Étrange, cette sorte de pouvoir magique qu'ont les mots. Magie de la poésie, bien sûr, qui, si je la cite en premier, n'est pourtant pas celle que je préfère, magie des sons, de la musique des phrases (comme il est dommage qu'étant français je ne puisse entendre celle de notre langue, si belle paraît-il! Mais je me rattrape avec l'italien), magie des voix qui les prononcent (que n'ai-je pas rêvé sur celle de Suzanne Flon!) ou qui les chantent ( Kathleen Ferrier, Alfred Deller et la divine Callas!), magie du rythme aussi mais le rythme des mots, n'est-ce pas tout le reste réuni?
Magie de la polysémie, avec laquelle on peut jouer indéfiniment, comme un enfant avec son train électrique, magie des rebonds dans le dictionnaire, quand on passe de l'un à l'autre sans voir le temps s'écouler parce que tout nous intéresse et qu'il est bon de tourner les pages à la recherche de la pépite convoitée, magie des jeux de mots, des à peu près, des quiproquos, magie de la forme des mots aussi, des rimes, des assonances, de la litote et quoi encore....
Pourtant ils possèdent aussi une autre magie, un peu moins lumineuse, un peu plus noire quand ils sont employés en les tordant, en les éloignant de leur route, en les chargeant d'un poids qu'ils n'ont pas à l'origine et dont ils ont parfois du mal à se remettre. Certains en disparaissent, morts de ne pas avoir pu se dégager de ce fardeau même tombé à terre. Ainsi qui oserait aujourd'hui employer le mot "francisque" sans penser immédiatement au régime de Vichy?
Il me semble que la société contemporaine a un don pour martyriser les mots. Je ne parle pas de ces mots transformés par une mauvaise prononciation généralisée ou des abréviations intempestives: toute langue a toujours évolué ainsi et c'est preuve au contraire de la vitalité gardée de la nôtre. Je parle de ceux à qui, sans en avoir l'air, on fait dire autre chose que ce qu'ils disent, ceux dont le sens premier est clair mais qui peuvent être les interprètes masqués (malgré eux) d'une tout autre pensée moins claire, celle-ci.
Un exemple qui m'a frappé ces jours-ci en écoutant les commentaires sportifs lors des Championnats d'Europe d'athlétisme à Barcelone ou de ceux de natation à Budapest: "Les Bleus ont remporté 21 médailles. les Bleus reviennent d'Espagne avec une brassées de victoires...". Les Bleus? Bien sûr, le bleu est la couleur de la France, et pas seulement en matière de sport. Bien sûr, c'est chez les sportifs de haut niveau la teinte dominante sur le maillot ou le survêtement. Bien sûr, étendre cette appellation à d'autres sports que le football permet cette année de faire un peu passer le goût amer de la pilule d'Afrique du Sud.
Mais pourquoi ne pas dire simplement, quelquefois, parfois, de temps en temps: les Français? Je vois d'emblée l'indignation monter dans les poitrines de certains: quoi! les Français? Cocorico, chauvinisme, esprit de clocher et nationalisme exacerbé! Mais, outre que le nom d'un pays et de ses habitants, quels qu'ils soient, n'a jamais été un gros mot pour moi, je ne vois pas en quoi nommer une équipe par la couleur de son maillot (d'ailleurs le bleu nous appartient-il en propre? Les couleurs n'étant pas myriades, tout le monde a-t-il droit à la sienne?) est mieux.
Dans l'Antiquité, les courses en char donnaient lieu à des paris entre spectateurs. Il y avait ceux qui soutenaient les bleus, justement pendant que d'autres leur préféraient les blancs ou les rouges, ou les verts. Deux couleurs étaient plutôt "supportées" (quelle horreur que ce mot en français dans le sens qu'on lui donne ici!) par l'aristocratie pendant que les deux autres avaient les faveurs de la plèbe. Ne me demandez pas lesquelles! Eh bien moi, c'est à ces spectacles violents et triviaux que je pense chaque fois que j'entends "les Bleus"!
Une dernière réflexion sur ce même sujet. Les modes passent et on inventera probablement bientôt une autre façon de nommer les équipes nationales, je ne me tracasse pas du tout pour ça. Qui, aujourd'hui, en tout cas dans les médias, emploie encore l'expression "les Verts", si célèbre quelques décennies en arrière, pour désigner l'équipe de football de St-Étienne? Rappelez-vous: dans le même registre de difficulté à prononcer le nom de la France, les politiques de la génération presque précédente disaient à longueur de temps, en pinçant les lèvres comme s'il venait de sentir un relent nauséabond: "ce pays". Pas mon pays, notre pays, mais ce pays! Bon analyste est toujours extérieur à son sujet, sans doute!!!
Pour finir, deux choses qui m'ont bien fait rire ce soir!
- un site de rencontres homosexuelles où les gens se présentent en dévoilant leur préférence dans l'action. On se classe en gros en trois catégories: actif, passif ou versatile (tantôt l'un, tantôt l'autre). Un jeune espagnol qui ne manque apparemment pas d'esprit, s'est insurgé contre ce dernier vocable: "Mais quoi, versatile! Je ne suis pas versatile, je suis réversible!". Bravo, jeune homme!
- le film de ce soir sur W9: Qui peut sauver le Far West?, production allemande de Michael Herbig. Totalement loufoque et déjanté. Une pitrerie pas toujours très fine mais drôle et sans prétention. Moi, j'aime.
Qui c'est les plus forts, évidemment c'est les Verts ! On a un bon public et les meilleurs supporters !
RépondreSupprimerOn va gagner ! Ça c'est juré ! Allez ! Allez !
Oui, enfin, on pourrait répondre à l'Espagnol en question que 'réversible' peut être interprété différemment, d'un point de vue sexuel....
RépondreSupprimerEn Anglais, c'est 'top' et 'bottom' ce qui n'est pas mieux au niveau des implications...
Pour les sportifs, une solution toute simple consisterait à dire "les joueurs français" ou "les athlètes français". Mais c'est bien trop long, ça, ma pôv' dame... Ca fait pas assez moderne, assez yéyé. De toute façon, on est en train d'enculer des mouches, pas vrai. Et elles, elles ne sont ni réversibles, ni versatiles, les malheureuses.
Mais tu étais né à cette époque-là, Christophe?
RépondreSupprimerEnculer des mouches, Lancelot? De quoi attraper le bourdon!
Je ne sais pas si j'étais né, mais ma (très grande) soeur avait le 45 tours...
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