mercredi 30 juin 2010

Les Précieuses ridicules

Ça y est: Tout l'monde dehors, c'est bien parti. Depuis plus d'une semaine à vrai dire. Et ce soir, je rentre du théâtre, en fait du théâtre en plein air puisque la pièce était donnée dans un jardin proche de la gare de la Part-Dieu. Étrange idée que de jouer là un classique de Molière, les Précieuses ridicules, mais, comme le dirait Olivier, pourquoi pas.

On se souvient sans doute de l'intrigue de cette courte comédie: deux précieuses, Cathos et Magdelon, refusent les avances de deux jeunes gens, Du Croisy et La Grange, au prétexte qu'ils ne sont pas assez "polissés". Sont annoncés alors deux personnages hauts en couleur et tout enrubannés, le marquis de Mascarille et le vicomte de Jodelet qui ne sont en fait que les valets des deux autres et vont couvrir de ridicule les deux péronnelles qui ont furieusement cru à leur valeur.

Le texte, presque toujours respecté, a été agrémenté de deux ou trois expressions plus modernes bien senties et les deux "marquis" de pacotille, Mascarille surtout, ont tiré leur personnage du côté de l'ego ultra démonstratif de quelques stars de la chanson actuelle. Bien, très bien même. En revanche, la transformation de la servante Marotte en travesti handicapé du bras et celle de Gorgibus en Catherine Lara plus vraie que nature, bien que souvent drôles, ne s'imposaient pas.

Quand ai-je, pour la première fois, eu affaire à cette comédie? Il me semble que c'est en 4°. En tout cas, je me souviens bien du plaisir éprouvé à découvrir ces abus de langage et grotesques fioritures: le miroir est devenu le conseiller des grâces et les sièges des commodités de la conversation que l'on véhicule plutôt qu'on ne les apporte. J'ai retrouvé ce même plaisir ce soir et j'étais heureux de voir que Frédéric et Jean-Claude semblaient le partager.

Un petit moment à évoquer en particulier: celui ou Mascarille, après l'avoir lu, se met à chanter son fameux impromptu à la manière d'abord d'Obispo puis de Raphaël:

Oh, oh ! je n'y prenais pas garde:
Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur,
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur!

(Scène 9)

Voilà donc une bonne soirée passée entre amis et ce grâce à La Compagnie et son personnel de bord. Merci à eux pour leur entrain. Dernière représentation: demain, 1er juillet à 21h, Place Valensio, dans le 5°.

mardi 29 juin 2010

Phobie scolaire

Diplôme National du Brevet. C'est la nouvelle appellation de notre vénérable BEPC, entre temps nommé aussi Brevet des Collèges. En attendant une autre trouvaille du ministère ou sa disparition définitive (du brevet, pas du ministère!).

Nouveauté pour moi cette année: je n'ai qu'une élève à surveiller, dans une salle isolée, tout au fond d'un couloir. Motif invoqué après que j'ai demandé à le connaître: phobie scolaire. Il s'agit, à première vue, d'une jeune fille calme et posée, descendante de ces arméniens qui s'installèrent en France après le massacre de 1915 et dont la région lyonnaise constitue un lieu d'implantation important. Habillée de façon très traditionnelle et correcte, chaussures découvertes de corde en tissu noir, pantalon de toile de même couleur et, pour le haut, une espèce légère de boubou africain représentant des motifs géométriques de rosaces en dominantes verte et brune. Une petite couette toute sage sur la nuque, un fin bracelet d'argent côtoyant au poignet un élastique de couleur, et de longues boucles d'oreilles comme je les aime, à la mode qu'on pourrait dire "Charleston". Rien chez elle n'indique pour l'instant une quelconque phobie. Seuls, à son arrivée, la coloration trop forte de ses joues et le contour, bien délimité, de cette aréole rouge sur le visage trahissaient une émotion certaine.

Elle est en train de composer maintenant, et le feu a disparu de ses traits. Comme souvent chez les filles, elle penche, pour écrire, la tête sur le côté, rapprochant l'oreille de l'épaule gauche, ce qui m'émeut toujours. On n'avait pas prévu d'autre adulte que moi pour surveiller cette adolescente. J'ai demandé expressément à ne pas être seul avec elle. Ma requête a paru surprendre l'équipe d'organisation mais j'ai tenu bon: je ne suis pas particulièrement timoré mais je n'aime pas ces situations qui peuvent, à tout moment, devenir problématiques. On m'a donc adjoint un autre surveillant, un vieux professeur de physique fort aimable qui s'est aussitôt lancé dans la lecture d'un gros catalogue de commandes pour sa spécialité.

Il vient d'être remplacé par un autre homme, plus jeune et plus attrayant, mais qui, visiblement, est ici contraint et forcé: tenue estivale du polo et du bermuda, sac à dos apparemment vide puisque, depuis un quart d'heure qu'il est là, il n'en a strictement rien sorti, pas un document, pas un livre, pas une revue, rien. Il contemple indéfiniment les murs oranges aux plinthes vertes et ses beaux yeux clairs ne reflètent rien. Combien de temps va-t-il tenir ainsi? On pourrait penser que l'adjectif "végétatif" a été créé pour lui.

La première épreuve de français porte cette année sur un texte de Colette extrait des Vrilles de la vigne. J'ai connu l'auteur plus inspirée et plus intéressante. Cette histoire de jeune maman qui "s'enivre, les joues chaudes, d'un roman mystérieux" et à qui son jeune fils vient annoncer que sa sœur s'est noyée alors qu'elle s'amuse à creuser le sable, ayant ainsi disparu de son champ de vision, n'a aucun intérêt quant aux faits relatés pas plus que par son style. Comme d'habitude, les questions posées induisent des réponses à la limite de la paraphrase et pourraient être soumises à un bon élève de cinquième. Je ne comprends pas que l'on n'offre pas aux candidats des textes plus riches, comme il me semble que c'était le cas l'an dernier. Pour la conclusion, on leur souffle dans l'énoncé ce qu'ils doivent y dire et l'exercice de réécriture est une adaptation stérile de texte écrit aux présent et passé composé dans le système du passé (plus-que-parfait, imparfait, passé simple).

La plante verte qui me sert de co-surveillant a appuyé sa tête sur sa main, coude replié bien calé sur la table, et est en train de s'endormir. J'espère ne pas avoir la même tentation trop rapidement. Malgré le peu de présence humaine dans la salle, il y fait très chaud. Les deux fenêtres au soleil sont munies de barreaux et donnent dans une cour immense dont le fond est borné par la façade sans style d'un bâtiment moderne. A la perpendiculaire de ce bâtiment, une rangées de vénérables platanes, probablement plus que centenaires, frissonne sous une brise légère que l'on ne sent pas au sol. Vent chaud du sud. Il y aura peut-être de l'orage cet après-midi.

Le "végétal" bâille et vérifie que son sac est bien vide. Miracle: il vient d'en sortir une pochette plastique du même vert ou presque que les portes et les plinthes. Il l'a ouverte à moitié et compulse les documents qui s'y trouvent, sans grand enthousiasme et sans en lire aucun. La pochette est maintenant refermée, bien à plat sur le bureau, aussi inerte que son propriétaire. Je m'étonne de ne pas encore sombrer dans le sommeil après une nuit en dentelle agrémentée des bruits de voix de voisins peu délicats.

La jeune fille, elle, s'appelle Elsa et a de beaux yeux. Elle travaille et remplit sa quatrième page. Ne pouvait-elle vraiment se fondre dans la masse des autres candidats? D'habitude ne sont isolés que ceux qui bénéficient d'un tiers-temps supplémentaire à cause de telle ou telle "difficulté" (dyslexie, par exemple). Elle a une écriture régulière et lisible, sans grande personnalité, mais rares sont ceux qui, à cet âge-là, en font preuve dans la formation de leurs lettres, une écriture de fille mais sans exagération dans les arrondis ni dans la taille des points sur les "i". Elle me plaît bien, cette petite Elsa, avec son allure sérieuse, dispensée de la comédie que les autres, à intervalles réguliers, se croient obligés de jouer dès qu'ils sont ensemble.

On vient de me donner le texte de la dictée: toujours du Colette, toujours tiré du même ouvrage, toujours aussi peu enthousiasmant du point de vue littéraire. Un seul sac sur l'estrade, ça fait drôle. On a l'impression d'avoir été oublié, d'avoir manqué le train des vacances et du soleil. Me vient tout à coup l'idée saugrenue que cela pourrait durer éternellement, que, peut-être, nous sommes morts et en train d'entamer notre éternité, elle à répondre à jamais à des questions stupides, lui à tenter de tenir les yeux ouverts, moi à tout observer et consigner comme si de cela dépendait l'avenir du monde. Un petit coup d'adrénaline et puis l'on se dit que ce n'est pas possible, que même l'Enfer doit être plus réjouissant.

Autre sensation étrange: ce silence à peine rompu par le raclement des pieds de l'ectoplasme sur le lino et les grincements légers de la table de la candidate lorsqu'en écrivant elle déplace son poignet sur la surface plane devant elle. Face à ce silence, on en vient à regretter une agitation bon enfant, un besoin de surveillance discrète mais plus vigilante. Il ne se passe rien. Tant mieux. Mais tant pis aussi. Ce silence, de toute façon, je vais le rompre dans une minute ou deux pour lire d'abord puis dicter le texte de Colette à la jeune arménienne. Sait-elle seulement qui est Colette?

A quoi bon rajouter maintenant que la deuxième épreuve, celle de rédaction, est tout aussi stérile et ennuyeuse que la première? Je vais me mettre à la lecture. Il reste encore une heure trente à tenir.

lundi 28 juin 2010

Cinq ans

Lorsque Pierre est mort, il y a cinq ans ce matin à 11h, je n'imaginais bien sûr pas tous les changements que cette disparition allait apporter à ma vie. J'avais souffert de sa longue agonie et de le voir réduit à un état de presque légume, lui qui intellectuellement était si brillant. J'étais assommé, ce 28 juin 2005, fête de la Saint Irénée, son patron d'ordination, la veille de la Saint Pierre, sa fête à lui. Il faisait très chaud, comme aujourd'hui, et les quelques nuits passées à la clinique, dans sa chambre, sur un lit d'appoint, avec une alarme de matelas anti-escarres qui se déclenchait tous les quarts d'heure, avaient eu raison de mes dernières forces. C'est dans un état second que j'avais vécu les quelques jours séparant le décès de la sépulture. Je n'imaginais rien. Je devinais simplement que la suite n'allait pas être facile.

Et elle ne le fut pas. L'été qui suivit, la solitude, le cercle des amis qui se dissout peu à peu, toute la paperasse à fournir, à remplir, à rédiger, à signer... Au début, cela occupe l'esprit. Ensuite on ne supporte plus, on a envie de hurler de nous laisser tranquille avec notre chagrin. La rentrée fut la bienvenue avec un travail de romain pour la mise en place de nouveaux projets pédagogiques. Je savais que l'abrutissement à la tâche n'est pas le remède le plus indiqué mais je n'avais rien d'autre à disposition. Les mois suivants furent consacrés à la reconstruction de ma vie, amicale et sentimentale, à l'écriture de ces Lettres à Pierre qui me libérèrent d'un poids encore trop lourd, à la prise en charge de plus en plus importante de mes parents puis de ma mère seule à la mort de mon père, à la tentative, souvent avortée de retrouver un semblant d'équilibre qui ne s'effondre pas au premier accroc, à la rédaction de ces billets, à l'époque véritable thérapie psychique pour moi.

Aujourd'hui, qu'en est-il? Ce qui m'a paru un moment essentiel s'estompe parfois au profit d'autres points d'ancrage tout nouveaux, les passions (écriture et photographie) sont restées. Certains sont sortis de ma vie, d'autres y sont entrés, l'appartement se transforme peu à peu, je jette, je rachète, le cadre change.

Ce matin, à 11h, je n'ai pas pensé à Pierre, plongé que j'étais dans la mise en place pédagogique de l'an prochain. Je n'y ai que peu pensé aujourd'hui, et lorsque cela s'est présenté à moi, je n'en ai pas été troublé. S'il reste des points à consolider, ce n'est pas sur le deuil: celui de Pierre est fait et je peux maintenant penser à sa mort sans en souffrir de façon trop violente. Simplement, simplement, j'ai l'impression d'avoir beaucoup vieilli depuis qu'il n'est plus là, physiquement et psychologiquement. Les choses, les gens autour de moi ne m'intéressent plus de la même façon. Maintenant, je me protège davantage, même sans le savoir. Je crois que je suis presque sans cesse à la recherche du plus grand calme, de l'absence de conflit stérile. Autrefois, comme le taureau sur le chiffon écarlate, je me précipitais sur les difficultés, je me battais bec et ongle pour défendre mon point de vue et le faire partager. Aujourd'hui, je me moque bien qu'il soit partagé et je ne fais front que si cela est inévitable. Ma philosophie s'est faite plus personnelle, plus égoïste sans doute mais aussi plus reposante pour moi-même. Aux autres de l'accepter ainsi ou pas. J'aime ceux qui me font face mais plus au point de m'oublier moi, comme autrefois. Ces dernières phrases ont peut-être un aspect un peu acide, pourtant elle ne le sont pas. Simple prise de recul pour profiter davantage du beau de la vie.

dimanche 27 juin 2010

Momentini

Cela devient presque une habitude que ces "momentini" du dimanche soir. Pourquoi pas! Quelqu'un(e) m'a dit les aimer particulièrement: je lui dédie donc ceux de ce soir.

- Bonheur de trouver aujourd'hui, sur le blog de Solko (voir liste à droite), deux courtes vidéos des années ORTF, l'une étant le générique de l'émission de Solange Peter, Histoires sans paroles, que j'ai déjà évoquée ici, l'autre l'Interlude du Petit Train Rébus. Si je m'en souvenais dans les grandes lignes, j'avais en revanche oublié le panneau à carreaux noirs et blancs qui donnait le départ et l'arrivée en gare de La Solution. Ce petit train-là a été, à ma connaissance, fabriqué à Lyon. Mon frère a pu s'en procurer un exemplaire intégral, machine et wagons, et œuvre en ce moment pour me trouver, à moi, une locomotive à laquelle il accrocherait en cadeau quelques-uns de ses wagons. C'est idiot mais avoir ce train chez moi me procurerait un plaisir immense. Enfance.

- Après-midi familial (mère et sœur) à Parilly, à tenter de trouver un peu de fraîcheur sous les arbres du parc. Il n'y a rien de plus triste qu'un hippodrome vide que plus aucun cheval ne foulera. Des fous couraient sous le soleil, à une température supérieure à 30°. L'un d'entre eux, gras et essoufflé, tentait de ne pas se prendre les mouvements dans son large sarouel, espérant sans doute retrouver une ligne convenable pour les deux mois qui viennent. Absurdité.

- Cette semaine à venir, plus d'élèves. Des réunions par ci, des assemblées générales par là, en plus de la surveillance des épreuves du Brevet. En perspective, une fatigue au moins aussi grande qu'en période de cours et, sans doute, quelques prises de bec tonitruantes entre certains collègues. Je tâcherai d'éviter,.... si je peux. Prudence.

- Je me suis procuré le programme de "Tout l'monde dehors!" que j'ai à peine eu le temps de parcourir. Juste de quoi constater que, pour la musique, l'Ensemble Boréades et le Chœur Emelthée sont encore là cette année. Ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. Au programme, L'Édification de Didon et une thématique sur Enée, des compositeurs tels que Purcell, Montéclair et Campra, tout ceci en plein air, dans les parcs et jardins des 3° et 6° arrondissements. Plaisir.

- Un arbre peut-il ressembler à un crocodile? Oui, j'en ai vu un, cet après-midi, à Parilly: un vieux résineux à la peau fendillée et d'aspect pourtant solide, un tronc sur lequel le soleil jouait. On s'attendait à ce que l'un de ses yeux, avortons de branches anciennes, s'ouvre et nous fixe de son silence séculaire. Immobilité.

- Ma mère aime les petits enfants, noirs surtout, et les écureuils. Les destinations de promenades sont ainsi vite cernées. Goûts.

- Quand viennent le soleil et la chaleur, j'imagine les prés, à Bons, qui descendaient en légers vallonnements jusqu'aux premières maisons du bourg, dont le clocher de l'église émergeait seul, les vaches assises et les chevaux sous les arbres fruitiers, à profiter un instant de leur ombre ténue, le silence des maisons à l'heure de la sieste, l'arrivée de Roma, la Labrador des voisins, qui réclamait un peu d'eau avant de se coucher au pied du canapé où je lisais dans la pénombre fraîche du salon. Et le vrombissement des insectes gorgés de lumière, fous de soleil, dont la symphonie ne s'arrêtait qu'avec les premiers orages de la mi Août. Ai-je encore mal? Question.

- Hier, j'ai appelé Georges, le mari de Kicou pour lui dire..., pour lui dire des mots quotidiens, pétris de banalité, et qu'il m'a dit aussi, et qui masquent mal notre amitié. J'irai sans doute passer un moment avec lui, cet été. Son fils et sa famille vont probablement s'installer l'an prochain dans la grande maison aujourd'hui à moitié vide. Tout va changer. Tant pis. tant mieux. Projet.

- Quelle heure est-il? 22 heures 22, bien sûr. Coïncidence.

samedi 26 juin 2010

Roman blanc

Julius Winsome est un drôle de roman. Déjà par son titre, nom du principal (et presque unique) personnage. Il me semble, mais je peux me tromper, que cette pratique est plus courante en Europe que dans la littérature américaine. Ensuite par son genre: est-ce vraiment, comme l'indique la première de couverture, un "roman noir"? Moi, sans vouloir faire de vilain jeu de mots, je dirais que c'est plutôt un roman "blanc": blanc de la neige du Maine où se situe l'action, blanc des pages où sont recopiés des mots de vieil anglais employés par Shakespeare, blanc de la solitude du héros dont le chien, son seul ami, a été tué par un chasseur et qui se venge de la plus cruelle des façons, blanc de la rédemption finale que je vous laisserais découvrir si vous avez l'intention de lire ce livre.
Gérard Donovan , l'auteur vit aux États-Unis mais est né en Irlande et je trouve que l'on sent l'empreinte de la vieille Europe sur lui, son style et sa façon d'analyser les pensées d'un homme que l'on peut croire fou. Tout manichéisme, si fréquemment décelable chez les auteurs américains du nord, est absent de ces pages. Je les ai lues vite, goulûment, renouant ainsi avec mon plaisir de la lecture.

En fait, quoi qu'il m'arrive, plus rien n'avait d'importance pour moi. Je ne ressentais plus qu'une absence, un manque que je n'avais jamais éprouvé auparavant et qui étouffait en moi tout sentiment. Auparavant, une douloureuse sensation d'absence avait parfois troublé l'habituel bonheur de ma solitude. on devient pierre, bois, épine sur le sol, vent chargé d'échardes. Avec, pour remède empoisonné, les fleurs avivant toute cette grisaille, le contact d'une main sur le bras, le mot gentil surgi d'un sourire, baume qui vous apaise, puis vous laisse plus mal en point. D'aucuns affirment que tout est dans la tête. Si c'est vrai alors, que Hobbes ait jamais partagé ma vie ou moi la sienne n'intéressait guère le monde, ni aucun de ses habitants. Cela ne comptait que pour moi.
(Gérard Donovan, Julius Winsome, Ed. du Seuil. Trad. de Georges-Michel Sarotte)

Indiscrétions, épisode 2

Merci à vous, nombreux, qui vous êtes prêtés à mon petit jeu "Complétez les phrases". Dans certaines des réponses, j'en ai reconnu certains; d'autres, au contraire, me surprirent en m'apportant un autre éclairage. Comme promis, voici mes propres réponses, datant d'une bonne année, mais aujourd'hui, je ne changerais pas grand chose.

- Il est clair que je me préfère maintenant qu'à 20 ans.
- On devrait être plus simple pour établir des relations.
- Je ne pourrai jamais ne pas réagir contre l'injustice.
- Le monde est perfectible mais beau.
- Je dois être plus attentif aux paroles des autres.
- Je ne mérite pas que l'on me dise:"Tu ne sais rien faire".
- Je ne suis pas capable de résister devant du chocolat noir.
- Je n'arriverai jamais à ne pas essayer de comprendre.
- Je n'ai pas le droit de me plaindre.

Maladresse

Quand on entend les joueurs de l'équipe de France de football parler de "maladresse" pour leur comportement au moment de leur refus de s'entraîner, on se dit que, décidément, ils ont un vocabulaire beaucoup plus léger que leur compte en banque respectif! (Au fait, on dit "respectif" ou respectueux"?)

vendredi 25 juin 2010

Fin juin

24 juin, Saint-Jean-Baptiste. La fête de la lumière qui rassure et du feu qui purifie. Un moment de l'été, de ceux qui marquent des jalons. Et pour moi, ce n'est pas ça. Essayer de dire ce que j'ai à dire sans pathos, sans mièvrerie, parce qu'ici je suis venu il y a deux ans pour dire, pour me dire avant tout et uniquement, à moi, à moi seul, parce que l'écran avait libéré la pensée et la main comme jamais la feuille ne l'avait fait et que je croyais écrire un journal intime à moi seul destiné.

Cette fin de juin, c'est la mort, pour moi. Le soleil apparaît et des êtres chers s'évaporent. Les longs jours sont synonymes de souffrance et la canicule de besoin de se perdre, de tenter d'oublier ce que je sais ne pas pouvoir gommer.

Le 28 juin, il y a cinq ans mourait Pierre. Il y a cinquante-sept ans, c'était mon père, celui que je n'ai jamais connu, qui s'en allait le jour de la fête du village, dédié à St Jean-Baptiste. L'an dernier, Kicou partit le 24 et cette année c'est Danielle. Ils s'en vont tous dans la lumière et il faut que j'apprivoise l'ombre.

Et hier, c'était aussi le repas de fin d'année avec tous les collègues des autres établissements. J'y suis allé pour Joëlle, que j'aime profondément et qui rit parce que, comme moi, c'est un clown triste; j'y ai retrouvé Nicolas dont le regard me réchauffe et Jacky qui, en quittant définitivement l'enseignement, m'a serré dans ses bras comme si nous n'avions fait que ça dans toute notre vie. Le matin, c'étaient les quatrièmes qui m'ont organisé en latin un défilé de mode. La veille, c'étaient les troisièmes qui, à la fin des cours, alors que je me dirigeais vers le parking, m'ont fait une haie d'honneur qui m'a touché au plus profond.

Sur une photo de Stéphane, prise par surprise alors qu'Évelyne et moi choisissions le nouveau livre de latin, assis sur un banc au soleil, on nous voit tous les deux, la tête penchée sur un manuel, deux vieux complices attachés au même joug depuis si longtemps, deux enseignants en fin de carrière, deux vieux. Cette photo m'a ému parce que, au-delà de la révélation d'un physique vieillissant saisi sans prévenir, elle montre un immense tendresse, une sorte de parenté indissoluble.

Aujourd'hui, c'était la Loire, le pré de ma grand-mère, que je n'avais pas foulé depuis plusieurs décennies, les souvenirs qui affluaient à chaque sente descendant dans le bois jusqu'au ruisseau, à chaque arbre penché où dormaient les pintades, à chaque léger replat où nous construisions des cabanes, mon frère et moi, et où nous écrasions les fleurs de sureau pour tinter de rouge l'eau prise à la rivière. Nous l'avons parcouru, mon cousin et moi, jusqu'au fond et jusqu'au sommet de la pente et l'essoufflement que j'en ai ressenti, je ne sais s'il venait de l'âge ou de l'émotion.

Tout ce vrac parce que je n'ai pas envie de trier, je n'ai pas envie de composer, de frauder, parce qu'avant d'aller au lit, il fallait que je m'en débarrasse. Tout cela est du passé, n'est-ce pas, mais c'est le mien et il constitue aujourd'hui la plus grande partie de ma vie.

Il y a un an, lorsque j'avais annoncé la mort de Kicou, Danielle m'avait laissé un message. le voici:
Tous ces cadeaux qu'elle vous a faits...
Lequel s'imprimera prioritairement en vous ?
Amitié, silence, chaleur.


Je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que je n'ai pas encore bu cette mort et que celle de Danielle, que j'avais imaginé absurdement se produire le 24, comme Kicou, et qui s'est effectivement produite le 24, me laissera ce goût d'inachevé terrible puisque, malgré plusieurs tentatives, nous ne nous sommes jamais rencontrés. Il me reste d'elle aujourd'hui l'écho d'une voix dans mon oreille et quelques mots récents inscrits sur l'écran de mon téléphone portable.

Maintenant, il reste à affronter l'été.

mercredi 23 juin 2010

Indiscrétions !

Allez, soyons un peu indiscrets, au moins avec ceux qui se prêteront à ce petit "jeu".

Je m'explique. Pendant deux ans, j'ai suivi une formation mensuelle portant sur la Gestion Mentale (horrible mot) dans la ligne de l'école de Palo Alto. Un soir, l'intervenante, une dame brésilienne d'un certain âge dont la voix colorée et rauque me faisait fondre à chaque fois (et dont j'ai déjà parlé ici) nous proposa un petit exercice destiné à se cerner davantage soi-même. Elle nous donna une demi-feuille A4, sans autre explication, et nous eûmes à compléter les 9 phrases suivantes:
- Il est clair que....
- On devrait....
- Je ne pourrai jamais......
- Le monde est......
- Je dois......
- Je ne mérite pas......
- Je ne suis pas capable de.....
- Je n'arriverai jamais à .....
- Je n'ai pas le droit de .....

Qui se prête au jeu ? J'attends vos réponses. Bien sûr, je m'engage à la fin à vous livrer les miennes propres. Vous allez voir: ça a l'air bête et ce n'est pourtant pas si facile que ça. Une seule proposition par phrase, svp.

Naples, ville ouverte

Arte ce soir a programmé un excellent documentaire britannique de 2009 agrémenté de très nombreuses images d'archives: Naples, ville ouverte 1943-1948.

Au départ des Allemands, en 1943, la ville qui fut autrefois une des capitales intellectuelles d'Europe est totalement exsangue et ce ne sont pas les Quatre Journées ( Quattro Giornate), le célèbre soulèvement du peuple napolitain contre l'occupant, qui y changèrent quelque chose. Les Alliés, fraîchement débarqués de Sicile à Salerne, apportent avec eux denrées et espoir de reconstruction. Mais ce que l'on ne sait pas encore, c'est que, pour préparer ce débarquement, les Américains se sont servis de mafiosi locaux contactés par ceux résidant (et parfois emprisonnés) aux États-Unis.

Ainsi, dès le départ, l'enjeu est faussé et lorsque la république sera proclamée au détriment d'un roi forcé à l'exil et que les partis de gauche remporteront les premières élections, la CIA et l'Église Catholique n'hésiteront-ils pas à s'allier avec les caïds napolitains pour imposer la Démocratie Chrétienne comme force politique dominante. Tout naturellement, en 1952, sera élu maire de Naples le célèbre armateur proche des anciens fascistes de Mussolini: Achille Lauro. Après avoir vu naître au moment de sa libération les trafics les plus insolites sous l'œil bienveillant des états-majors étrangers présents, Naples va alors connaître un programme de construction immobilière insensé et gigantesque, transformant la ville en un monstre tentaculaire, au grand profit bien sûr de certaines familles mafieuses.

Voilà ce que décortiquait ce film intelligent et très astucieusement monté qui, outre le mérite de la documentation, à également celui d'avoir choisi une durée acceptable pour tous (1h10). Je rappelle que, sur l'état de misère et de déréliction de Naples au départ des allemands et à l'arrivée des Alliés, il faut lire le livre de Norman Lewis, Naples 44, publié chez Phébus libretto (n° 147), sorte de journal d'un officier britannique en poste dans cette ville. Je l'ai lu. C'est un grand livre.

mardi 22 juin 2010

Station-service

L'été avait roussi les herbes au bord de la route. La nuit qui tombait n'apportait pas encore ce peu de fraîcheur dont il faudrait se contenter tout à l'heure dans le lit, sur les draps, immobile comme sur un linceul. En face, de l'autre côté de la route qui menait à Widdlewood et où personne ne passait hormis les jours de marché aux bestiaux et, de temps en temps, quelques touristes égarés, la forêt de sapins mettait comme un mur qui, au lieu de rafraîchir l'atmosphère, renvoyait la chaleur du côté de la station. Il avait, par habitude, gardé le gilet sans manches et la cravate qu'il portait chaque jour, parce qu'il voulait conserver à son établissement un semblant de cachet, une dernière respectabilité, même s'il savait qu'aujourd'hui, tout le monde s'en moquait.

Quand il l'avait achetée, cette station d'essence Mobilgas, il avait à peine trente ans. Lui aussi avait circulé sur cette route, au printemps, il y avait maintenant plus de vingt cinq ans. A Widdlewood, il s'était arrêté pour manger un peu, dans un petit restaurant avec des tables en formica recouvertes de nappes vichy rouge. La serveuse, c'était elle, Lucy. Elle avait vingt ans, elle était belle. Il n'était plus jamais reparti.

Il avait cru pouvoir bâtir un avenir souriant avec elle, la station allait prospérer, ils se construiraient une maison cossue pour remplacer la bicoque qui se vendait avec les pompes, plus tard, lorsqu'ils se seraient constitué un confortable magot, ils s'en iraient plus au sud, du côté de la Floride parce qu'elle aimait la mer et ils n'auraient plus qu'à regarder ses mouvements sur la grève en restant allongés sur la terrasse à siroter un Martini gin.

Rien n'avait fonctionné comme il l'avait prévu. Le percement de la nouvelle nationale un peu plus loin à l'est avait détourné le trafic de ce côté, les voitures à s'arrêter pour faire le plein devinrent plus rares et l'on ne pouvait plus compter que sur le passage de la région, chasseurs ou forestiers. La maison prévue en Floride y avait perdu quelques pièces mais il en restait encore suffisamment dans ses rêves pour être heureux avec elle et l'enfant qu'elle porta l'année suivante et qui lui faisait grossir le ventre et cambrer la taille.

Il y eut un terrible hiver cette année-là. Tout le monde s'en souvenait dans le coin: du blizzard chaque jour, des températures à désespérer de revoir un jour le soleil, des bêtes sauvages affamées que l'on apercevait parfois, tout près, prêtes à tout, même à s'exposer aux regards des humains, pour se procurer de quoi ne pas mourir de faim. C'est un soir de grand froid que le bébé s'annonça, avec trop d'avance, et de mauvaise façon. Lucy souffrait beaucoup, il faisait ce qu'il pouvait pour la soutenir, mais que tenter, quand on est un homme, devant une femme qui accouche? Lorsque, malgré la tempête, il se décida à l'emmener jusqu'à Widdlewood pour essayer d'y trouver de l'aide (il pensait en particulier à Miss Bentlow qui avait quelques notions de médecine, ayant autrefois été secrétaire dans un hôpital), il se rendit vite compte que le van refuserait cette nuit-là de démarrer. Il fallait agir seul.

Au matin, il avait sauvé la mère, mais le bébé n'avait pas survécu. C'était une fille. Malgré tout l'amour qu'il lui portait, Lucy ne s'en remit jamais. On parla moins de projets au soleil, on ne compta plus si fréquemment l'argent déposé en banque, on finit par ne plus parler du tout. Lucy lui souriait parfois, mais derrière ce sourire, il n'y avait plus rien. Et le jour où le camion qui lui avait livré le gaz oïl repartit avec elle, pendant qu'il était en train de se laver les mains aux toilettes aménagées derrière la station, il n'en fut pas surpris. Il ne chercha pas à la rattraper, pas davantage à la rechercher pour la faire revenir. Elle sortit définitivement de sa vie.

Alors, il resta seul, sans rêve, sans envie, gérant son commerce au jour le jour. De l'extérieur, on pouvait penser qu'il allait bien, qu'on avait affaire à un homme heureux, tranquille et content de son sort en tout cas. Il ne se laissa jamais aller, ni pour l'hygiène, ni pour le vêtement. Il préparait ses repas et mangeait à heures fixes et une seule fois, parce qu'une voiture s'était arrêtée le matin pour faire le plein et que la conductrice qui en était descendue pour se rafraîchir ressemblait à celle qui était partie, il alla jusqu'à Fixhunt, au-delà de Widdlewood, là où personne ne le connaissait et but du whisky consciencieusement, verre après verre, presque méthodiquement, jusqu'à ce que le patron ne veuille plus le servir et qu'il regagne son van d'une démarche chancelante. Il ne se souvenait pas de la façon dont il était rentré chez lui.

Quand il aurait fini de cadenasser la troisième pompe, il rangerait les bidons d'huile dans la boutique, éteindrait la devanture puis le magasin et, par la porte du fond, regagnerait les pièces où, depuis des années, il répétait chaque soir les mêmes gestes: dénouer sa cravate et défaire les premiers boutons de sa chemise, poser le gilet sur la deuxième chaise, celle qui lui faisait face à la table de la cuisine et qui n'était jamais occupée, retirer ses chaussures noires et les nettoyer avec un chiffon de la poussière jaune qui les maculait puis les ranger au bas d'un placard, dans le couloir conduisant à la chambre, allumer la télévision et la regarder tout en mangeant un repas qu'il préparait pour plusieurs jours et conservait dans une glacière, se coucher quand la tête culbutait malgré lui en avant et l'entraînait vers la toile cirée dont il n'avait pas encore retiré l'unique assiette.

Ce soir-là, il se coucha avant de sombrer: le lendemain, c'était jour de livraison.

(D'après le tableau de Edward Hopper, Gas, 1940)

lundi 21 juin 2010

Me voilà rassuré !

C'est vrai qu'en tant que professeur de français enseignant l'orthographe, j'ai encore du pain sur la planche. Allez! dès la retraite, j'ouvre boutique, et je fais fortune, je vous jure. Les footballeurs à côté: des gagne-petit! Tiens: rien que pour savoir écrire gagne-petit au pluriel, il faut déjà être bon, non?

Ah! la jolie fête que voilà!

Je rentre de la fête de la musique! Malgré une température plus clémente (si l'on oublie le petit vent du nord encore là à se rappeler à nous), pas un chat ou presque. Gratte-ciel à Villeurbanne: une sono à pleins gaz à l'angle de Zola, qui n'attirait personne. Le coin troisième âge avec une accordéoniste pour qui la valeur a bien attendu le nombre des années et n'est toujours pas ouvertement remarquable. Le coin écolos Larzac en habit de circonstance nous donnant du branle ou de la gigue (je cite ces danses au hasard, juste pour donner une idée). Ailleurs rien. Rien aux Brotteaux, rien à la Tête d'Or, rien à Bir Hakeim près de chez moi. Des rues désertes, des restaurants à peine plus animés. J'ai l'impression que tout cela part en eau de boudin, ou que, comme pour la fête des Lumières, l'effort n'est fait que dans l'extrême centre-ville.
On va enfin pouvoir dormir tranquille!

dimanche 20 juin 2010

Momentini

Aujourd'hui, j'aurais envie d'écrire longuement, la nuit, demain, sans fatigue, perdu dans les mots, une sorte de cure d'écriture, comme il en existe de sommeil. Je voudrais écrire quelque chose de tendre, ni guimauve ni sirop, quelque chose qui ne soit pas bêtement sentimental ou un tantinet larmoyant, non, quelque chose de beau et de tendre à la fois. Mais pour moi, uniquement pour moi et pour qui est tout près de moi. Alors, je ne le ferai pas. Pas ici.

Le dimanche, ici, c'est souvent le jour des "Momentini", ces petites lucarnes ouvertes sur des faits sans importance de la semaine, des idées qui ne méritent pas d'être trop développées, des riens, comme je disais au début de ce blog, qui ont tissé la toile de cette semaine. Cela évite d'avoir à trop réfléchir. Cela permet de mieux se masquer encore.

- Éduquer par le sport, avoir des modèles à imiter. Il va falloir bien trier et éviter si possible l'univers dallassien de la podosphère! "J'ai dit: Va te faire...., sale fils de....! Mais, c'est pas grave, Monsieur. C'était juste pour plaisanter! C'est un copain! On jouait!". Mes élèves ont douze ans, ne parlent pas autrement, ne se comportent pas autrement. La différence: ils ont douze ans et on ne les paie pas pour cela. Dégoût

- Je lis en ce moment un roman policier dont l'intrigue se situe dans le nord du Maine, à la frontière canadienne, en hiver. Cet après-midi à Lyon, la neige en moins, ça ressemblait presque à ça. Ambiance.

- Trois jours d'arrêt maladie. Il me faut reprendre demain matin, pour la dernière semaine avec les élèves. Joie.

- J'ai vu que l'on était déjà au temps des cerises. Comme d'habitude, je découvre toujours avec étonnement comme les saisons tournent vite. La vie aussi, sans doute. Naïveté.

- Du Temps des Cerises à Marie-George Buffet, il n'y a qu'un pas. Changement de secrétaire. Elle s'en va! Dommage! Je l'aimais bien, Marie-Georges. Et que l'on ne me dise pas que c'est parce qu'en politique, j'ai un faible pour les femmes: si Arlette Laguiller a su me faire rire (et malgré cela, elle n'a obtenu ma voix qu'une seule fois), je n'ai aucune tendresse particulière, mais vraiment, pour Morano, Guigou ou la Grande Verte qui l'a toujours ouverte. Soupir.

- Mes travaux avancent, c'est à dire, pour être simple, que pour l'instant, dans mon appartement, une truie retrouverait difficilement ses petits. Et ce sera encore pire demain. Mais bon, ça vaut le coup. Résolution.

- Demain, c'est l'été, la fête de la musique. Pour moi, deux résonances négatives: du bruit et des jours qui commencent déjà à diminuer. C'est aussi la saison où presque tous ceux que j'ai aimés sont morts. Rideau.

- J'ai redécouvert le plaisir de boire de la limonade. Tiens, je vais de ce pas m'en servir un verre. Quant à mes fleurs, elles ne vont pas trop mal, merci. Gourmandise.

samedi 19 juin 2010

Deux enfances dans la guerre

Deux enfants, deux enfances, l'une au japon en pleine guerre, l'autre à Naples dans l'immédiat après-guerre. Deux histoires contemporaines et concomitantes qui pourraient se faire écho et ne le font pas, aussi différentes que les pentes du Vésuve et celles du Fujiyama. Deux auteurs contemporains aussi et tout aussi dissemblables, Kenzaburô Ôé, pour Gibier d'élevage (Gallimard), et Erri De Luca, pour Le Jour avant le bonheur (Gallimard également).

Qu'est-ce qui fait donc que l'on s'intéresse davantage au roman d'initiation japonais qu'à l'italien? Car ce sont bien deux romans d'initiation dont il s'agit, tentatives de comprendre cet ultime instant de l'enfance qui bascule dans l'âge déjà adulte, un peu comme une Annonciation civile. Tandis que le napolitain apprend la résistance, l'abandon de ses parents, la violence, l'amour et le sang, le jeune japonais découvre un prisonnier noir, seul rescapé d'un avion ennemi qui s'est écrasé dans la montagne et que son village, coupé du monde par des intempéries, doit garder en entendant le transfert à la ville la plus proche puis à la préfecture.

Ici, on ne sent qu'une transposition poétisée (parfois joliment) de clichés éculés sur l'Italie du sud, une hésitation entre plusieurs styles d'écriture, entre plusieurs genres littéraires et l'on reste totalement extérieur au destin du protégé de Don Gaetano. Décidément les romans de De Luca ne me plaisent pas et je leur préfère nettement ces petits essais.
Là au contraire, dès la première page, on est pris par un style limpide et concis, littéraire sans coquetterie aucune, on regrette, le sommeil venant, de devoir fermer le livre sur cette histoire simple, on entre en communion avec cet être si lointain géographiquement et culturellement parce son histoire est un archétype (et non pas un cliché), on n'est pas surpris de découvrir que ce texte a valu à son auteur le prix Akutagawa (équivalent Goncourt) en 1958.

Dans la soirée qui suivit notre baignade à l'antique, une averse diluvienne emprisonna la vallée dans un nuage de brume, et ne cessa pas de tomber jusque fort tard dans la nuit. Le lendemain matin, avec mon frère et Bec-de-Lièvre, je portai à manger au soldat noir, en longeant le mur de la resserre pour éviter la pluie qui continuait à tomber. Son déjeuner pris, le Noir, les bras autour de ses genoux, chanta doucement une chanson, au fond de la cave obscure. Tout en recevant sur nos doigts allongés les éclaboussures de pluie qui nous arrivaient par le soupirail, nous étions emportés par la houle de cette voix grave, solennelle, se propageant de proche en proche. Quand le chant cessa, il ne pleuvait plus par le soupirail: nous prîmes par le bras le Noir qui souriait toujours, et nous l'entraînâmes jusque sur la place. En un clin d'œil le brouillard disparut, dégageant le ciel au-dessus de la vallée; les feuillages gorgés d'eau, alourdis, avaient pris du volume, comme de jeunes poulets. A chaque coup de vent, les arbres, secoués de menus tressaillements, éparpillaient feuilles mouillées et gouttes de pluie; cela produisait de minuscules et fugitifs arcs-en-ciel parmi lesquels s'élançaient des cigales. Dans la chaleur renaissante et l'ouragan sonore des cigales, nous nous assîmes sur le seuil de pierre, à l'entrée de la cave, et là, longtemps, nous remplîmes nos poumons d'un air qui sentait l'écorce mouillée.
(Kenzaburô Ôé, Gibier d'élevage, Gallimard. Trad. de Marc Mécréant)

jeudi 17 juin 2010

Les dialogues de Calyste (10)

(Ben oui, pourquoi y aurai'k Platon et les Carmélites?)

Sous-titre: Ô temps, suspends ton vol....

- Dis donc, sur la question des retraites, elle attend quoi, la gauche, pour réagir?
- Alors là, tu exagères. Tu vois, sur ce sujet-là, Martine, al fonce!

( Dialogue de pure invention, cette fois-ci!)

S'écouter

Étrange sensation que celle que j'éprouve lorsque je suis en arrêt de travail. D'abord, je n'ai pas l'habitude (à peine trois ou quatre courtes périodes en plus de trente ans de bons et loyaux services). Je commence par m'inquiéter pour mes élèves, pour mes collègues impliqués dans des projets communs. Mais le premier jour, l'abattement était si fort que je l'ai passé presque exclusivement à dormir, et ce malgré les bruits des travaux que faisait Jean-Claude dans ma salle de bains (mais j'aimais sentir une présence auprès de moi). Je n'émergeais que rarement de mon brouillard, pour reprendre les médicaments ad hoc. J'ai tenté un instant de lire, le livre est tombé sur le sol. Alors, ce jour-là, les élèves et les collègues pouvaient bien tous aller se faire voir.

Le lendemain, aujourd'hui donc, le ventre allait mieux mais la fatigue était extrême. Mon médecin habite l'allée à côté de la mienne. Elle m'avait proposé un arrêt de trois jours, je n'en avais accepté qu'un. Le deuxième jour, je l'ai rappelée pour lui dire mon état et que j'acceptais sa proposition de trois jours. Pourtant, peu à peu, l'homme se rebâtit. On se surprend à avoir faim, l'idée même de la nourriture, qui vous faisait trembler de dégoût la veille, ne vous rebute plus, on s'essaie à de menus travaux. Rangement des cours par exemple, qui m'a valu un beau mal de tête et un besoin irrésistible de dormir.

Malgré tout, les facultés reviennent et c'est là que tout devient étrange et intéressant. On se dit que l'on pourrait bien reprendre son travail, tout en sachant pertinemment que c'est faux: de brusques poussées de fièvre sont là pour vous le rappeler. La fièvre, encore quelque chose dont je n'ai pas l'habitude. De quand date la dernière? Pour moi, elle est indissociablement liée à l'enfance, au grand lit que je partageais avec mon frère mais dont j'héritais seul dans ces occasions, à la Bibliothèque Verte et au papier peint décoré du mur où je faisais apparaître monstres cachés dans de profondes ramures ou caravelles cinglant vers de nouveaux mondes prometteurs de rêves infinis.

Alors, on se laisse vivre, on s'écoute vivre (ça non plus, je n'ai vraiment pas l'habitude). On mange quand et ce dont on a envie, on lit un peu, on somnole, on regarde des bêtises à la télévision en pensant à autre chose, on découvre le rythme des retraités de l'immeuble, les bruits de la cour à des heures inhabituelles. Et à aucun moment surtout, jamais, absolument jamais, on a mauvaise conscience. C'est vraiment ce que j'ai découvert avec le temps (il m'en a fallu beaucoup): j'ai moi aussi le droit au repos. Se dire que l'on a devant soi trois jours sans aucune contrainte, sans copies (c'est la fin de l'année), sans cours à préparer, sans impératifs d'emploi du temps, c'est un peu de paradis à domicile.

Pour ce qui est de la lecture, j'ai terminé le roman de De Luca et entamé un japonais. Je compte, ce soir, m'offrir une soirée télévision, allongé sur mon canapé, un plaid sur le ventre que je retire au gré de mon bien-être. Je commencerai probablement par essayer Arte, avec le film malien Yeelen, et puis, si mes neurones se mettent en surchauffe, j'irai faire un tour chez Roumanoff du côté de Direct 8.

Bonne soirée à vous aussi.

mercredi 16 juin 2010

Crotte

Ce soir, c'est la finale de la Nouvelle Star, sur la 6. Appris par hasard en lisant sur cet écran les programmes nationaux aussi vides d'intérêt que le furent de votants les dernières élections cantonales de Villeurbanne (87 % d'abstention!).

Ça me va. J'ai passé la nuit dernière à attendre le prochain spasme dû à une gastroentérite qui a pris son temps pour vraiment se déclarer, le prochain malaise en me levant, la prochaine poussée de fièvre. Une nuit qu'il y aurait "matière" à développer, suivie d'une journée totalement léthargique à essayer de comprendre pourquoi un bras est si lourd, pourquoi l'intérieur de la tête tambourine, ce que veux dire la dernière phrase lue juste avant de se rendormir. Alors, pour la soirée, pourquoi pas de la crotte? Comme ça, si je m'endors, je n'aurais pas perdu grand chose.

mardi 15 juin 2010

Tête de pioche

Non, ce n'est pas pour encore vitupérer sur tel ou tel élève de mes classes. Juste pour parler rapidement de ce petit livre, une centaine de pages, de Kochka (Ed. Castor Poche Flammarion) qui m'a plu et que je pense faire lire à mes élèves de sixième l'année prochaine.

Un vieux surveillant traditionnel et triste, Monsieur Pascadet, se met un soir à lire, à l'étude, Le vieil Homme et la mer, d'Hémingway. Tous les élèves sont vite subjugués par cette nouvelle pratique qui devient rapidement une habitude. Tous, sauf un: Pierre qui s'enfuit de la salle dès qu'il le peut. le roman raconte les efforts de Pascadet pour ferrer ce petit poisson et l'amener peu à peu au plaisir de la lecture. Le vieil homme, dans cette quête, va également découvrir un lourd secret familial qui explique bien des choses.

Livre sans prétention, à la fois rapide et prenant le temps de muser, assez bien écrit et ne sacrifiant jamais à ces nouveaux tics de langage dont la littérature pour la jeunesse est aujourd'hui truffée. J'ai aimé. Enfin un!

Le dos tourné comme un acteur, Pascadet attendit que tout le monde soit assis pour ouvrir la sacoche et pour plonger sa main dedans... Ce cérémonial était important. Il fallait être un peu magicien pour faire venir la mer jusqu'à la campagne. Puis, le carnet en main, d'un coup, il se retourna!
Les hommes, grands et petits, sont ainsi faits qu'ils se rassoient toujours aux mêmes endroits. A croire qu'ils tentent de mettre de l'ordre là où ils peuvent le faire, à moins qu'ils ne cherchent à se faire une petite place. Hélas, à la place de Pierre Petit, il y avait un autre enfant...

Juste une mise au poing !

Suis-je encore fait pour ça? Je ne le crois pas, ou vais décider que non, ce qui revient au même. Des années en arrière (quelques-unes, pas tant que ça), je me coltinais chaque année deux voyages scolaires, l'un en Alsace avec une classe européenne, l'autre à l'étranger (Italie et Grèce en alternance). Et tous les deux ans une semaine européenne au collège, où, sous forme d'expositions, nous faisions découvrir à nos invités (deux élèves par pays, plus leur professeur) la plupart des régions françaises Et j'aimais ça, la préparation, le voyage, les visites, les veillées, les repas, la fatigue accumulée à chacune de ces étapes. Je détestais un seul moment: celui où, rentrant chez moi avec encore, dans les oreilles, le bourdonnement des voix d'une soixante d'élèves, je me retrouvais soudain seul au milieu de chez moi. Je me demande aujourd'hui où je trouvais alors le temps et l'énergie.

Temps révolu, il me semble. Même une bénigne sortie à Lyon intra muros me pèse. Je n'ai plus la motivation nécessaire. Moi, pour foncer, j'ai besoin de sentir que ce que je fais est utile, que je fais plaisir aussi. Si tel n'est pas le cas, la coquille se referme très vite et je peux alors faire montre d'une léthargie étonnante, ou d'une mauvaise humeur homérique si l'on vient alors me chatouiller là où ça ne me gratte pas.

C'est moi qui avais voulu que ma classe s'associe aujourd'hui à celle d'une collègue pour un pique-nique de fin d'année au Parc de la Tête d'Or, suivi d'une visite au MAC de l'exposition consacrée aux œuvres (???) de Ben. Résultat: des élèves un peu excités (mais ça, nous avons l'habitude), un pique-nique rapatrié sous la verrière de la Cité internationale pour cause de pluie incessante (rappelez-moi la date, déjà?), quatre élèves exclus de l'exposition pour comportement incorrect et un procès-verbal dressé à l'un des quatre dans le bus pour avoir utilisé une carte d'abonnement qui n'est pas la sienne (et sans doute volée à une autre élève).

Protestations, marques de mépris, rébellion hautaine, mensonge, tentative d'intimidation, nous avons eu droit à tout. Et de la part de gamins de douze ans. Quand le contrôleur a fini par joindre le père, c'est pour se faire traiter de très haut: comment un vulgaire employé des TCL, accompagné de quelques professeurs en dessous de tout, pouvait-il mettre en cause la probité de la prunelle de ses yeux prunelle qui, entre parenthèses, ne voit guère plus loin que le bout de son nez tant ses neurones sont clairsemés? Je n'aurais jamais écrit la fin de la phrase précédente il y a quelques années. Aujourd'hui, j'ose, et tant pis si cela déplaît. parmi nos "charmantes têtes blondes", il y a des presque demeurés, des handicapés cérébraux, des voleurs déjà bien entraînés, des gamins ou des filles qui n'ont ni Dieu ni Diable et n'en font qu'à leur tête (légère) avant d'aller bientôt grossir la rubrique des faits divers. Et je ne me plains pas: je travaille dans une zone relativement protégée. Ailleurs, c'est sans doute pire.

Ce que je n'admets pas surtout, et refuserai toujours d'admettre, c'est de faire un travail pour lequel je ne suis pas payé et n'ai pas été formé: on me verse un salaire pour donner des cours, essayer de transmettre une certaine culture ou, à défaut, un certain nombre de connaissances. Je peux, bien sûr, m'adapter et dépasser cette stricte direction, mais je ne le veux plus. Ce n'est pas à l'école de supporter toutes les tares de la société actuelle (pas plus que ça ne l'est aux contrôleurs des TCL ou à la police), ce n'est pas à l'école de se substituer aux parents déficients ou qui refusent d'assumer leur charge. Tout à l'heure, j'ai entendu une élève, dans le bus, dire à une de ses amies, que c'était sa mère qui l'avait inscrite sur Facebook! Il ne reste plus, après cela, qu'à retirer l'échelle.

Pour ma part, je n'ai ni l'âme d'un martyr, ni celle d'un pionnier de la conversion (ou ne l'ai plus). Je l'ai dit à la collègue qui m'accompagnait tout à l'heure et partageait mon point de vue: s'ils veulent croupir dans leur crasse intellectuelle, qu'ils y croupissent; s'ils n'ont pas l'intention d'apprendre quoi que ce soit, qu'ils n'apprennent pas; s'ils me prennent, eux et leurs parents, pour un vieux con, je suis un vieux con, mais heureux de l'être et ressentant de jour en jour, hélas, davantage de mépris pour cette tourbe malodorante qui se donne des airs de citoyens. Et pardon pour tous les autres, tous ceux qui, malgré tout, considèrent que l'école et l'enseignement sont un cadeau précieux auquel tout le monde n'a pas accès et acceptent, comme des enfants qu'ils sont encore, d'être guidés, conseillés, parfois grondés ou punis, souvent encouragés et ressortent des mains des enseignants un peu plus cultivés, un peu plus respectueux et un peu plus intelligents socialement, finalement. Les autres ne m'intéressent plus.

lundi 14 juin 2010

Des pères

Il y a longtemps que je n'ai plus parlé d'eux. Je n'en ai plus besoin, presque. J'ai aujourd'hui conscience d'être moi, et rien que ça. Il était temps de regarder ce prisme de la mort en face.

Si je pense à eux, c'est en ayant lu le passage du dernier roman de De Luca, Le Jour avant le bonheur, où un enfant napolitain apprend que l'homme qui s'occupe de lui, le concierge de l'immeuble, connaissait son père qui a depuis longtemps disparu. Pas mort mais en allé. Devant cette révélation, il découvre qu'il n'aime guère être ainsi défini fils de quelqu'un, même s'il ne connaît pas encore le nom de ce quelqu'un, à peine quelques bribes de son histoire, alors que jusque là il était fils de Personne, un peu fils donc d'Ulysse et de toutes les épopées.

Moi, je n'ai pas connu ce moment. On m'a appris trop tôt qui était mon vrai père (P1). Peut-être a-t-on bien fait, peut-être pas. On m'a évité un choc, on m'a privé d'une réflexion. Mais cela n'a plus d'importance. Quant à P2, à qui je demandais sur son lit d'hôpital qu'il n'allait plus quitter pourquoi il avait accepté de me prendre en charge, il me répondit qu'il l'avait fait par devoir. J'ai été très heureux de sa réponse et profondément blessé aussi. Heureux parce que nous avions pu échanger sur des sujets profonds avant qu'il ne disparaisse, blessé par ce mot si court, si froid, comme un dernier rempart à un amour refusé. Mais cela n'a plus d'importance non plus.

C'est cela, n'est-ce pas, la vie, être heureux et malheureux pour exactement les mêmes raisons...

dimanche 13 juin 2010

Inattendu

Frédéric sort d'ici, après une calme soirée devant la télévision. J'ai eu la surprise de sa visite en rentrant de chez ma mère que j'ai du mal à supporter en ce moment (et que l'on ne me rétorque pas qu'elle est malade, je le sais! Mais je peux moi aussi avoir mes moments de ras-le-bol!). Dire que cette soirée m'a fait plaisir est peu dire. D'autant qu'elle était inattendue. Ne pas être seul parfois, ça fait du bien.

vendredi 11 juin 2010

Les dialogues de Calyste (9)

(Ben oui, pourquoi y aurai'k Platon et les Carmélites?)

- M'sieur, m'sieur, elle veut pas me croire! Hein que c'est vrai que la Lombardie, c'est quand on a très mal aux reins?
- ????

jeudi 10 juin 2010

Soir d'été

S'il ne la connaissait pas bien, il aurait pensé qu'elle voulait l'exciter. Mais c'était plutôt la moiteur de la soirée, après cette journée d'orages, qui lui avait fait mettre cette tenue trop légère et d'un rose un peu vif pour sa chair diaphane. Elle n'était pas belle, jambes trop musclées pour une jeune femme, alors que ses épaules anguleuses semblaient étroites pour le reste de son corps, visage un peu sec et fermé, surtout lorsqu'elle réfléchissait comme à ce moment-là, les pieds un peu tournés vers l'intérieur, à l'inverse d'une danseuse. Rien d'aérien dans sa position, les bras appuyés sur le muret, le corps penché en arrière, prenant appui sur le bord des fesses. Elle n'était pas belle, elle était sensuelle, une plante bien nourrie de ces régions humides.

Qu'avait-il, lui, pour lui plaire? Elle l'avait rencontré au garage, quand elle avait apporté sa voiture pour un souci d'allumage. Elle savait qu'il n'était pas le patron. Il venait d'arriver d'un autre état. Il ne fuyait rien, il avait eu tout à coup le besoin de changer, d'aller ailleurs, où personne ne le connaissait. C'est le bas de son corps qu'il avait vu d'abord, ses pieds toujours dans les mêmes ballerines un peu éculées qu'elle portait ce soir. De sous la voiture qu'il réparait, il n'apercevait rien d'autre, à peine un peu de la cheville et le début de la cambrure du mollet. Du blanc légèrement veiné de bleu là où transparaissaient les vaisseaux sous la peau fine. Quand il était sorti de sous la carrosserie, elle l'avait regardé, d'un bref coup d'œil qui leur avait suffi à tous les deux.

Il ne faisait pas d'effort particulier pour s'habiller mieux quand il venait la voir. Il savait qu'elle n'aurait pas aimé ça. Alors, après la toilette, il enfilait simplement des vêtements propres, ces vêtements qu'il portait depuis là-bas et qui l'avaient suivi dans sa valise effondrée: les chaussures blanches légères qu'il mettait en dehors du travail, le pantalon rouille dont les poches aux genoux ne voulaient plus s'effacer et un maillot de coton, le bleu, un des deux qu'il possédait et qu'il lavait chaque soir pour en changer le lendemain. Il s'était repeigné aussi, après la douche, en vérifiant que son visage ne portait plus aucune trace de graisse ou de rouille. Ses cheveux, il les avait tirés en arrière en les mouillant pour que le vague mouvement qu'il était parvenu à leur donner tienne au moins la soirée.

Depuis un instant, ils ne parlaient plus. Lorsqu'il avait frappé à la porte, tout à l'heure, elle était sortie aussitôt comme si elle l'attendait et l'avait vu arriver derrière les deux rideaux un peu écartés. Elle avait alors allumé l'ampoule de la véranda, sans se soucier d'attirer les moustiques dont son corps semblait se moquer. Comme d'habitude, ils ne s'étaient pas touchés. Ils restaient un peu à l'écart et reprenaient chaque soir possession de l'autre avec les yeux. Parfois l'un des deux en frissonnait de désir parce que l'étreinte était trop forte. mais ils n'étaient jamais allés plus loin. Il sentait en elle comme une barrière qu'il ne pouvait encore franchir.

Ce soir, elle avait évoqué sa grand-mère, une yankee qui s'était exilée dans le sud pour l'amour de cet homme que la jeune femme n'avait jamais connue mais dont le portrait pendait encore à un mur du salon. Elle avait parlé de ses parents, morts dans un accident de voiture alors qu'elle atteignait à peine sa majorité et de sa volonté farouche, toujours réaffirmée, de conserver cette maison qui était tout ce qui lui restait. L'évocation de ses proches disparus l'avait sans doute rendue mélancolique et maintenant elle se taisait. Il aurait voulu la prendre dans ses bras, lui faire poser la tête sur son épaule, la serrer, lui dire qu'il était là, qu'il la protégerait, qu'elle ne serait plus jamais seule. Mais faire le moindre de ces gestes l'aurait irrémédiablement éloignée de lui. Il ne savait pas pourquoi mais il en était certain. Alors, il fixa son regard sur sa belle chevelure de rousse que la lumière imprégnait et sculptait, entendit les crapauds qui entamaient leur chant, tout près, à la lisière de la pelouse et vit rouler sur sa tempe, longeant l'oreille gauche, une fine perle de sueur qui vint mourir sur son épaule et la fit frissonner.

( D'après le tableau d'Edward Hopper, Summer Evening, 1947)

mercredi 9 juin 2010

En Eastmancolor

J'aime les westerns. Bien sûr, j'aime le néo-réalisme italien, les interminables dialogues des personnages de Rohmer, les films intellectuels mais j'aime aussi les westerns, à un point qu'on ne saurait croire et depuis tout petit.

Je pense que mes premiers souvenirs de cinéma sont des westerns (après Le Tigre du Bengale, de Fritz Lang, et Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecile B. Demille, où m'avait emmené ma grand-mère).

Les sept Chemins du couchant, La Prisonnière du Désert, La Chevauchée fantastique et tant d'autres m'ont initié au septième art. J'y entrais facilement, j'y étais heureux, très heureux devant ces intrigues un peu manichéennes où l'indien avait toutes les chances d'être fourbe (sauf exception pour confirmer la règle) et le cow-boy loyal et droit jusque dans la mort (sauf, ici aussi exception, mais dans ce cas-là, le cow-boy avait une sale gueule). Il y avait peu de personnages féminins, mais cela ne me dérangeait pas (déjà!) car, dans ces films-là, la femme ne peut être qu'une sorte de repos du guerrier, même enrubanné de musique romantico-guimauve et de couchers de soleil flamboyants.

Ce que j'aimais par dessus tout, c'était l'amitié rugueuse entre les hommes, ces silhouettes boucanées du soleil du désert, faisant corps avec leur monture, avares de mots et de sentiments exprimés. Il était pourtant un moment où la couenne se faisait moins épaisse, où le regard s'adoucissait, où la voix prenait des modulations autres. Ce moment, c'était le soir, autour d'un feu que l'on allumait pour chasser les prédateurs, un feu de bois qui réunissait les hommes, les éclairant si peu qu'ils osaient alors livrer une partie de leur vrai visage. L'un, allongé sur le sol, la tête sur sa selle, le chapeau encore sur le visage, se met à chanter doucement, pour lui-même, perdu dans les rêves qui le rapprochent de sa douce et accentuent la nostalgie de son absence, pour lui même et pour les autres car ils ont tous le même manque au cœur. Un autre, après avoir tiré du feu un peu de café chaud, se rapproche et écoute, un léger sourire aux lèvres, le regard perdu sur les dernières traces de lumière qui disparaissent derrière les monuments rocheux du Grand Canyon. Un autre prend sa guitare, un autre son harmonica, un autre se met à siffloter, et la chanson solitaire devient bonheur partagé, voix mêlées, harmonie retrouvée.

Dans les compagnons du héros, le fier cow-boy justicier, il y a toujours un jeune homme qui fait ces premières armes. Il est ridicule de maladresse à force de bonne volonté. Il veut être le plus près possible de son modèle, le plus vieux qui le regarde à peine et rit de lui en fumant son cigare ou en buvant un alcool fort que, par jeu, il lui fera goûter. Il veut monter à cheval comme lui, cracher comme lui, s'approcher des femmes avec la même nonchalance sûre d'elle-même, se faire une voix plus profonde, plus mâle, et il n'y parvient pas toujours. Parfois, il ira jusqu'à se faire tuer pour son héros, rappelant ainsi, sans le savoir, ces couples de la légion thébaine antique massacrée à Chéronée.

Son juste pendant est le vieux compagnon, une sorte de silhouette avachie par des années de chevauchées sans gloire, à pousser des vaches dont il ne voyait que le cul jusqu'au prochain ranch de leur nouveau propriétaire. Celui-là, je crois que c'est mon préféré. Toujours là quand ça commence à chauffer mais prêt à se mettre à l'abri derrière une colonne de saloon, distillant volontiers un peu d'huile sur un feu qui ne demande qu'à s'embraser mais ne participant pas à la bataille, sauf pour assommer d'un coup de chaise bien placé le premier méchant qui passe à sa portée. Il n'a jamais de quoi se payer un verre, encore moins en offrir aux autres, mais lorsque la tournée est générale, il ne donne pas sa part aux chiens. D'ailleurs sa trogne un peu rubiconde de Gnafron des grands espaces en témoigne. Il porte un vieux chapeau cabossé, un habit aux multiples poches remplies de ficelles et de bout de cigares faméliques qu'il rallume et coince dans l'espace entre deux dents laissé libre par un précédent arrachage. Lui aussi aime rire, et jouer de l'harmonica le soir alors que peu à peu les étoiles s'allument et que, autour du feu faiblissant, les cow-boys s'allongent à même la terre et rabattent leur couverture élimée pour une nuit sauvage.

J'aime, je vous dis, jusqu'aux couleurs en Eastmancolor. Ma tête en est encore pleine ce soir.

mardi 8 juin 2010

Aimable

Quand je suis entré dans la salle des professeurs, ce matin, la responsable des cinquièmes était en train d'écrire une annonce sur le tableau d'affichage: une élève du niveau était exclue définitivement du collège.

Ce n'est pas la première fois, mais cette élève-là, je la connais: je l'ai eu cette année en latin. Une fille intelligente et vive, souriante et provocatrice avec ceux qu'elle apprécie (et dont j'ai eu la chance de faire partie), agressive et incontrôlable avec ceux qu'elle n'aime pas. J'ai tenté toute l'année de ne pas trop briser le fragile lien qu'elle avait avec moi, comme deux ou trois autres professeurs l'ont fait également. Ne jamais la brusquer, ne jamais y aller dans le mauvais sens du poil, être ferme sans être rigide. C'était parfois difficile car, certains jours, elle n'était vraiment pas bien. Quelques bruits de couloir laissent entendre qu'elle aurait fait une tentative de suicide ces derniers temps.

Son malaise lui vient de loin: son père n'a jamais accepté de la reconnaître et les a abandonnées, elle et sa mère. Plus tard, sa mère s'est suicidée et personne n'a voulu de cette petite fille, à part une tante qui l'a recueillie sans trop en connaître le mode d'emploi et qui a fait ce qu'elle a pu pour rendre cette enfant heureuse. Peine perdue. Et aujourd'hui, c'est nous qui la renvoyons.

Je ne suis pas en train de hurler au scandale, je crois qu'il n'y avait guère d'autre solution. Mais, malgré tout, je considère toujours que le départ d'un élève dans ces conditions est un échec, non pas seulement personnel, mais du collège et surtout de l'institution. Même si la solution à son mal être est sans doute chez un psychiatre ou un psychologue, que pouvons-nous, nous les enseignants, apporter à ce genre d'adolescents? Que faire pour que certains collègues ne se comportent plus, face à de semblables situations, comme des êtres pervers et psychorigides, uniquement soucieux d'asseoir leur autorité sans se soucier vraiment de savoir sur quoi ils se sont assis.

Pour Isa, je vois deux pistes d'avenir: ou elle réitère sa tentative de se supprimer et y parvient, et alors, à part la brave tante, il n'y aura pas grand monde pour la regretter, ou alors elle est forte, suffisamment forte pour passer outre en s'endurcissant encore un peu et j'espère que, parvenue à l'âge adulte, elle n'aura pas le cœur trop réfractaire aux autres, à ces autres parmi lesquels, certainement, il s'en trouvera un pour l'aimer. Car elle est aimable, Isa.

lundi 7 juin 2010

Quelques goélands plus tard...

Bon! Où était-il passé? Depuis jeudi, pas de nouvelles! Et il n'a même pas prévenu qu'il partait! Eh bien il est allé voir les goélands, ceux du sud, du Languedoc. Deux jours et deux nuits à la Grande-Motte avec moult points d'orgue culturels, amicaux ou gastronomiques.



Commençons par l'amical, puisque j'ai eu le bonheur d'être accueilli en gare de Montpellier par quatre larrons tout sourires qui ont noms Frédéric, Jean-Claude (pour les Lyonnais) et Lancelot et Tinours (pour les autochtones). Tranquille moment passé à une terrasse du centre, à parler de tout et de rien sous une agréable brise venant tempérer la chaleur du sud. Il fallait arroser les retrouvailles et ce fut Tinours qui eut l'honneur de recevoir mon verre sur les genoux, suite à un geste maladroit de ma part. L'entrevue avec les deux lascars fut bien brève, hélas, mais je ne serais pas passé par Montpellier sans chercher à les voir, même rapidement.

Après l'amical, le gastronomique, et même de haut vol puisque le repas du vendredi soir fut pris à la Maison de la Lozère, dont l'un des deux propriétaires est un ami d'enfance de Frédéric. Dire que ce fut un régal est encore peu dire, tant la gentillesse de Pierre ajoutait encore à la finesse des mets proposés. On sent en cet homme une humanité et une bonté assez extraordinaires. Bien que son affaire tienne la deuxième place dans les restaurants de standing de Montpellier, il est resté simple et ouvert. Allez-y, si vous ne connaissez pas: cela vaut le cou d'investir quelques picaillons dans un repas d'exception!

Le reste du séjour fut consacré en vrac à un repas de fruits de mer au Grau du Roi, à une visite d'Aigues-Mortes sous un soleil implacable, à un petit tour aux Saintes maries de la Mer puis à la cathédrale de Maguelonne qu'enfin j'ai pu visiter et où j'ai retrouvé les paons qui m'ont demandé des nouvelles de Karregwenn. Puis nous sommes remontés en voiture avec Frédéric, laissant Jean-Claude profiter de quelques jours supplémentaires de vacances et, lorsque nous sommes arrivés à Lyon,..... il pleuvait.

Par le train, en passant, j'avais vu, autour d'Avignon, le maquis rabougri accroché sur la roche et la terre jaune, aveuglante de soleil, pour moi irrémédiablement associés au souvenir d'Amédé.

jeudi 3 juin 2010

Trop long

Ce soir ou demain, je viendrai à bout de ce roman de Blas de Roblès, Là où les Tigres sont chez eux (Prix Médicis 2008, Ed. Zulma). Il me reste une centaine de pages à lire sur les quelques 900 cents que compte l'ouvrage. J'avoue vivre cette conclusion comme une libération. Non que le livre soit ennuyeux, il est même souvent passionnant et mêle plusieurs époques et plusieurs pays, il met en scène de nombreux personnages, dont Athanase Kircher, un jésuite érudit de l'âge baroque. Mais n'ayant lu que quelques pages par soirée à cause de la fatigue, j'ai cru n'en jamais voir le bout.

Et puis je suis comme les élèves: je n'aime pas les gros bouquins, je ne les aime plus. Je trouve même que c'est une forme d'impolitesse de la part de l'auteur de s'étendre aussi longuement sur sa création. Faut-il être suffisamment sûr de soi et de son talent pour ainsi produire un roman de 900 pages! Mais n'est pas un génie de l'écriture qui veut. J'avais besoin, lorsque je l'ai choisi, d'aventures dépaysantes et peu contraignantes pour la concentration. Ça a marché au début et puis la lenteur de ma progression a fini par me crisper, de même que le recours systématique à plusieurs histoires côte à côte, histoires qui n'ont a priori rien à voir entre elles. Une sorte de "Lelouchisme" littéraire qui m'avait déjà un peu agacé dans un livre pourtant splendide celui-ci: Les Raisins de la colère.

Je crois qu'en plus, il ne me laissera pas un souvenir durable. Pourquoi? Je ne sais pas. Je crois qu'en littérature, au-delà du talent et du style, c'est comme ça: ça marche ou ça ne marche pas.

Ce ne sont pas les idées qui tuent:ce sont les hommes, certains hommes qui en manipulent d'autres au nom d'un idéal qu'ils trahissent avec conscience, et parfois même sans le savoir. Toutes les idées sont criminelles dès lors qu'on se persuade de leur vérité absolue et qu'on se mêle de les faire partager par tous. Le christianisme lui-même -et quelles idée plus inoffensive que l'amour d'autrui, n'est-ce pas?- le christianisme a fait plus de morts à lui tout seul que bien des théories de prime abord plus suspectes. Mais la faute en revient aux chrétiens, pas au christianisme! A ceux-là qui ont transformé en doctrine sectaire ce qui n'aurait dû rester qu'un élan du cœur... Non, cher ami, une idée n'a jamais fait de mal à quiconque. Il n'y a que la vérité qui tue! Et la plus meurtrière est certainement celle qui prétend à la rigueur du calcul. Métaphysique et politique dans la même poubelle, et allons-y pour le credo scientiste ou pour ce désespoir blasé, content de soi, qui légitime aujourd'hui les pires abandons...

mercredi 2 juin 2010

Guignol au Parc

C'était ce matin, avec les sixièmes. Départ à pied par la Montée des Génovéfains (après tout, il ne font pas beaucoup de marche à pied, ces petits). Temps mitigé mais pas de pluie et pas non plus de rouspétances: tous marchent de belle humeur et d'un bon pas. Le métro puis encore un petit effort et nous voilà arrivés à la Tête d'Or, en même temps que le soleil.

La voix que j'avais entendue au téléphone est celle d'une vieille dame, handicapée d'une jambe mais encore bien alerte et fleurant bon la vieille lyonnaise de la Croix-Rousse. Yvonne, c'est la belle-fille de celui qui avait acheté un théâtre à Lyon, Joseph Moritz, et la femme d'Antoine, celui qui installa un castelet au parc. Elle est là depuis 1948, a toujours joué les rôles féminins et a vu peu à peu son enfant grandir et se transformer: au début, pas de toit pour protéger les spectateurs, pas de rideau pour empêcher de voir le spectacle sans payer son obole, pas de barrières, seulement des cordes pour délimiter le périmètre, pas de bancs fixes (il fallait les installer chaque jour et les replier itou en fin de journée), pas de construction en dur (le castelet et tout le matériel devaient être déménagés dans des charrettes à bras).

Aujourd'hui, c'est un jeune homme qui est son partenaire. Il est là depuis cinq ans et manie mieux la marionnette que le discours pédagogique. On ne doit pas lui demander souvent, comme je l'ai fait, de poursuivre après le spectacle par une présentation de son métier, des explications techniques et historiques sur les marionnettes à gaine et sur Guignol en particulier. Gêné au début, il s'est pourtant vite pris au jeu et s'est montré très intéressant, content du nombre de questions que lui posaient les élèves. Élèves qui furent non seulement attentifs et disciplinés mais qui jouèrent ce jeu que l'on dirait "interactif" aujourd'hui et qui n'est rien d'autre (mais rien de moins) que la communion des artistes et du public. Ainsi ai-je vu des presque pré ados battre des mains en cadence quand Guignol le leur a demandé, lui indiquer en hurlant par où le fuyard était passé, compter avec lui les coups de bâtons et répondre à toutes ses sollicitations verbales. Comme des gosses qu'ils sont encore, susceptibles d'être émerveillés.

La pièce que nous avons vue ce matin s'intitule "Guignol dentiste": à l'origine proposée aux adultes, elle a été adaptée pour les enfants en respectant le plus possible les idées de Mourguet (canut qui ne savait ni lire ni écrire et s'improvisa lui aussi arracheur de dents) et le texte mis noir sur blanc, comme tous les autres de ce répertoire classique, par Jean-Baptite Onofrio, un magistrat lyonnais à qui l'on doit Le Théâtre lyonnais de Guignol (1865).

Sortie réussie donc. Les enfants semblaient en avoir plein les quinquets et nous n'avions pas eu la singotte annoncée par la météo pour nous mouiller la couenne . Moi, à cette bonne Yvonne, je lui aurais bien volontiers fait peter la miaille!

Dans l'après-midi, j'avais un autre rendez-vous...... chez le dentiste. Pas fait exprès!

mardi 1 juin 2010

Un nom et un prénom

On va dire qu'il s'appelle Boris Sovikolov. Il est russe sans doute ou d'une des républiques anciennement amies et, hélas pour certaines, toujours satellites. Il est jeune et a décidé de venir finir ses études en France. Sa famille peut lui payer une année à l'étranger. Après la chute de l'URSS, bien des gens se sont enrichis, dont eux. Il a choisi Lyon parce qu'il avait entendu parler de la ville: n'est-ce pas une équipe lyonnaise qui est à l'origine de l'éclairage nocturne du Palais de l'Hermitage? Et puis, depuis Lyon, si l'on veut se rendre à Paris, deux heures de train, qu'est-ce que c'est quand on pense à la distance entre Moscou et Saint-Pétersbourg? L'Italie, la Suisse, l'Allemagne ne sont pas loin.

Il a trouvé la ville belle et vivante, jeune aussi de tous ses étudiants. Un petit côté Prague, où il a récemment passé des vacances. On remplace la Basilique de Fourvière par le Palais Royal et le tour est joué. Les méandres de la Saône peuvent rappeler la Vtlava que certains ne connaissent que sous le nom de Moldau. Il a loué une chambre dans une résidence universitaire nouvellement construite dans le 3°arrondissement et s'est abonné au service Vélo'v. Il a d'ailleurs une station juste en bas de chez lui et peut, grâce aux pistes cyclables de Gambetta, se retrouver en plein centre, à Bellecour, en même pas dix minutes.

Il sait qu'il devra repartir: papa a besoin de lui, l'an prochain, dans l'entreprise. Il le sait et veut engranger en attendant: sorties, rencontres, beuveries nocturnes sur les ports du Rhône, expériences en tous genres. Comme il n'est pas trop laid, ça n'est pas vraiment difficile. Les Françaises aiment assez le physique slave. Elles, les latines, craquent volontiers pour la blondeur des plaines cosaques et il lui suffit d'amplifier légèrement son accent ou d'avouer être né au bord de la Néva pour en pêcher une dans ses filets.

Tout se passe bien, tout s'est bien passé, jusqu'à ce matin, où il a perdu sa carte d'abonnement longue durée à vélo'v. Elle a dû tomber de sa poche lorsqu'il a sorti son paquet de mouchoirs en papier pour se moucher. Il est repassé au même endroit un peu plus tard, quand il s'est aperçu de sa disparition, mais rien. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'un quinquagénaire l'a trouvée entre temps, l'a ramassée consciencieusement, étant lui même abonné, et l'enverra à la société gestionnaire dans quelques instants, juste après avoir fini d'écrire, juste après son moment de petit délire à vouloir inventer une vie à un nom et un prénom imprimés au dos d'une carte rouge. Mais lui, le slave, ne saura jamais comment s'appelle celui qui la lui a renvoyée!