L'attelage nous déposa à neuf heures précises, Holmes et moi, devant le 12 Kensington Road. La maison des Stonehill était une grande demeure de style victorien, dressée au milieu d'un foisonnant jardin à l'anglaise. Un superbe gazon entourait la bâtisse, tel un épais tapis de velours vert. Des petits chemins bordés de bancs et de statuettes serpentaient entre les arbres et les buissons. Le matin était glacial. Des nappes mouvantes de brouillard faisaient apparaître et disparaître la maison et le jardin, donnant à ce lieu un aspect sauvage et intriguant.
La gouvernante nous accueillit sur le perron et nous dit:
- Bonjour, Messieurs. Je présume que vous êtes Mr Holmes et le Docteur Watson. Je vais prévenir Madame que vous êtes arrivés. Je vous prie de bien vouloir patienter dans le salon en attendant sa venue.
Mrs Stonrhill arriva bientôt, toute de noir vêtue. Elle nous salua sobrement:
- Je vous remercie de votre ponctualité, Messieurs. Puis-je vous offrir une tasse de thé?
Holmes répondit d'un ton fort allègre:
- Volontiers, Madame. Et pour vous, Watson?
- Avec plaisir, merci.
Elle adressa un signe de la main à la gouvernante qui alla aussitôt à l'office pour préparer du thé. Notre belle hôtesse reprit la conversation d'un ton anxieux:
- Avez-vous quelque idée nouvelle sur la mort de mon mari, Monsieur Holmes?
- J'envisage plusieurs hypothèses, Madame, mais l'inspection du bureau et de la maison, à la recherche d'indices, sera déterminante pour la suite de l'enquête. Mais.... ne prenez-vous pas de thé?
Elle poussa un soupir:
- Non. Mon mari en était grand amateur; moi, je n'ai jamais réussi à l'apprécier, je préfère le café. j'adore l'odeur du café!
Après avoir bu quelques gorgées, Holmes avoua:
- Ce thé est excellent. Ne serait-ce pas là un thé indien? ajouta-t-il en reposant délicatement sa tasse de porcelaine dans la soucoupe.
- C'est exact. Le frère de mon mari, Peter Stonehill, est producteur de thé en Inde, non loin de Darjeeling. Producteur et importateur. Il est propriétaire du magasin le plus couru de la cité. Il est de retour à Londres depuis peu. Il ne manque jamais de nous en offrir à chacun de ses retours. Mais nous ne l'avons pas encore revu.
- Votre mari et lui n'avaient-ils pas de points de désaccord?
- A ma connaissance, non. Ils se chamaillaient souvent quand ils étaient jeunes, mais c'est de l'histoire ancienne.
Puis la charmante veuve se leva et nous pria de la suivre au premier étage de la demeure, dans le cabinet de travail de William, son défunt mari.
En face d'un grand escalier, la porte s'ouvrait sur le lieu de la tragédie. La pièce était relativement petite. L'ameublement, sobre et raffiné, comprenait, au centre, un grand bureau en acajou sur lequel étaient éparpillées des feuilles de comptes et des relevés bancaires. Derrière le bureau trônait un superbe fauteuil de velours rouge. Une splendide bibliothèque remplie d'ouvrages rares couvrait le plus large pan de mur. Une grande fenêtre donnant sur le jardin diffusait la pâle lumière hivernale. Les murs peints en vert émeraude étaient parsemés de motifs représentant des roses rouges, des lys blancs et des plumes de paon. Le parquet était recouvert d'un épais tapis persan. De grosses poutres en bois étayaient le plafond. Des tableaux de maîtres et divers objets décoratifs agrémentaient la pièce. Le vert et le rouge étaient les couleurs dominantes du petit mais cossu bureau de William Stonehill.
Sherlock Holmes tapota fébrilement les poches de son trench coat, son regard vif et rapide scruta la pièce en tous sens. . Il entra finalement dans le bureau d'une grand enjambée puis se positionna au milieu de la salle. Son visage était figé et seul son regard perçant trahissait l'intense activité cérébrale qui le submergeait. Le grand détective était là et bien là, comme revigoré après une trop longue période d'inaction. Il semblait intrigué par les murs. Puis il s'approcha du bureau qu'il examina alors avec la plus grande attention. L'encrier était ouvert. A côté, le porte-plumes était couvert d'encre séchée. La trace légèrement décolorée d'un petit cercle était visible sur le bord gauche du bureau. Mrs Stonehill semblait impressionnée par l'attitude de mon ami Holmes, elle avait l'air presque terrorisée. Je me tenais à ses côtés, immobile.
Holmes se dirigea ensuite vers la bibliothèque, il l'observa de haut en bas, de droite à gauche, puis il s'arrêta près de l'échelle, tête baissée. Pas une parole ne lui échappait, le silence était pesant. Soudain, il prit à terre quelque chose d'invisible à mes yeux et le glissa dans sa poche. Puis il déplaça l'échelle vers l'endroit du plafond que Mrs Stonehill lui désignait du doigt. Il grimpa, examina la poutre à la loupe et descendit trente secondes après. Brusquement, il se retourna vers Mrs Stonehill et lui demanda d'un air évasif:
- Votre mari perdait-il ses cheveux à cause du stress ou des soucis financiers?
La veuve, fort étonnée, mit un peu de temps avant de répondre:
- Monsieur Holmes, je vous avouerais que je n'ai jamais remarqué que mon défunt mari perdait ses cheveux.
Alors Holmes hocha la tête et reprit son inspection. Le silence était pesant et seules les discrets crissements du parquet étaient audibles. Alors que je baissais les yeux, en ce lieu tragique je remarquai une tâche noire sur le tapis de soie au pied du bureau.
Après quelques instants, mon ami interrogea de nouveau l'épouse du défunt:
- Mrs Stonehill, pouvez-vous me dire qui a choisi les peintures de cette pièce?
Je fus étonné par la douceur du ton de mon ami et sa question quasi saugrenue. Après une minute de surprise, la veuve lui précisa avec un peu d'embarras:
- C'est mon époux qui a opté pour les motifs, mais c'est moi qui ai choisi les couleurs. Il les appréciait beaucoup.
- Je vous remercie, Madame, pour ces précisions, car tous les détails, aussi minimes soient-ils, ont leur importance dans une enquête, ajouta-t-il en esquissant un petit sourire du coin des lèvres.
J'adressai également un sourire réconfortant à notre hôtesse pour détendre un peu l'atmosphère, cependant je restais très perplexe.
Holmes continua son inspection. Soudainement, il reprit la parole et déclara:
- Nous vous remercions pour votre hospitalité. Nous ne voudrions pas vous importuner plus longtemps et, de surcroît, je ne pense pas que nous puissions tirer d'autres indices de ce magnifique bureau.
La veuve approuva d'un signe de la tête, sans un mot. Alors que nous sortions de ce fastueux logis, Holmes s'arrêta brusquement et demanda à Mrs Stonehill:
- S'il vous plaît, pourriez-vous m'indiquer l'adresse de votre beau-frère, Peter Stonehill?
Je crus voir un léger sourire sur les lèvres de Victoria Stonehill avant qu'elle ne réponde à mon ami:
- Il réside sur les quais de la Tamise, au 108 Millbank Embankement, près du Tate Gallery Museum, à côté de son entrepôt de thé. déclara-t-elle sur un ton qui me semblait bien joyeux pour une veuve.
Sur ce, nous la saluâmes et nous en retournâmes vers notre logis, en cab. Le trajet fut silencieux. Holmes était très concentré. Peut-être avait-il trouvé une piste intéressante.
.....
Voilà qui donne envie de relire Conan Doyle!
RépondreSupprimerAh, la description du bureau, ça me gouste, ça me gouste...
RépondreSupprimerLa suite, por favor.
Magnifique ! Je suis très impatiente de découvrir la suite de cette petite merveille.
RépondreSupprimerEt bravo pour votre blog, j'aime la douceur qui s'en dégage, vraiment !
Je reviendrai souvent :)
Belle continuation
Eh bien, ça devient le nouveau feuilleton de l'été. Très impressionné.
RépondreSupprimerJérôme et Zeus: merci pou lui!
RépondreSupprimerLancelot: je trouve effectivement qu'il a l'art d'installer une atmosphère.
Caly: merci pour les compliments, à lui et à moi. Je fais moi-même quelques détours par chez vous.
Cornus: ça vaut largement les séries télé, n'est-ce pas!
Absolument, Calyste, mais je pensais des feuilletons karagariens ou lancelotiens ou plumesques...
RépondreSupprimerCornus: cette année, c'est moi qui m'y colle!
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