Que ça fait du bien de se faire plaisir! Surtout quand le plaisir est inattendu! Et c'était le cas ce soir. Mon contact féminin au TNP, en attendant notre collaboration pour la saison prochaine, m'a gentiment envoyé deux places gratuites pour ce soir. Avec Frédéric, nous avons passé une soirée exceptionnelle.
Dans une salle de répétitions du Petit Théâtre se donnait, en avant-première La Jeanne de Delteil, tirée du roman du même, dans une adaptation de Jean-Pierre Jourdain avec Juliette Rizoud dans le rôle titre et unique rôle. La Jeanne de Delteil, c'est la vie de Jeanne d'Arc, depuis sa naissance à Domrémy en Lorraine jusqu'à sa mort sur le bûcher Place du Vieux Marché à Rouen. Une heure trente de monologue, une heure trente de plaisir.
J'avais failli décliner l'invitation après avoir lu le fascicule de présentation de la pièce et de Delteil. Ce texte trop intellectuel donne une fausse image du spectacle. Il faudra bien qu'un jour, sur ce point, le TNP accepte de se débarrasser de ses vieux démons. Je préviendrai autour de moi qu'il ne faut pas s'arrêter à cette présentation absurde, que le spectacle est splendide d'humour, d'émotion et d'intelligence.
Intelligence de la mise en scène où la comédienne, dont on peut saluer la performance tant physique que vocale, évolue sur un plateau rempli de projecteurs, de cordages, de chaînes, d'établis et d'armoires métalliques qui deviennent peu à peu, grâce à la magie d'un chiffon, d'une paire de gants ou d'un seau en plastique, le pleutre dauphin Charles de France ou sa dévoyée de maîtresse, Agnes Sorel, le lourd cheval de voyage de Jeanne, celui qui l'emmène de Lorraine en Touraine, l'abominable évêque Cauchon qui livrera la pucelle aux anglais et d'autres personnages tous "réellement" présents par la puissance d'évocation.
Beauté du texte surtout. En écoutant les phrases de Delteil, j'étais, c'est bête à dire, profondément heureux d'être français. Heureux de manier et de connaître cette langue, heureux surtout de ce que Delteil, comme Flaubert, Rabelais ou Maupassant, en a fait: une langue bien sûr toujours aussi intellectuelle et cartésienne, mais , bien plus, terrienne, sensuelle, lourde (comme un sein peut être lourd), généreuse et gourmande. D'ailleurs Jeanne est présentée ainsi: loin des représentations de plâtre des églises, jeune fille froide et caparaçonnée dans son armure immaculée, loin de celle que voudrait récupérer une frange grotesque de l'électorat d'extrême-droite, on voit évoluer une Jeanne tétant goulument sa mère et en pissant d'aise, une Jeanne qui propose du lard et du vin aux deux saintes qui lui sont apparues dans le mirabellier (Catherine et Marguerite ne sont pas "académiques" non plus, particulièrement Marguerite qui, à cheval sur une branche de l'arbre, s'empiffre de prunes bine mûres et chaudes au soleil), une Jeanne qui sent monter en elle les échauffements des sens et l'appel du désir, une Jeanne vivante, créature du ciel, bien sûr, mais aussi de la terre, qui aime la douceur de la toison des moutons, la caresse du soleil sur sa peau, la sérénité de ses collines des Vosges (Pour y être allé, j'en entendais d'autant mieux la résonance), une Jeanne qui, apercevant sur l'empilement de bois de son bûcher une fleur de liseron, va, après l'avoir embrassée, la tendre au bourreau pour qu'il la sauve des flammes.
Humour aussi des anachronismes dont le texte est volontairement truffé et qui, curieusement, s'insèrent parfaitement dans l'atmosphère de la représentation: quelques paroles de La Marseillaise, une coupe de champagne bue au milieu du siège d'une ville aux mains des anglais ou des bourguignons, et tant d'autres dont un qu'il faut saisir au vol, tant l'allusion est rapide: "Jeanne mériterait d'être au pain sec...". Merci, Victor Hugo.
Voilà. Dire que j'ai aimé est peu dire. Frédéric partageait le même enthousiasme à la sortie, et les autres spectateurs (une petite centaine, vue la taille de la salle) aussi, manifestement. Un bonheur inattendu. Et doublement apprécié donc. Je souhaite à Juliette Rizoud tout le succès qu'elle mérite.
mercredi 19 mai 2010
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6 commentaires:
Ah les bonheurs inattendus, les bonnes surprises, c'est génial quand ça arrive.
Je m'aperçois que je suis passé ou j'ai vécu dans bien des endroits célèbres où vécu ou est passée Jeannne d'Arc. Domrémy, lors d'une session botanique et Orléans et Chinon où j'ai passé des années.
J'espère, Cornus, que tu ne finiras pas comme elle!
Non, je te rassure Calyste, je n'entends pas de voix et je n'ai ni dieu ni diable. Et puis le roi, c'est moi ! ;-)
Tiens, moi ce n'est pas mon cousin. Serions-nous apparenté? :-)
Et qu'en est-il de cette légende selon laquelle elle aurait aimé Gilles de Retz, l'égorgeur de petits enfants....? Ou bien n'est-ce pas le même ? Je me suis toujours demandé ce qui aurait bien pu rapprocher deux personnages aussi dissemblables.
Dans le texte de Delteil, il n'est même pas mentionné. De plus, je crois, Lancelot, que Gilles n'a commis ses atrocités qu'après (et peut-être à cause de) la mort de Jeanne. Peut-être était-ce le côté entier et fanatique de leur caractère qui les rapprochait...
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