Ce soir, je rentre fourbu. Une nouvelle journée à vider la maison de la tante de Frédéric. Pas de fatigue physique aujourd'hui, c'est autre chose. Nous avons vidé des papiers, entassés depuis des années, parfois triés, parfois en vrac, en faisant attention à ne rien jeter d'important. Ensuite, les deux grands sacs poubelle de 130 litres, pleins à craquer, il faudra les brûler dans le jardin un jour où il fera meilleur.
Je me suis retrouvé quelques années en arrière, quand j'ai dû mettre le nez dans toutes les paperasses qu'avait accumulées Pierre, bien souvent sans raison. Depuis ce jour, je me suis promis que ceux qui viendraient après ma mort n'auraient pas ce boulot ingrat à faire.
Et puis, j'ai pensé à mes livres, sans doute la seule chose que je regretterai (si je suis en "état" de regretter quelque chose!). Que vont-ils devenir ? Je sais que mon neveu a toujours fui devant le plus petit roman qui, par hasard, lui tombait entre les mains. Quant à ma nièce, elle m'est pour ainsi dire trop étrangère pour que je sache quoi que ce soit de ses goûts. Ma sœur lit beaucoup mais que conservera-t-elle si elle me survit ? Je doute que tous les volumes d'auteurs antiques, par exemple, la passionnent.
J'ai eu un moment de grande tristesse en voyant, tout à coup, devant mes yeux, des mains inconnues les prendre en brassées dans mes bibliothèques et les entasser dans des caisses destinées à des brocanteurs ou, plus vraisemblablement, à des œuvres de charité. S'ils peuvent donner du plaisir à d'autres, je n'ai rien contre, bien au contraire. Ce que je n'aime pas penser, c'est que tous seront considérés comme des objets encombrants dont il sera urgent de se débarrasser. Alors que chacun a une histoire, depuis son achat jusqu'à sa lecture, depuis son classement sur les rayons jusqu'au moment où je l'en ressors pour le feuilleter, relire une page marquée, revoir une couverture qui m'avait plu au point de me souvenir presque toujours du lieu et du moment où je m'étais procuré l'ouvrage.
Ce qui me console, c'est qu'une grande part de ce que je suis, je le tiens d'eux, qu'ils m'ont formé (ou déformé) tout aussi sûrement que les événements de la vie quotidienne et que ça, personne ne pourra le mettre en caisses. Peut-être mon cercueil en sera-t-il seulement un peu plus lourd, et encore...
Très beau. Je me suis toujours demandé ce qu'était devenue la bibliothèque de Jacqueline de Romilly.
RépondreSupprimerTu me fous le bourdon, ami encore mal connu, et en même temps tu m'incites à trier et ranger. Beaucoup de mes livres de jeunesse m'ont aidé à me situer dans la vie à une époque où quasi personne ne nous éclairait (ni ne descendait dans la rue pour nous houspiller). Il fallait aller chercher ces livres à l'étranger, aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne... Quand je les consulte aujourd'hui, c'est avec une immense reconnaissance, comme si je prenais un père ou un frère par l'épaule.
RépondreSupprimerParfois je pense à Fils qui se retrouvera un jour à la tête de 3 bibliothèques, la mienne, celle de son père (une mine de raretés !) et celle de son grand-père maternel qui occupe déjà 3 greniers. Le garçon a attrapé irrémédiablement le virus, il accumule aussi pas mal, mais aura-t-il jamais les moyens de vivre ailleurs que dans l'espace réduit d'une coloc ?
RépondreSupprimerPoussière nous sommes et poussières nous serons, comme toute entité matérielle, comme tes livres. Ce qu'il t'ont apporté, d'immatériel et précieux, c'est à toi de le transmettre à nouveau.
RépondreSupprimerCe que par ailleurs, tu fais aussi au travers de ces lignes :-)
Sinon, sur un plan matériel, à toi de dicter où et pour qui tes livres auront (le plus tard possible...) une deuxième vie.
Anonyme: merci. Pour de Romilly, je n'en ai aucune idée.
RépondreSupprimerAndré: la dernière phrase de ton commentaire est splendide. c'est, en très bien dit, exactement ce que je ressens.
La Plume: heureuse mère! Tu es sure au moins que tes livres ne finiront pas dans une déchetterie.
Jérôme: et dans mon travail. Enfin, j'espère!
Sur le plan matériel, je laisserai faire le cours des choses. Je sais trop bien que rien, alors, ne se passe tout à fait comme prévu.
Vous avez la possibilité de léguer votre bibliothèque... à une autre bibliothèque. C'est ce qu'a fait Julien Gracq pour Saint-Florent-le-Vieil ou Christine de Rivoyre à Onesse-et-Laharie dans les Landes. Depuis toujours, Bernard Pivot expédie les livres qu'il reçoit à la bibliothèque de son village du Beaujolais.
RépondreSupprimerAnonyme: c'est une idée, bien que la mienne n'ait sans doute pas la valeur de celle des illustres personnages cités dans votre commentaire.
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