Je n'avais pratiquement qu'à traverser la rue pour passer du lycée où je poursuivais mes études à la Bibliothèque Municipale, un lieu qui longtemps m'impressionna profondément. C'était une belle demeure bourgeoise sans doute du XIX° siècle, ornée en façade de hautes fenêtres agrémentées de lourdes tentures. Les salles de lecture et le prêt se trouvaient au premier étage.
Je me souviens de cette sorte de respect sacré que j'éprouvais chaque fois que j'en poussais la porte, un peu sans doute comme à Delphes le pèlerin antique à l'approche du temple d'Apollon où officiait la Pythie. J'entrais dans un univers qui n'était pas le mien et où je devais, pour être accepté, adopter une attitude irréprochable. D'ailleurs ne l'eussè-je pas fait de moi-même que l'on m'aurait très vite rappelé à l'ordre.
Les employés municipaux se ressemblaient tous: des gens un peu âgés, forts discrets et distingués (c'est du moins ce que je pensais d'eux à l'époque), presque aussi blancs de peau que les ouvrages demandés qu'ils allaient chercher dans des arcanes inaccessibles au commun des mortels et ne permettant pas le moindre bruit ni le moindre mot dans les salles de travail.
C'est ici, dans ce cadre que j'aimais mais qui m'écrasait, où je me sentais devenir quelqu'un d'autre, que j'ai lu des heures et des heures, des philosophes en particulier, à m'enthousiasmer pour L'Eau et les Rêves ou La Psychanalyse du feu de Gaston Bachelard, à m'ennuyer un peu en lisant la philosophie de Sartre, en oubliant le temps avec Freud.
Je me souviens aussi y avoir entrepris l'écriture d'une pièce en vers, Marie Stuart, qui devait, dans mes pensées, me mettre le pied à l'étrier pour une immense gloire future. Elle était en alexandrins, bien sûr, et je pianotais sur la grande table, sous la lampe qui m'était réservée, comptant le nombre de pieds des deux hémistiches et jetant des coups d'œil à la dérobée autour de moi pour vérifier que personne ne s'était aperçu de mon activité d'écrivain. Car le paradoxe était bien là: je rêvais d'entrer au Cénacle des plumes illustres mais serais mort de honte s'il l'on m'avait surpris écrivant.
Ridicule, bien sûr, tout cela, avec le recul des ans. Pourtant, en étant sincère, je suis sûr que je ne serais pas l'homme que je suis aujourd'hui si tout cela n'avait pas été: le respect, la curiosité, l'ambition et la honte, .... et les vers de mirliton.
La bibliothèque de ma banlieue demi-chic m'intimidait aussi, rien que de marcher sur le plancher ciré on avait peur de réveiller les souris. Et moi je n'écrivais pas de futur chef d'oeuvre théâtral, j'écrivais des lettres d'amour en piochant dans les bouquins!!!!! En prose, mais à mon avis le tout devait égaler tes vers !
RépondreSupprimerMoi aussi, j'étais fort impressionné par la bibliothèque municipale (très vieille et poussièreuse à l'époque) et je n'y suis allé que par accident. Il faut dire que j'étais un piètre lecteur. Dommage que l'on ne m'ait pas un pu plus forcé la main (et bien avant le lycée).
RépondreSupprimerJ'admire "l'eussè-je". Et je me souviens de la Psychanalyse du feu, le feu qui brille au paradis et brûle en enfer. Mon Dieu, pourquoi j'aimais autant Bachelard il y a quelques années. Je n'ai plus aucune envie de relire ses livres. J'ai toujours été inscrite dans une bibliothèque municipale. Celle de maintenant est moche, très moche, avec des dames bénévoles nulles et bien pensantes. Mais bon, à force d'acheter des navets, je pense que c'est quand même utile. Bonne journée Calyste.
RépondreSupprimerbonjour les images d'épinal sur les BM... :o)
RépondreSupprimerheureusement ca a changé! des espaces sont consacrés au silence et à la recherche, d'autres sont vivants avec des enfants qui bougent et qui crient, si si etc.
c'est aussi le dernier lieu en ville pour tous les "exclus de la vie". vous pouvez y dormir, lire le journal, être au chaud, être en sécurité tout simplement sans que personne ne vous dise rien. et des lieux comme ceux la il n'y a plus. il n'y a plus de chaises pour patienter à la poste, presque plus à la gare etc.
alors on accueille aussi les "hopitaux de jour" et son lot de "psychologiquement faibles". d'où des histoires parfois cocasses, parfois nettement moins droles voire insultantes.
Au printemps dernier j'étais "une aberration anthropologique" par ex. ma place n'était pas en bib car le monde court à sa perte à cause de la mixité. moi et ma descendance nous brulerions dans armageddon.
j'en tremble!! chouchenn et aglagla vite aux abris!
La semaine derniere j'étais juste une pétasse hurlé dans une salle destinée au travail donc au silence. Sympa! tout ça parce qu'il n'arrivait pas à aller sur google selon ses dires alros qu'il y était déjà.
avec qq 1500 personnes/jour, qqs uns sortent de l'anonymat sont connus nominativement grace à leurs passages quotidiens ou sont affublés d'un sobriquet. "monsieur mythomane, Nichon, Poivre et Sel, Double Mètre etc".
c'est vrai tout le monde n'est pas poète en bibliothèque à commencer par les employés.
Chouchenn
La bibliothèque toute petite du centre culturel non moins minuscule de Mamoudzou restera aussi pour moi l'emblème du savoir.
RépondreSupprimerEt de ces vers, reste-t-il traces?
RépondreSupprimerLa bibliothèque du temps de mes années d'étudiante n'avait rien d'une demeure bourgeoise. Elle était flambant neuve et vivante! C'était lumineux, de grandes baies vitrées donnaient sur les flèches de l'Abbaye aux hommes. Tout était spacieux, calme dans les salles de travail. J'ai planché plus d'une fois sur "mon" Gaffiot et "mon" Bailly. J'avais moi aussi l'envie d'écrire qui me titillait mais je ne le disais pas trop; j'écrivais des nouvelles et encore des nouvelles! Maupassant ne m'impressionnait pas!
RépondreSupprimerOui, vous avez raison Calyste, ce que nous écrivions et la façon dont on "se voyait déjà" nous ont nourris!
J'aime toujours écrire et vous aussi semble-t-il, puisque vous êtes ici, à écrire des billets jour après jour et que vous en avez déjà écrit deux mille!
je vais être très prosaïque! Ma plus belle bibliothèque? Ma chambre, mon lit! J'y ai quasiment tout appris. Et comme tout le monde j'y ai écrit les plus beaux vers du monde, que j'ai détruits, car ils ne supportaient pas la relecture. Mais quels merveilleux souvenirs!!
RépondreSupprimerJe ne pensais pas que ce billet allait susciter autant de commentaires. Ce lieu particulier qu'est la bibliothèque reste sans doute pour tous charger de sens et de symboles.
RépondreSupprimerJe vous le dédie, Anna.
Quelques-uns sans doute au fond d'un tiroir, karagar. Mais, j'en suis sûr, rien de Marie Stuart projet qui, d'ailleurs, n'a jamais été mené à terme.
Ça m'est indispensable, Merbel.
Charlus: Je viens justement de faire un cours avec mes cinquièmes sur le métier d'écrivain, leur façon d'écrire, les lieux et les moments d'écriture. Bien qu'un peu ardu, le sujet semble les avoir beaucoup intéresser.
J'enchaîne sur la remarque de Karagar : il ne reste même pas une petite tirade de rien du tout griffonnée sur une feuille jaunie ? Steuplait steuplait steuplait !!!
RépondreSupprimerBon, il faut réamorcer la pompe, peut-être ? Laisse-moi t'aider. Lancelot, les vers de mirliton, ça le connaît :
Elisabeth, ma très perverse cousine
Ne cesse de me faire des coups bas dans le dos.
Avec son air sucré et ses petits cadeaux
Elle prépare en douce mon cachot, chafouine.
Aux armes, citoyens, je fus Reine de France,
Sans oublier l’Ecosse, grâce à mon cher Papa.
Et n’attendez de moi aucun mea culpa
Aux Catholiques toujours ira ma préférence.
Las, je sais bien ce combat par avance perdu.
Là-bas dans l’avenir m’attend mon triste sort.
Point encore n’existe la guillotine à ressorts
Par la hache trois fois ma nuque sera mordue.
Une romanichelle me le prédit un jour :
L’auteur de mon trépas sera un vieil ivrogne.
Après qu’ait retenti le roulement du tambour
Ma tête retombera comme triste charogne.
Je chercherai dans mes vieux papiers, Lancelot, enfin dans ce qui m'en reste! Et promis, je m'exposerai à la honte d'en divulguer quelques passages.
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