On dirait un titre de film, de ceux que l'on applaudit ce soir à Cannes, vedette ou réalisateur, dont on entend parler partout pendant quelques jours et qui, parfois, sont bons.
Dans celui-ci, un seul acteur, un seul réalisateur, un seul scénariste: moi. Une seule musique: le blues, celui des origines. Un seul regard: celui tourné vers mon nombril. Un seul éclairage: terne malgré le soleil. En fait, j'ai mal vécu ces quatre jours. Peut-être de mon simple fait.
L'atmosphère dans ma tête était aussi lourde que la touffeur atmosphérique. Des nuits trop courtes, par manque de sommeil vraiment réparateur, n'ont rien arrangé. J'ai traîné ma mauvaise humeur, tournée contre les autres mais surtout contre moi.
En fait, voilà déjà un grand laps de temps que les circonstances me rendent libre et sans contraintes (ou presque): semaine d'arrêt de travail, quinzaine de vacances, ponts des 1er et 8 mai, fin de semaine à la maison après les corrections de copies d'examen. Je crois de ce pont de l'Ascension était de trop. Je ne m'y suis vraiment senti bien qu'une demi-journée, en préparant mes cours prochains.
Pourquoi ce mal être? J'ai très longtemps été très gâté par l'existence. Avec Pierre, il était rare que je me demande quoi faire de jours de liberté. Nous étions deux: si l'un séchait, l'autre avait forcément une idée. Pendant des années, d'ailleurs, chaque période de vacances ou pont un peu important se passaient à la campagne, dans le Chablais. Nous y retrouvions les voisins qui étaient aussi des amis. Le temps nous manquaient même pour satisfaire tout le monde, ceux sur place et ceux qui nous rendaient visite.
Aujourd'hui, c'est différent. La maison de campagne n'existe plus et je n'ai pas encore le courage de rendre visite à ces anciens voisins. Aussi, lorsqu'arrivent quatre jours de repos, avant même de m'en réjouir, comme toute personne normalement constituée, j'éprouve une appréhension certaine à l'idée de me retrouver seul aussi longtemps. Un moment, oui, j'apprécie, mais plus, non. Ne dire que des mots attendus, sans réelle signification, aux commerçants, dans la rue, au marché, jouer la civilité, celui qui est heureux du beau temps qui revient et des prix qui baissent, je sais très bien faire mais j'ai l'impression, à chaque phrase, de creuser davantage encore mon potentiel de colère rentrée.
Même chose pour la libido. Lorsque Pierre était là, je m'en allais souvent en escapades coquines, qui avaient en plus un petit relent d'interdit. Je n'avais que peu de temps pour satisfaire mes désirs et mes pulsions et ces contraintes me rendaient ces moments encore plus précieux, augmentaient ma fin de la chair de l'autre, de l'inconnu, et lui donnaient le goût exquis de la rareté à consommer vite et, si possible, bien. Aujourd'hui, rien ne m'empêche de sortir quand je veux, de rencontrer qui je veux, où je veux, de vivre en Sardanapale lubrique ou enamouré. Je le fais sans doute mais je n'y retrouve que rarement ce petit fumet sauvage d'antan.
Alors, voilà, qu'est-ce que je veux, réellement? C'est là qu'est le nœud de l'affaire. Tant que je n'aurai pas éclairci ce point, je risque de me retrouver dans la même situation que ces quatre jours: hésiter entre plusieurs directions différentes à suivre, n'en prendre vraiment aucune, et en vouloir aux autres de ne plus m'apporter ce que je trouvais en eux autrefois. J'ai conscience d'être terriblement égoïste en écrivant cela, mais je suis égoïste dans ces moments-là. Et je crois que je vais sans doute le rester, voire accentuer ce côté pour un temps, jusqu'à ce que je sache un peu plus clairement ce que je veux.
J'ai plutôt tendance à être gentil et à désirer faire plaisir aux autres, à ceux auxquels je tiens. Je ne sais plus si c'est la façon idéale de se situer face à eux, puisque, en agissant ainsi, en me contraignant, j'aggrave ma frustration, mon besoin d'autre chose. Mettre trop souvent ses propres aspirations entre parenthèses pour les troquer contre celles d'autrui, c'est accumuler du manque et forcément leur en vouloir au bout d'un moment, alors qu'ils n'y sont, la plupart du temps, pour rien.
En même temps, ne penser qu'à mon plaisir personnel, zapper tous ceux qui m'entourent ou, pire, me servir d'eux quand j'en ai besoin, comme la pratique semble s'en généraliser, je ne peux pas, je ne sais et ne veux pas savoir faire. Alors quoi? Écrire d'abord, se montrer sincère dans ce que l'on écrit, dans ce que l'on livre de soi, sans enjoliver la sauce avec des flonflons romantiques, au risque de déplaire mais tant pis. Moi, écrire, ça me soulage.
D'ailleurs, les signes sont nombreux d'une reprise d'énergie: j'ai arrosé mes plantes (signe contraire: je n'en ai pas encore parlé cette année), j'ai descendu la poubelle, vidé le casier à bouteilles, je me suis fait plaisir au marché ce matin, en achetant ce dont j'avais envie (ça paraît naturel, ça ne l'ai pas forcément pour moi), j'ai vérifié les déclarations d'impôts, j'ai fait du rangement (un peu). Je suis là à écrire et je ne sens plus ce poids qui m'a pesé tous ces jours.
Alors m'apparaissent les bons moments que j'ai à peine entrevus: la lecture achevée du livre de Camilleri, l'après-midi à Miribel avec Stéphane, la chambre bleue avec Kicou, même malade, le repas de ma sœur, excellent, à midi, les retrouvailles avec Raphaël et la rencontre de son ami Éric. Il faudra que je veille à ne me souvenir que de ceux-là.
Ainsi, voyez, s'il y a une palme à décerner ce soir pour les Quatre Jours en mai, ce n'est certes pas celle du martyr. Il ne faut pas exagérer.
"augmentaient ma fin de la chair de l'autre"...
RépondreSupprimerça ouvre des perspectives sans fin... mais avec appétit.
Quand on n'a pas de raison d'être malheureux, on (se) trouve toujours une certaine obscénité à ne pas être réellement heureux. Et pourtant, je crois que c'est un passage, une transition, un "état d'âme" auquel nous sommes tous fréquemment confrontés, mais que nous taisons, par honte, justement.
RépondreSupprimerJe comprends très bien ce que tu as écrit là. Il n'est pas question d'égoïsme, simplement d'instospction. Par essence on est tous insatisfaits. Simplement on s'en rend compte plus ntensément à certains moments qu'à d'autres.
J'ai trouvé beaucoup d'échos, que j'aime, encore, dans ce que tu as écrit. Je ne rentrerai pas dans les détails. Je me contente de t'embrasser. Affectueusement.