livre. Une carte postale en est tombée, un petit mot de lui à sa mère au Brésil, comme un petit signe post mortem qu'il me faisait depuis l'au-delà.
mercredi 27 juillet 2011
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13 commentaires:
Côté journal intime, il n'y aura rien puisque je n'ai jamais voulu (ni même eu l'idée) en écrire et je dois dire qu'aujourd'hui encore, cela ne me dit rien. On me dira qu'il y a mon blog de plus de 5 ans mais qu'en restera-t-il ne serait-ce que dans dix ans ? Et puis est-il vraiment intime ? Et puis n'est-il pas essentiellement conjoncturel ? J'y vois juste un moyen de fixer des souvenirs et quelques informations qui pourront peut-être me servir un jour.
Cornus: et par la même occasion, tu fais plaisir à quelques-uns.
Ça aussi c'est parti à la poubelle, comme les lettres et pour les mêmes raisons.
Oui c'est vrai, style ampoulé, pathos et naïveté, on n'y allait en général pas avec le dos de la cuiller.
Cornus > Même s'il n'en reste rien dans 10 ans de ton blog, il aura été ! Et on en aura tous bien profité.
Je ne relis que très très rarement des extraits de mes nombreux journaux intimes (rien à voir avec un blog d'ailleurs) et ce que tu dis est très juste et drôle en même temps.
Je suis fascinée par les syncopages tels que celui que tu racontes avec la carte tombée.
"La mémoire est aussi menteuse que l’imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux..."
C'est une phrase de Sagan que je garde comme boussole quand je me sens dans une distorsion assombrissant tous mes souvenirs. C'est amusant de vous lire, parce que j'en suis là dans mes écrits intimes, pathos et questionnements vains.
Je crois que par dessus tout, j'aime écrire, former des lettres, qui forment des mots, c'est comme le tricot, une mécanique rassurante.
Une carte postale de lui dans le livre que tu venais d'acheter ... J'aime ce genre de "signe".
Georges: on se vouvoie à nouveau?
L'écriture: comme la course à pieds, une foulée après l'autre. Content ou pas à l'arrivée.
Étrange: je n'ai jamais pu courir sans compter mentalement: 1, 2, 3,... jusqu'à 12, et je recommençais.
La Plume: je fais très attention en ce moment à ne pas avoir de ces gestes impulsifs.
Valérie: ce jour-là, c'est moi qui ai failli avoir la syncope.
Anna: celui-ci m'a particulièrement marqué. C'est pour ça que je suis sûr de ce souvenir.
Merci de ce billet si tendre, si touchant.
St Loup: c'est moi qui vous remercie de vous exprimer ici. Vous n'êtes d'ailleurs pas tout à fait un inconnu: j'ai souvent croisé votre nom chez Olivier Autissier. Bonne soirée.
non, je voulais dire vous, toi, Plume, Valérie...
J'aime la citation de Sagan.
J'ai conservé, je n'ai pas brûlé. Mais je ne relis jamais. Détruire, encore une fois, je ne peux pas. Qu'est-ce que ça deviendra après ma mort ? Bôf, ça moisira, sans doute. Nos écrits n'ont que l'importance que nous leur accordons. Autant en emporte le vent. Tiens, ce serait joli, ça, que mes gribouilles soient emportées par le vent. Au moins, ce serait poétique.
Lancelot: pollueur!!!!:-)
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