vendredi 31 octobre 2008

Bonheur(s) du jour.

D'abord dire que j'aime beaucoup ce mot, ce nom de petit bureau qui était aussi l'enseigne d'un magasin près de mon ancien appartement.

Dire aussi qu'aujourd'hui fut rempli de petits bonheurs.

Bonheur de courir ce matin avec Laurent qui m'avait contacté par mail. Nous avons emprunté les itinéraires fidésiens de goudron mais aussi de chemins et de boue. Laurent m'a fait connaître un parcours que je n'imaginais même pas, une course à travers champs et bois, un coin désert et sauvage tout près du centre de Sainte-Foy, à quelques minutes de Lyon. Le démarrage fut un peu rude, je n'ai pas l'habitude d'attaquer par une côte et Laurent y a un bon rythme. Mais une fois chaud, j'ai pu goûter le plaisir de cet exercice en pleine campagne, par une température fraîche mais idéale pour cette activité.

Seule une partie du trajet m'a fait souffrir: une belle longue route en pente raide avec un léger faux-plat à mi-chemin avant de réattaquer très raide. Ce n'était plus de la course à pied, c'était de l'escalade! Eh bien, je ne suis pas peu content d'être arrivé en haut. Au bout d'une heure de course, j'ai même été capable d'accélérer passablement sur le plat, ce qui a surpris Laurent qui, sans doute, me croyait à bout de forces.

Nous avons pris un autre rendez-vous pour vendredi prochain, jour de mon anniversaire, pour de la piste cette fois-ci. Et dans quinze jours, ce sera Joggiles, au parc de Miribel, pour quinze kilomètres, que je proposerai aussi à Gilles. J'aime bien découvrir de nouveaux lieux, apprendre de nouvelles techniques et Laurent semble savoir des tas de choses que je ne sais pas. En plus, il est bon pédago, apparemment. Alors que du plaisir en perspective.

Deuxième plaisir au retour: J. m'avait appelé. Nous n'attendrons pas lundi pour nous voir. Trop long, de l'avis général. Demain, ce sera beaucoup mieux! Et, en plus, ça n'empêche pas de se revoir lundi!

Troisième plaisir cet après-midi à la Part-Dieu, dans un magasin de sport. J'avais besoin de mini-socquettes et d'un collant long pour l'hiver, le vieux ayant été un peu distendu par mes kilos passés. Et ce qui devait ne prendre qu'un petit quart d'heure maximum s'est prolongé bien au-delà par une conversation chaleureuse et passionnée avec un des vendeurs, tout nouveau dans ce magasin, mais qui me donne déjà l'envie d'y passer plus souvent. Quelle sympathie, quel sourire! De quoi faire aimer le sport même à Olivier, j'en suis sûr! En sortant, je pensais aux Antiques et à leurs jours fastes et néfastes. Superstition certes, mais certains jours, je ne suis pas loin d'y croire. Et aujourd'hui pour moi était un jour faste.

Dernier des petits plaisirs qui ont rempli ma journée. Détour chez Decitre et découverte de deux nouvelles parutions en poche, que j'ai immédiatement achetées, bien entendu: Tristes Revanches,un recueil de nouvelles de Yoko Ogawa et Sur la Trace de Nives de Erri de Luca, en plus d'un autre achat de la semaine, toujours en poche: Elles de Jean-Bertrand Pontalis.

Il n'en a pas fallu plus pour que j'oublie la pluie qui n'a pas cessé de tomber de l'après-midi... et le pain que je devais acheter pour le repas de ce soir.

Je me coucherai moins bête.

Appris ce soir, à la télé, en regardant "Questions pour un champion" dans la chambre de ma mère.

Stanislas Leszczynski (rassurez-vous, j'ai le dictionnaire sous les yeux pour l'orthographe, mais ça ne rend pas pour autant le nom plus facile à taper sur le clavier), ce bon Stanislas Ier donc (non, pas deux fois!) serait à l'origine du baba au rhum. Alors que, après avoir perdu son royaume de Pologne, il résidait dans ses états de Lorraine, il mangeait régulièrement du gâteau fétiche de l'Alsace voisine: le kouglof. Mais, comme il trouvait ledit gâteau un peu étouffe-chrétien, il l'arrosait copieusement de rhum et l'agrémentait de quelques ingrédients complémentaires. Lorsque l'on s'aperçut que le mélange était délicieux, on voulut lui donner un nom et Stanislas choisit celui de son héros préféré des Mille et Une Nuits: Ali-Baba. Et voilà.

Pour jouer au cuistre jusqu'au bout, je rajouterai (mais tout ceci est peut-être à vérifier, j'ai moyennement confiance dans les infos culturelles de la télé), que ce même Stanislas aurait aussi baptisé la madeleine, qu'il appréciait de même, du nom d'une jeune fille de Lunéville qui la préparait. Quel gourmand, ce Stany!

Et, pour la bonne mesure, sachez, ilotes, que c'est sa fille, Marie Leszczynska, reine de France, épouse de Louis XV, qui "inventa" la bouchée à la reine. Incroyable, non? Sans doute pour donner la becquée aux dix enfants qu'elle enfanta de son royal mari.

Précisions sur le précédent.

Deux mots sur mon choix musical d'hier, qui peut surprendre. Je l'ai dit, je n'ai pas réfléchi: c'est ce qui m'est venu d'abord que j'ai choisi. En prenant un peu plus de temps, j'aurais sans doute eu une programmation différente.

Les trois voix sont pour moi des incontournables: Maria Callas et Kathleen Ferrier, deux femmes dont je reconnais le timbre aux premières mesures, à la première mesure, à cause du frisson qui me parcourt alors le dos. Leurs voix me transpercent, comme un grand froid, et me font vibrer, tout de suite. Pour Alfred Deller, c'est un choix un peu moins viscéral, un peu plus intellectuel, mathématique comme pour la musique de Bach. J'aime sa voix et aussi son répertoire, seul, avec son fils Mark ou le Deller Consort. Je l'ai entendu la première fois à Paris, dans un luxueux appartement près de Michel-Ange-Molitor. J'avais vingt et quelques années.

C'était la grande époque du Bronx, une boîte homo très chaude de la rue Sainte Anne. L'homme qui m'avait emmené chez lui était anesthésiste, riche, cultivé et sympathique. (Non, ce n'est pas le début d'un roman de la collection Harlequin!). Je me souviens avoir été très impressionné par son goût sûr pour la décoration de son appartement luxueux, et par les draps du grand lit où j'eus l'occasion de passer la nuit et qui me semblèrent être de soie. Le lendemain matin, j'eus droit au petit déjeuner et à la voix de Deller. Je découvrais en même temps ce qu'était un haute-contre, encore aujourd'hui ma voix préférée avec celle d'alto chez les femmes. La nuit avait été suave et cet homme que je n'ai jamais revu venait de me faire le plus beau des cadeaux.

Les chansons qui suivent me tiennent aussi à cœur, chacune pour des raisons différentes (et pourtant très proches finalement).

Jean ferrat: Ma Môme. J'ai toujours aimé Ferrat. Je crois que c'est un des tous premiers disques que la famille a achetés quand nous avons eu un tourne-disques. J'aime les textes qu'ils chantent, de lui ou d'autres, j'aime surtout sa voix, si chaude, si profondément tendre, même lorsqu'il dénonce, lorsqu'il condamne. J'apprécie tout son répertoire, sauf peut-être les chansons de sa période engagée à fond pour Castro et Cuba.
Mais Ma Môme tient une place à part: le monde ouvrier, pauvre, dont je suis issu y est magnifié par une simple chanson d'amour. On ne s'y plaint pas de travailler, on s'y réjouit d'aimer, en secret, sous les toits. Quand j'étais encore maître-auxiliaire (remplaçant) dans le public, la dernière année, je travaillais au fin fond de Décines, à la limite de Mézieux. Habitant dans le centre de Lyon, je traversais la moitié de la ville et toute la banlieue est. Certains matins, nuit et brouillard, froid et verglas, sommeil et cafard. Pour me donner du cœur à l'ouvrage, je chantais à tue-tête Ma Môme dans ma Fiat 127, quand elle avait, enfin, décidé de démarrer. Et puis, dans cette chanson, il y a l'accordéon. Si vous voulez me plomber une journée dès le réveil, faites-moi écouter de l'orgue. Si vous voulez me voir heureux jusqu'au soir, passez-moi de l'accordéon.

C'est beau la vie. Bien sûr, je l'apprécie chantée par Ferrat, mais elle me bouleverse quand c'est Isabelle Aubret qui l'interprète. Encore un souvenir d'enfance. Isabelle Aubret faisait aussi partie des chanteurs de la famille. Oui, de gauche de père en fils, chez nous, même si mon père ne nous a dévoilé ses opinions politiques que très tard, pour ne pas nous influencer.
Elle eut un jour un terrible accident de voiture, où elle faillit perdre la vie et, peu de temps après, elle chantait ces paroles: "Que c'est beau la vie!". C'est elle qui, en grande partie, m'a donné cette volonté de rebondir, de se redresser coûte que coûte après la chute, cette force, malgré les coups durs, les trous noirs, de dire encore et toujours "J'aime la vie." Si je choisis un jour les musiques de mon enterrement, peut-être cette chanson y sera-t-elle. C'est dire!

Mon amour pour Judy Garland et pour la chanson Over the Rainbow vient bien sûr du film Le Magicien d'Oz, un de mes films préférés avec La Nuit du Chasseur. Je le regarde chaque fois avec le même plaisir, et, comme un enfant, je tremble aux aventures de Dorothée, de son chien et de ses trois fidèles compagnons: l'épouvantail, le lion et l'homme qui rouille. Comme un enfant, je suis émerveillé par le pays des fées, par les sortilèges de la méchante sorcière, je pleure quand on doit pleurer, je ris quand il faut rire, je me crispe quand monte l'angoisse, je me retiens de battre des mains. Meilleur public, on ne peut pas. Et puis un jour, en plus, j'ai commencé à comprendre les paroles de la chanson: "Au-delà de l'arc-en-ciel, le ciel est bleu...". Et c'est ce message d'espoir que, comme une prière, je me chante presque chaque matin en partant au travail.

Trois voix donc qui me bercent, qui m'habitent, et trois chansons qui me soutiennent, qui me réjouissent. Ce n'est pas plus compliqué que ça!

jeudi 30 octobre 2008

Mes grands airs!

Lancelot, il y a déjà quelques jours, puis Querelle, m'ont tagué sur mes goûts en musique. J'ai d'abord dit oui à Lancelot, sans le faire, puis non à Nicolas, et je vais le faire.

Pas très logique, tout ça, mais j'ai pensé que ce serait une excellente façon d'apprendre à me servir de Deezer, dont je découvre aujourd'hui le fonctionnement grâce à Stéphane. Le seul problème annexe, c'est que je n'ai plus de son moi-même. Une fiche s'est débranchée derrière l'unité centrale, pendant nos manipulations de cet après-midi, et j'ai beau l'enfoncer dans tous les trous à ma disposition présentant la même conformation, rien ne se passe. Alors, vous serez les seuls à en profiter.

Petite précision: j'aime la musique, toutes les musiques, sans ostracisme, sans discrimination, pourvu qu'elles me touchent, qu'elles me fassent bouger, rêver ou réfléchir, pleurer pourquoi pas. Je ne pratique aucune hiérarchie entre musique sacrée, profane, classique, moderne. J'aime Bach aussi bien que les Rita Mitsouko. Certaines œuvres classiques m'ennuient prodigieusement (Mozart, hélas, souvent, aux airs trop prévisibles!), de la variété va m'emballer, de la chansonnette m'occuper la tête des jours durant.

Les six morceaux que j'ai choisis ce soir sont ceux qui me sont venus d'abord à l'esprit. Je suis sûr que, demain matin, ma liste aurait été différente. Ils n'en sont pas moins des petits plaisirs à moi, pour la plupart depuis bien longtemps déjà.

Les trois premiers, ce sont des voix, mes voix.




Les trois autres, des chansons qui ont accompagné différents moments de ma vie, et auxquelles je tiens encore.




Il y avait aussi une chanson d'Adamo, dans l'un de ses tout premiers albums, si ce n'est le premier, dont le titre était, il me semble: Chanson en rondelles. Je ne l'ai pas retrouvée dans Deezer. Si quelqu'un sait où chercher...

(Il faudra me dire aussi comment faire disparaître ce "Découvrez machin ou chose" qui apparaît sans qu'on le lui ait demandé et qui semble vous prendre pour des débiles légers!)

Repas.

J'ai passé aujourd'hui une partie de la journée avec Stéphane. Malgré le mal au dos qui le fait vraiment souffrir, il est venu m'installer MSN, scanner et autres avancées technologiques qu'il faut maintenant que j'essaie d'apprivoiser.

Nous avons déjeuné ensemble: salade de crudités, magret de canard et gratin de navets, tarte aux pommes (oui, j'en ai fait une aussi à Stéphane!). Nous avons beaucoup parlé bien entendu, en particulier de notre côté maniaque à tous les deux. Ainsi a-t-il bien compris lorsque je lui ai avoué que, souvent, pendant les repas, je me levais pour commencer à débarrasser la table ou à faire la vaisselle: il a exactement le même comportement. Ce n'est pas un manque d'éducation, bien que cela ne plaise pas à tout le monde, mais peut-être une façon de gagner du temps libre pour autre chose. Reste à savoir quoi?

Mais cela m'a fait penser à nos repas de famille, le dimanche, lorsque j'étais enfant et même plus tard, tant que mes parents ont pu nous réunir autour d'une table. Nous mangions à la manière stéphanoise, peut-être commune à d'autres régions de France. Le repas se passait comme partout jusqu'au fromage. Après le fromage, nous ne prenions pas immédiatement le dessert. Nous desservions la table, lavions la vaisselle, l'essuyions, la rangions dans les placards, passions le balais, et c'est seulement à ce moment-là que nous reprenions place autour du gâteau que l'on dégustait avec le café bien chaud et corsé.

Pourquoi cette façon de faire? Je n'en sais rien, personne ne me l'a expliquée. Je pense, pour ma part, que la première partie du repas est destinée avant tout à se nourrir, à remplir les ventres affamés par des travaux souvent durs. Le repas dominical calque ce rythme sur ceux de la semaine. Pendant ce temps, chaque membre de la famille joue le rôle social qui lui est dévolu.

Mais ensuite, le dimanche, nous passons à autre chose, au supplément, à l'exceptionnel, au plaisir de la gourmandise, d'autant plus précieux qu'il est rare. Et cet instant ne peut se vivre que tous ensemble, à "égalité", sur une table propre, quand la mère est débarrassée des contraintes, quand elle peut s'asseoir comme tout le monde et ne plus penser qu'à savourer l'instant, comme tous les autres membres de la famille. Je trouve que c'est là une bien belle tradition. Qui sans doute a presque totalement disparu avec les nouvelles façons de s'alimenter.

mercredi 29 octobre 2008

Ainsi soient-ils.

J'avais parlé d'une deuxième lecture captivante de ces jours derniers. Il s'agit de Ainsi soient-ils, de Neil Bartlett (Titre original: Ready to catch him should he fall. 1990)

La quatrième de couverture parle d'une langue hypnotique. La lecture le fut aussi, à coup sûr. Roman baroque, érotique et moral sur le monde homosexuel des années de libération, à l'époque où montrer sa différence était encore dangereux mais où les endroits spécialisés, les ghettos diraient certains aujourd'hui, constituaient un refuge de douceur, de drôlerie et de fraternité.

Le roman évoque la rencontre, dans un bar, Le Bar, que tient un personnage attachant baptisé Madame puis la Mère, de deux hommes, l'un plus âgé et calme, l'autre tout jeune et novice. Ils vont devenir amants, s'aimer, ne plus se quitter, perdre la Mère et retrouver Père, avant que celui-ci ne disparaisse à son tour, sans que l'identité de ces deux-là soit jamais certaine.

On frémit à l'idée de ce que cela pourrait être, au vu des titres de certains chapitres: Fiançailles, Parer la mariée, Lune de miel.... Petit roman provocateur où il est de bon ton de parler au féminin pour évoquer les "folles", scènes torrides ou violentes pour faire bonne mesure, un zeste d'analyse sociologique pour montrer que l'on n'est pas totalement idiot.

Ce roman n'est rien de tout cela. Je ne sais pas ce que pourrait éprouver à sa lecture un hétérosexuel n'ayant de surcroît pas vécu les années soixante-dix. Moi, homo et quinquagénaire, je m'y suis retrouvé: dans la peur des agressions dans des rues peu sûres, dans la chaleur des lieux de drague où, enfin, l'on était sûr d'être avec ses semblables, dans la compétition de soirées pour aguicher le nouveau venu quand il était beau, dans les amours naissantes et pour certaines se confirmant, dans l'installation de l'appartement, dans ce microcosme où nous étions à la fois frères et adversaires.

De plus, le style de Neil Bartlett, présenté par l'éditeur (Actes Sud) comme "l'une des figures les plus respectées et les plus éminentes de la culture gay" au Royaume-Uni, est dense et aéré à la fois, le baroque y côtoie le classique, la folie évocatrice une pensée plus profonde et plus grave. Romantisme et compassion, dit encore la quatrième de couverture, pour une fois dans la vérité. Une belle histoire d'amour, sans apitoiement, à une époque où ces amours-là n'avaient pas encore bonne presse.

... vous devez vous rappeler combien cette époque-là était étrange.
Dangereuse même, en y repensant, bien que je ne me souvienne pas qu'on utilisait ce mot alors. Vous devez vous souvenir que nous vivions dans une ville où, selon les chiffres les plus récents, 63% de la population pensaient que des gens comme nous ne devaient pas exister. (Ces chiffres étaient bien entendu controversés) 72% de la population pensaient que nous ne devions pas exprimer nos sentiments en public, même s'il y avait des désaccords parmi les chercheurs pour savoir si le terme "exprimer" devait se référer à: se tenir la main, échanger des regards, échanger des bagues, laisser tomber sa tête fatiguée sur une épaule moins fatiguée, crier des mots comme "Je t'aime, je t'aime, Mon cœur est une rose!" (entendus une fois, tard dans la nuit, se répercuter dans une station de métro), pratiquer une fellation contre les grilles, ou simplement qu'un homme se tienne sur le seuil en disant: "Au revoir, prends soin de toi, je te vois mardi, donc", tandis que l'autre s'éloigne dans une rue de banlieue déserte (à 8h20 du matin).
82% des gens pensaient que les noms des gens comme nous, ou plutôt des gens "comme ça", ne devaient pas être cités dans les réunions à l'école, surtout celles comprenant des enfants jeunes. 42% ne voulaient pas y penser. 32% ne savaient pas comment ils faisaient quand ils couchaient ensemble, mais auraient aimé y assister, si on avait pu arranger la chose. 51% disaient qu'honnêtement ils préféreraient que ces gens s'évanouissent dans la nature;, qu'ils n'existent tout simplement plus. 27% affirmaient qu'ils auraient frappé eux-mêmes d'un couteau, même des amis, des collègues ou des fils, mais je dois dire quant à moi que je ne crois pas que cette question avait été posée, ou si elle l'avait été, ils avaient fabriqué la réponse, je n'y crois pas, je pense que c'est juste un moyen de vendre des journaux que de faire figurer ce genre de choses dans un article.

(Trad. de Gilbert Cohen-Solal.)

Les femmes de ma vie (1): Madame B.

Ne faites pas cette tête-là, vous avez bien lu. Certaines femmes ont eu dans ma vie suffisamment d'influence, de présence, pour que je les appelle "les femmes de ma vie". Bien sûr, pas de Donjuanisme là-dessous, même si, pour certaines, je sus ce qu'était la confusion des sentiments.

Ma mère, bien sûr, dont je ne parlerai pas, car elle n'entre pas vraiment dans cette catégorie. Elle est ailleurs, pour moi.

Ce soir, la première sera ma vieille institutrice. Elle ne devait pas être si âgée que cela lorsque je la connus au sortir des classes maternelles, avec son niveau de CP. Madame B., morte aujourd'hui depuis longtemps, était un petit personnage au chignon toujours impeccablement serré, sauf lorsqu'elle se mettait en colère, ce qui la faisait devenir toute rouge et dérangeait l'ordonnancement de sa coiffure. Elle sentait bon, un parfum qui encore aujourd'hui, lorsque par hasard je le croise dans la rue, me renvoie à cette époque où les jeux de billes, les courses de l'épervier et les analyses logiques suffisaient à remplir notre univers.

Dans la rue, aujourd'hui, je ralentis soudain lorsque j'en perçois la fragrance. Si je ferme les yeux, je revois cette femme, avec la règle à la main, nous conduisant, comme un général ses troupes, sur les chemins de la lecture et de l'écriture, employant le sourire et la persuasion mais aussi la punition et les coups sur les doigts.

Autour d'elle, je replace les vieux bureaux de bois tout entaillés, le bord des encriers tachés d'auréoles violettes, le banc attenant que l'on ne pouvait déplacer, les rabats des pupitres qu'il était interdit de laisser tomber, au fond de la salle le gros poêle qui chauffait si bien qu'il rendait parfois l'atmosphère irrespirable, les deux seaux remplis d'eau, l'un pour boire avec un quart en aluminium, l'autre pour se laver les mains. Combien de fois nous sommes-nous trompés de seaux, avant de quitter cette cahute en préfabriqué qui nous abrita jusqu'à ce que les nouveaux locaux soient terminés et que nous y déménagions, gagnant en confort ce que nous venions de perdre en poésie et en liberté.

Cette cahute, je l'ai revue, il y a une dizaine d'années. Elle était toujours là, quarante ans plus tard, mal en point, abandonnée, servant à ranger de vieux outils rouillés. Lorsque je suis revenu un mois plus tard pour la photographier, on venait de la démolir.

J'y ai passé des moments heureux, au milieu des crassiers de la mine, des anciennes installations où nous jouions à nous cacher, près de la grande cheminée de brique, une de celles qui ont longtemps marqué de leur silhouette le décor stéphanois et dont, aujourd'hui, il ne reste que bien peu d'exemplaires. Nous avions un jour enfermé l'institutrice dans les cabinets extérieurs. A l'époque, c'était, je vous le jure, un signe de grande rébellion.

Mais je m'aperçois que je parle moins de Madame B. que de tout ce qui faisait mon univers d'enfant à ce moment-là. J'évoquerai aussi la grande ferme proche de l'école et sa mare de purin au pied d'un immense tas de fumier que l'on sentait de loin. Moi, j'ai toujours aimé cette odeur. Elle me rappelle elle aussi ma prime enfance, comme la façon de mal faire les jambes des M, qu'elle ne supportait pas chez ses élèves. Que dirait-elle aujourd'hui en voyant mon écriture de chat? Pour elle, si l'on formait mal ses lettres, on était de la graine de voyou.

Madame B. avait ses têtes, comme on disait alors. C'est à dire qu'elle préférait visiblement certains élèves à d'autres. Si vous aviez la chance d'être parmi les heureux élus (comme Yvon par exemple), vous pouviez couler des heures tranquilles dans la quiétude de journées plates. Si en revanche elle vous prenait en grippe (comme elle le fit avec mon frère), il fallait vous préparer à souffrir, à être mal noté, à recevoir punitions et coups de règle. On l'avait surnommé (je ne le sus que plus tard) la "mère très bien". Pou ceux du cénacle, bien entendu. Les autres, les parias, n'avaient droit qu'à son mépris.

Moi, je n'étais ni dans un camp ni dans l'autre. Je passais ma vie à rêver, devant le mot "romarin" quand elle nous apprit la chanson "J'ai descendu dans mon jardin", et à cultiver ma magnaquerie dans le décorticage méticuleux des analyses logiques et grammaticales. Madame B., ne sachant sans doute pas où me classer et considérant que je n'étais en somme qu'un doux dingue à ne pas déranger, me laissa vivre ma vie. Je lui en suis aujourd'hui très reconnaissant, même si, avec le recul, je doute que les méthodes qu'elle employait, même compte tenu de l'époque, soient réellement pédagogiquement à conseiller.

J'appris des années plus tard, lors d'une conversation entre mes parents, que son mari était un grand coureur de jupons et qu'il la trompa une grande partie de sa vie. Je n'ai pas souvenir qu'ils aient eu des enfants. Une femme stricte et injuste, mais qui me laissa rêver, une femme autoritaire et lunatique mais qui sentait bon, une femme à laquelle je m'étais attaché parce qu'elle savait des choses que je ne savais pas, parce qu'elle me guidait, sans que je le sache mais rassuré par la force de sa poigne, sur les chemins du savoir, une femme qui, peut-être, est à l'origine lointaine de ma vocation d'enseignant.

Fin de saison.

Aujourd'hui, j'ai rentré la plupart des plantes, nettoyé les balcons de la cuisine et de la chambre, mis le chauffage dans la maison.

Les pots ont retrouvé leur place d'hiver sur le palier et dans l'escalier. J'espère que la nouvelle personne qui nettoie l'allée les acceptera comme la précédente. Je fais mon maximum pour qu'elles ne gênent pas trop, mais il y a en tant, même si les vieux géraniums de mon père ont disparu cette année.

C'est toujours un moment important pour moi, quelque chose que je ne brade pas, qui m'a occupé aujourd'hui la moitié de la matinée. Je les débarrasse de leurs feuilles mortes, en taille certaines, nettoie les assiettes et les pots, remplis un sac poubelle de tout ce qu'il faut retrancher afin qu'elles passent le meilleur hiver possible.

Le bougainvillier a encore quelques pointillés rose sombre au milieu des épines maintenant apparentes. Les campanules ont cessé de fleurir, de même que le rosier nain. La pervenche s'est étendue et, agrippée aux pots voisins, commençait son marcottage. Plus rien, ni tiges ni fleurs, des grosses clochettes violettes, les jaunes ( dont j'oublie systématiquement le nom. Merci, J., de me le rappeler!) ont aussi disparu mais la plante se porte bien.

Je n'ai pas eu le courage de me débarrasser des chèvrefeuilles qui pourtant végètent depuis deux saisons. J'attendrai de voir si les promesses de la glycine nouvellement plantée sont tenues au printemps prochain. Je n'ai pas non plus coupé la grande hampe de la rose trémière au bout de laquelle reste la dernière fleur couleur thé. Elle, a tenu ses promesses cette année: des mois de floraison ininterrompue, plusieurs fleurs d'abord, puis un exemplaire unique, toujours plus haut. Le laurier rose semble, lui, avoir doublé de volume cette saison. Il faudra bientôt que je le donne pour qu'il soit planté en pleine terre. Mais la région est sans doute trop froide.

Les cactus bouturés chez J. ont pris place dans la cuisine, près du poste de radio et du micro-ondes.. J'ai taillé hardiment certaines misères mais en laisse d'autres coloniser le dessus du réfrigérateur. Au salon, l'orchidée est au repos. Je la surveille souvent mais rien ne se passe en ce moment. Aucune plante dans les chambres et dans mon bureau: économie de déplacement quand il faut arroser tout cela.

Voilà: là aussi tout est en place. L'hiver peut arriver. Mes plantes sont à l'abri. Je n'ai plus dehors que celles qui ont l'habitude d'y rester.

mardi 28 octobre 2008

Annecy: photos aléatoires.

(Enfin presque!)

Ouvrir les yeux sur le monde.

Moi vouloir toi.

Bon d'accord, mais c'est la dernière fois!

On brade?
Cuisses d'anges.

Le plaisir des chiffres.

Enfin des lectures qui m'ont plu et dont je tiens à rendre compte, la première aujourd'hui, l'autre dans quelques jours, pour ne pas lasser.

Vous connaissez ma passion pour la littérature japonaise et pour Yoko Ogawa en particulier. J'aime son style bref et incisif, simple mais précis et l'originalité des thèmes qu'elle aborde.

Dans son roman La Formule préférée du professeur que je viens de terminer, elle se surpasse sur ce dernier point. Un mathématicien âgé dont la carrière très prometteuse a été brisée par un accident de voiture a à son service une aide-ménagère envoyée par une association qui lui en a déjà fourni une dizaine précédemment. Toutes ont été renvoyées. Celle-ci va étudier son employeur et composer avec son handicap majeur: une mémoire qui ne dure pas au-delà de quatre-vingts minutes. Elle va aussi lui présenter son fils de dix ans avec qui il nouera une relation privilégiée d'amitié intense, à base de passion pour le base-ball et surtout de dévotion pour les chiffres et leurs mystères.

Autant le dire tout de suite: je pouvais me passer aisément du versant base-ball. Heureusement quelques pages seulement y sont réellement consacrées, que j'ai lues un peu en diagonale. Mais pour tout le reste, c'est du plaisir à l'état pur. La relation qui s'installe entre ces trois êtres à part, comme les nombres premiers dont il est tant question, le passage toujours subtil du récit au plaisir des chiffres et de leur manipulation, - bien sûr, il faut aimer comme moi les maths et surtout les chiffres pour apprécier pleinement - , la lente progression vers une fin attendue mais pas triste, l'absence totale d'aspect morbide ou pervers dans ces pages en font un véritable régal pour l'esprit. C'est un des rares livres où l'on se sent plus intelligent en le lisant.

- Plus les nombres deviennent grands, plus les nombres premiers sont espacés, si bien que c'est de plus en plus difficile de trouver des nombres premiers jumeaux. On ne sait toujours pas si, de la même manière qu'il y a une infinité de nombres premiers, il existe une infinité de nombres premiers jumeaux, dit le professeur en entourant d'un cercle les nombres premiers jumeaux.
Une autre merveille de l'enseignement du professeur était l'utilisation généreuse qu'il faisait de l'expression ne pas savoir. Ne pas savoir n'était pas honteux, car cela permettait d'aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. Et pour lui, enseigner la réalité qu'il y avait là des possibilités intactes était presque aussi important que d'enseigner des théorèmes déjà démontrés.


Yoko Ogawa, La Formule préférée du professeur.
(Trad. de Rose-Marie Makino-Fayolle.)

lundi 27 octobre 2008

Lendemain.

Aujourd'hui, le temps est gris. Ce matin, j'ai profité des dernières lueurs pour reparcourir en courant le même itinéraire jusqu'à l'aire d'autoroute. Il n'y avait personne. La traque est-elle, elle aussi, déjà entrée en "automnage"?

Maintenant, la pluie ne devrait plus tarder. J'ai devant les yeux, en regardant par la fenêtre, l'endroit d'où hier s'élançaient les coureurs pour une animation sportive locale. Étrange contraste. Tout a été démonté, le gros portique gonflable rouge du Conseil Général, les barrières, les bandes bicolores interdisant le passage. Plus rien ne laisse deviner qu'hier il y avait du soleil, des sportifs, des spectateurs et de la musique.

J'ai regretté de ne pouvoir participer à cette course. Émile ne m'ayant pas prévenu, je n'avais pas sur moi de certificat médical. Il y avait différentes épreuves: une marche de six kilomètres, une course de huit, une autre de quinze, plus quelques compétitions pour les plus jeunes. Je suis descendu près du point d'où étaient donnés les départs pour faire quelques photos du public, de l'ambiance et surtout des concurrents dont plusieurs m'ont fait regretter de ne pas être à leur côté dans l'effort et la sueur. L'un d'entre eux, alors que j'essayais d'être discret, a même remarqué que je le photographiais et n'en a paru que très content, passant et repassant devant moi, mine de rien, l'air sérieux mais vérifiant régulièrement que j'étais toujours là.

Quand tous les départs ont été donnés, je me suis rapproché encore et installé contre une barrière métallique qui a failli basculer (oui, J., je suis sans doute "tombé" sur la seule de tout le parcours à ne pas être fixée aux autres). L'homme qui se tenait contre la suivante s'est mis à rire et m'a lancé une remarque sympathique. IL n'en fallut pas plus pour que nous passions presque deux heures ensemble, rejoints au bout d'un moment par sa femme.

C'est un ancien sportif qui a dû arrêter la couse à cause d'une maladie des os et ne peut plus aujourd'hui se défouler que sur un vélo. Bien sûr, nous avons parlé de la course, du plaisir ressenti, des sensations éprouvées pendant ces kilomètres d'épreuve, de tout ce que ceux qui ne courent pas ne peuvent pas comprendre. Pendant ce temps, les plus rapides commençaient à arriver et, à de rares exceptions près, des gens à bout d'efforts, je reconnaissais sur tous ces visages la joie d'être parvenu au bout et le plaisir irradiant tout le corps et l'esprit.

Mon voisin connaissait certains participants et les apostrophait au passage en riant. Plus tard, il me proposa de venir, avec ses amis, boire du vin blanc chez lui, à quelques mètres de là. J'ai hésité puis refusé, pour ne pas gêner et pour ne pas m'imposer de contrainte, à moi qui, ces jours-ci, ne les supportent guère.

Après son départ, je me suis rapproché du "village" pour voir, pour entendre, pour sentir. J'y ai retrouvé un coureur de mon âge avec qui j'avais échangé deux mots avant le départ, un homme sec, à la barbe et aux cheveux courts grisonnants. Il semblait timide et à la fois volontaire pour me parler. Chaque phase semblait le propulser en avant par l'effort qu'il s'imposait pour la prononcer. Devait-il maîtriser une difficulté d'élocution, bégaiement ou autre, avant de s'exprimer à voix haute? J'ai aimé cette discussion gratuite avec un étranger aperçu un instant dans la communion d'une passion et que je ne reverrai probablement jamais.

Aujourd'hui, devant la mairie, on attend les premières gouttes. Tous ces hommes sont rentrés chez eux, ont repris leur travail, le chef-lieu est retombé dans sa morosité et seules les feuilles arrachées par le vent aux branches des arbres donnent encore un peu de mouvement à l'endroit déserté.

dimanche 26 octobre 2008

Quitter Annecy.

(Hier, samedi) Après mon au revoir à Giovanni, je remonte rapidement au parking du château. Dans cette Côte Perrière, Stéphane m'avait frictionné le dos, au sortir d'un restaurant, alors que j'y grelottais, transpercé comme souvent par le froid. Stéphane, le neveu de Pierre, notre "fils", dont j'ai bien peu de nouvelles maintenant. Je passe devant son immeuble. J'avais décidé de ne pas l'appeler. Je le fais tout de même. Il n'y a personne. J'en suis presque heureux. Cette journée restera à moi, à moi tout seul.

Tous seul? Non. Je n'ai pas cessé de pense à J., à notre sortie de samedi dernier à Trévoux, Villefranche et Ars, à notre passion commune pour ces visites et les photos que nous en ramenons. Dans les rues, dans les églises, j'ai des yeux pour deux. Je me dis: je prends ce détail en photo, lui avec son appareil aurait pu prendre ça. Voilà ce que nous aurions dit, ce que nous aurions fait. Peut-être dans ce passage un peu plus sombre aurions-nous échangé un petit bisou, peut-être lui aurais-je massé la nuque ici, peut-être m'aurait-il averti d'une marche ou d'un tottoir là. J'aurais aimé qu'il soit avec moi, tant la ville était belle aujourd'hui.

Dernier arrêt dans ma visite: l'église de la Visitation, plus haut sur la colline, déjà en dehors de la cité. Pas très belle, elle domine le paysage, face aux montagnes, comme Fourvière à Lyon, et en est un des symboles les plus connus. Consacrée à St François de Sales, elle est pour beaucoup, largement plus célèbre pour son parking et ses environs où, de jour comme de nuit, se croisent et se recroisent, se rencontrent et se séparent des hommes en quête de sensations et de plaisirs érotiques.

C'est le cas cet après-midi. Au milieu de quelques pèlerins, je repère vite les silhouettes des errants. J'en suis même un jusqu'à un bosquet dominant des jardins potagers au dessus de la vieille ville. Mais ses nombreux piercings me refroidissent vite, et la fatigue aussi (une heure de course à pied et deux heures de balade).

En rentrant, je passe tout près de la ferme de Georges, de la maison de Josiane. Cette route, cette région sont piégées pour moi. Elles me tirent en arrière. Je leur tourne le dos ce soir, heureux de mon errance, heureux de mes photos, heureux de ma rencontre avec Giovanni, heureux d'avoir fait un pied de nez au passé. Peut-être sais-je maintenant mieux me battre contre la nostalgie.

Le soir, j'en veux encore. La journée a été trop bonne pour ne pas la prolonger. La nuit sera plus longue d'une heure, profitons-en. Je propose à Émile de l'inviter au restaurant. Proposition acceptée tout de suite. Nous irons à St Félix, sur la route d'Annecy. Un restaurant, Le Pot au feu, tenu par un couple qu'Émile connait.

Il y a du monde dans cette salle spacieuse mais sans prétention. Et le repas est excellent: salade landaise avec gésiers, tête de veau sauce gribiche, fromage sec (reblochon, tome et Beaufort, je goûte à tout) et délicieuse tarte aux poires et chocolat. Tout près de là, dans un autre restaurant de l'autre côté de la route, il y a environ trente ans, la patronne avait renversé une tasse de café sur mon pantalon blanc serré, alors que nous y déjeunions avec Pierre, et m'avait vertement tancé comme si j'étais responsable de l'incident. A l'époque, je portais des pantalons blancs serrés!

Voilà de quoi a été remplie cette journée: de souvenirs, de joies, de retrouvailles, de tendresse, de découvertes, entrelacs compliqué, tissage serré de sensations et de pensées, de désirs et de refoulements, de passé et de présent. Journée pleine, et heureuse, surtout, heureuse, parce que tout est en ordre

Natacha et Giovanni.

(Hier, samedi)
Étrange après-midi dans la cité "lacustre". Je suis un peu anxieux. Je m'y retrouve seul pour la première fois depuis la mort de Pierre. IL y a vécu de nombreuses années en famille, j'ai fréquenté la ville, où habitaient ses parents, deux de ses frères et sœurs. Aujourd'hui, il y a aussi un neveu et une nièce. Je trouve à me garer près du château, en surplomb de la vieille ville. Muriel habite là, dans une des montées. Je suis devant son immeuble. Pas de signe de vie à ses fenêtres. Cela me libère. Je tiens à être seul pour ces retrouvailles. Je suis venu à Annecy des centaines de fois, je n'ai jamais pris une seule photo. Je me sens chez moi et, en même temps, incroyablement étranger, touriste comme un autre, un peu intimidé, comme devant une amie que l'on retrouve après de nombreuses années.

En arrivant au bas de la Côte du Château, je découvre les rues de la vieille ville encombrées de vieilleries de vide-grenier et de badauds persuadés de pouvoir dénicher la bonne affaire. J'aurais peut-être préféré le calme mais j'aime bien aussi cette ambiance de braderie. Flânerie dans ces rues si souvent empruntées avec Pierre, dans une autre vie. J'ai toujours l'impression que je vais rencontrer quelqu'un de connaissance. Je l'espère et je le redoute. A chaque square équipé de jeux d'enfants, je regarde si je n'aperçois pas Léo, jusqu'à ce que je pense que Léo a aujourd'hui onze ans, qu'il ne fréquente plus les bacs à sable et que je suis, décidément, devenu un vieux con.

Mais je ne veux plus de la nostalgie et le hasard, encore une fois, m'aide en ce sens. Après un petit tour des églises de la vieille ville, la Cathédrale, St Maurice et St François de Sales, je prends la direction du lac par le quai au bord du canal du Thiou. Tout au bout, côté lac, le vide-grenier laisse la place à une exposition d'œuvres "artistiques", pour la plupart malheureusement déjà vues des centaines de fois, tape à l'œil ou franchement laides. Et là, au milieu de ce fatras, je vois une statue de bronze, une silhouette de femme arquée, que je reconnais tout de suite.

Je l'ai déjà rencontrée il y a quelques mois à l'Orangerie du parc de la Tête d'Or. J'en avais parlé ici, tant ces œuvres m'avaient plu, en particulier les couples, assis et debout. J'avais pris les coordonnées des auteurs: Natacha et Giovanni, de Attignat-Oncins, près de Pont de Beauvoisin, en Savoie. Et aujourd'hui, contrairement à l'autre fois, un homme est là, devant les œuvres: Giovanni sans doute, grand homme aux cheveux qui commencent à grisonner, occupé à bavarder avec un couple.

J'ai envie de l'aborder, tant je suis content de revoir ces statues comme ça, par hasard, alors que je ne m'y attendais pas. Mais la conversation avec le couple dure. Je note au passage l'accent méridional de Giovanni et je poursuis mon chemin jusqu'au lac, bien décidé à repasser au retour.

Le lac est splendide. J'évite au possible les coins les plus fréquentés. Quelques photos plus tard, je reviens par le parc de l'Hôtel de Ville et, de loin, voit Givanni seul. Vite, le dialogue s'engage. Je lui dis mon admiration pour ce qu'ils font, lui et Natacha, lui précise l'avoir découvert à Lyon, à la Tête d'Or. Et là, surprise, autre hasard encore plus fort, il me regarde et me répond:
" C'est vous qui parlez de nous dans votre blog. Vous y parlez aussi de latex!"
Pas de doute c'est bien moi. J'avais écrit être entré sans l'avoir prémédité, dans la tenue du moment, c'est à dire celle de ma course à pied.

Ainsi combien de hasards sur cette rencontre: celui de venir à Annecy le dernier samedi du mois, jour du vide-grenier, celui de passer par le bon quai, le hasard de reconnaitre la statuette, le hasard du passage des deux artistes sur mon blog. Cela nous met l'un et l'autre de bonne humeur et nous bavardons longuement, du devenir des œuvres que j'avais admirées à Lyon, toutes vendues depuis à l'exception de celle présente aujourd'hui, du prix du Lions Club qu'ils ont gagné, de l'éparpillement de ces œuvres jusqu'à Atlanta, des origines de Giovani, sarde d'Alghero, ville de la côte ouest où je suis allé il y a de nombreuses années avec Pierre, de la langue italienne, de la langue sarde, de sa femme, professeur d'anglais.

Il faut arrêter: mon ticket de parking arrive à expiration. J'ai pris, avec sa permission quelques photos de ces bronzes qui me plaisent tant (permission qui m'avait été refusée à Lyon) et lui ai dit que je reparlerai d'eux dans mon blog. Les photos, en revanche devront attendre mon retour à Lyon.

Alors, je vous le redis, Natacha, que je ne connais pas, et Giovanni, j'aime énormément ce que vous produisez, ce qui s'en dégage, mélange de mouvement aérien et d'encrage dans la terre, de tendresse et de sensualité émanant d'une matière presque brute. J'aimerais vous rencontrer encore, prendre le temps de parler sans contrainte, de vous connaître davantage pour entrer un peu plus dans votre univers artistique. Si vous me lisez, n'hésitez pas à vous manifester dans les commentaires, et, si vous passez par Lyon, faites-le moi savoir, si cela vous convient, naturellement.

Partir, courir.

(Écrit hier soir, retour du restaurant)
Hier, vendredi, joie sur l'autoroute. Pas d'anxiété cette fois de quitter mon appartement. Je me suis senti libre sur cette route, libéré, léger: je partais, seul, pour mon seul plaisir. Le soleil était là. La musique dans la voiture accompagnait la vitesse. Je me suis arrêté souvent, sur les aires de cet autoroute, pour prendre des photos. Frédéric Lodéon passait les ouvertures de Rossini. Bon rythme pour rouler, joie au diapason de ces beaux paysages d'automne. Émile était occupé à mon arrivée. J'ai continué mon rodéo photos dans le cimetière, dans le jardin, dans le village. J'ai dormi, bien, j'ai lu. Demain, j'irai courir.

Ce matin, le ciel est bas. On sent la lumière pas loin, mais la brume persiste un peu partout. Il fait plutôt frais. Je m'habille et part pour mon trajet habituel. En route, un seul autre coureur croisé. Bonjour, sourire. Même physique de grand filiforme. Il y a des familles, comme ça. La campagne est triste sous cette brume, la route coincée entre deux haies de maïs. Peu de voitures, trop tôt, toutes avec remorques remplies de bois de chauffage, de produits de la terre ou de matériel de bricolage. Atmosphère triste mais vivifiante. L'air frais me plait quand je cours. A St Girod, je quitte la route pour emprunter le chemin longeant l'autoroute jusqu'à l'aire de repos. Pas de voyageurs "clandestins", des familles et un van de jeunes, le coffre bourré de packs de bière.
Je pensais revenir par un autre chemin, plus à travers champs mais la présence de nombreux chasseurs m'en dissuade. D'ici à ce qu'on me prenne pour un chevreuil! Je reviens donc par la route, pendant que le soleil apparaît. Malgré une petite douleur derrière le genou, je suis de mieux en mieux. Je vais plus vite la foulée s'allonge et, joie, je suis au retour, dans le sens de la montée. Une bonne douche, un bon repas et c'est reparti pour d'autres activités. Émile a une inauguration officielle. Je fais encore bande à part et décide de passer l'après-midi à Annecy

vendredi 24 octobre 2008

Vacances.

Dans une heure environ, le temps de finir sa valise, Calyste va se mettre au vert, ressourcer un peu son cerveau, détendre ses muscles, fermer plus longtemps ses paupières, s'endormir dans un fauteuil le nez sur un livre, mettre les pieds sous la table, manger des légumes du jardin, admirer les couleurs d'automne à la campagne, gratouiller un peu la terre. Bref, vivre!
A plus tard, ou à bientôt, c'est selon. Bises à tous.

jeudi 23 octobre 2008

L'autre.

Qu'est-ce qui a vraiment changé chez les élèves depuis que j'enseigne? C'est la question que je me posais ce matin pendant que je surveillais un contrôle. Et j'ai eu une réponse presque immédiate. Une élève, bonne élève, n'a pas cessé de me poser des questions: quatre en dix minutes, auxquelles je n'ai pas répondu. Une fois les consignes données et clairement expliquées, je ne réponds plus.

Ce qui a changé, c'est le point de vue de l'élève. Autrefois élément d'une classe, d'un ensemble plus ou moins glorieux, plus ou moins reconnu par les classes voisines, d'une "fratrie" qu'il avait à cœur de défendre et de faire rayonner, l'élève d'aujourd'hui n'a nullement conscience d'appartenir à un groupe. Il est là en tant qu'individu, apportant avec lui ses problèmes personnels, familiaux ou relationnels, il entend bien conserver ce statut d'entité particulière et pour lui primordiale.

Donc à la moindre question, au moindre doute, il est évident que l'adulte en face va s'arrêter dans ce qu'il disait et répondre à ses angoisses, éclairer sa lanterne, en priorité, en abandonnant le troupeau des autres. Hélas, c'est peut-être bon dans la Parabole de l'Enfant Prodigue, pas dans l'enseignement. On voit où mène cet état d'esprit quand il s'agit de les faire travailler en groupe. Certains refusent, d'autres accaparent la parole, d'autres, qui ne peuvent l'obtenir pour eux seuls, s'effondrent en larmes (je parle ici des sixièmes).

Le plus gros travail de l'enseignant aujourd'hui, mise à part la transmission d'un savoir spécifique à sa matière, est cet apprentissage de la socialisation, du savoir vivre ensemble, du respect de l'autre dans sa différence, de la reconnaissance de cet autre dans son altérité: il n'est pas moi, mais c'est un autre moi-même que je dois respecter si je me respecte.

Et qu'on ne me parle pas de baisse des niveaux. Platon en parlait déjà à son époque: depuis le temps, on doit commencer à racler le fond! Non, l'essentiel, pour moi, c'est de leur apprendre à vivre à côté du semblable et différent.

Science étonnante

Découverte par hasard en passant hier, cette exposition scientifique surprenante, aux photos souvent magnifiques, représentant aussi bien un oeil ou un poil de mouche qu'un gorgonocéphale ou autre réalité inconnue. Je n'avais pas le temps, je n'ai pas approfondi. Je compte bien retourner y faire un tour. Les panneaux sont accrochés aux grilles tout autour de la Préfecture.







mercredi 22 octobre 2008

Les acacias.

Ils étaient tout au sommet de la côte, à la fourche de la route, là où la partie haute monte à l'assaut des Voirons alors que l'autre redescend vers le village. Un endroit préservé, sans maisons, rien que des prés jalonnés de vieux pommiers recouverts de gui. Les talus étaient consolidés parfois de murs de pierres sèches, magnifique ajustement de blocs taillés et assemblés autrefois. De l'eau coulait toujours dans le fossé et rouissait les pommes acides qui tombaient des arbres les plus proches.

De là, la nuit, on apercevait les feux de Thonon et, plus loin, de l'autre côté, ceux de Lausanne. A l'extrémité opposée, Genève dans un halo plus clair. En face, la colline de Balaison était obscure, effrayante et rassurante à la fois.

C'était le but ultime de ma promenade du soir, avec le chien, lorsque, vieux, il ne pouvait guère en faire davantage. Nous montions lentement jusqu'à ces deux arbres sans doute centenaires, un pèlerinage connu de l'un et de l'autre. Mais si, les premières années, il s'enfuyait dans le noir des prés et des chemins pour courir après la trace odorante d'un quelconque gibier, s'il fallait alors le rappeler plusieurs fois et attendre son bon vouloir, vers la fin il ne me quittait plus guère, tout apeuré si je détachais la laisse, se tapissant encore davantage contre mon genou.

C'est moi peut-être qui humais, le plus des deux, les parfums de la nuit, herbes coupées, pommes pourrissantes ou cette enivrante et écœurante odeur des feuilles de peupliers en décomposition. L'hiver, il fallait que j'insiste, que je lui parle, pour qu'il accepte de finir l'itinéraire. Quand nous arrivions en haut, la même chose se produisait chaque fois: alors que nous pénétrions à l'abri de leurs branches, ces acacias nous enveloppaient d'une atmosphère plus douce, plus chaude. Physiquement plus chaude, comme un microclimat de quelques mètres carrés. Je n'ai jamais compris ce phénomène, puisque le site, vu son emplacement, aurait dû être davantage venté que la route plus bas.

Un jour, ils ont coupés ces deux arbres. Pour en faire du bois? Pour dégager la vue sur la route? La chaleur a disparu. Mais ça n'a pas d'importance: mon chien est mort et je ne retourne jamais dans le Chablais. J'aimais pourtant, avant de rentrer, pisser dans la nuit, face aux lumières des villes et du ciel, face à la Grande Ourse.

Rêve

J'ai fait, il y a quelques jours, ou plutôt nuits, un rêve étrange qui m'a réveillé en sursaut et fait battre violemment le cœur pendant un long moment après mon réveil.

Il faisait beau. J'étais dans une grande maison au milieu d'un parc, un peu comme celle de Marie-Claire, mais elle était habitée par J. et sa famille. Ce jour-là, il était là, bien que je ne le voie pas, avec sa femme. J'avais été invité avec Pierre.

Au début du rêve, nous décidons de partir faire ensemble une promenade. Comme je suis déjà prêt, je laisse les autres aller s'équiper convenablement. J'attends, j'attends, des minutes interminables. Personne ne revient. La colère monte peu à peu. Excédé, je finis par quitter la pièce pour me retrouver à l'extérieur, dans le parc.

Maintenant, on y a installé des barrières métalliques, comme pour une compétition sportive, mais ce sont des vaches qui passent alors, tout un troupeau, passablement énervées. Je continue à avancer dans le parc et je vois bientôt G., la femme de J., et Pierre, bras dessus, bras dessous, en train de deviser joyeusement. J., lui, n'est nulle part. Alors ma colère explose. J'ai l'impression de n'exister pour personne, de n'avoir aucun intérêt, de n'être que spectateur de la vie. Et c'est à ce moment-là que les battements violents de mon cœur me réveillent.

Je ne suis pas spécialiste de l'interprétation des songes et, en plus, cela ne m'intéresse guère. Simplement, je n'aime pas ce malaise qui subsiste dans notre corps ou notre esprit après ces cauchemars. Pourtant, je préfère ça à cette sorte de trou noir qu'ont été mes nuits pendant les trois années écoulées.

Mise à jour.

Pour ceux qui suivent: toujours pas de mousse à raser Casino, mais j'ai retrouvé le pain d'épices pomme cannelle. Je préfère ça à l'inverse!

mardi 21 octobre 2008

BTP.

Un mot de l'archéologue invité ce matin par S. et moi au collège pour qu'il présente son métier aux élèves de sixième. En nous regardant bien dans les yeux tous les deux, il a, à un moment, lancé: "Nous sommes du même bâtiment!" et s'est mis à sourire.

Sans doute, monsieur l'archéologue, sans doute. Mais peut-être pas du même étage!

(Pour mieux comprendre, allez lire Tef.)

Economie de carburant.

A Ars, Jeanne d'Arc se concentre

et elle décolle!

Simplicité et ostentation.

Lorsque J. m'a proposé de finir notre périple dans le petit village d'Ars-sur-Formans, j'ai eu un instant d'hésitation.

J'ai pensé immédiatement à cette responsable de la catéchèse qui sévit dans notre collège depuis quelques années et qui est en train d'éloigner un à un les élèves de la formation religieuse par son acidité et sa froideur. Cette femme emmène chaque début d'année les élèves de sixième à Ars. Lorsque j'ai voulu savoir pourquoi elle avait choisi ce site un peu marqué aujourd'hui par son séminaire disons traditionnaliste, elle n'a rien trouvé d'autre à me répondre que la proximité avec Lyon. Lorsque j'ai évoqué Tamier ou d'autres sites presque aussi proches et ne présentant pas l'inconvénient précédent, elle s'est mise en colère. On ne peut pas discuter avec elle.

Mais J. ne lui ressemble vraiment pas, Dieu merci, et finalement j'étais assez content de revoir le village où je n'avais pas mis les pieds depuis des dizaines d'années. En cours de route, nous avons croisé, à un giratoire, une voiture remplie de quatre jeunes qui a pris le virage à une telle vitesse que j'ai cru un moment qu'elle allait se renverser, ou les pneus éclater, ou finir dans les champs. Des candidats à la mort, pour s'épater eux-mêmes sans doute, et oublier le A qui ornait leur vitre arrière.

Ars était bien tel que dans mon souvenir: la basilique supérieure, accolée à la vieille église et la crypte souterraine toute de béton brut. A l'accueil une dominicaine, des pèlerins bien sûr mais en quantité supportable, pas de cars entiers déversant leur contenu, des gens de nationalités différentes, recueillis, sincères. Il se dégageait de tout cela une forme vraie de spiritualité.

J'ai retrouvé avec plaisir la maison du saint curé, sa simplicité et sa pauvreté, et j'ai raconté à J. une anecdote de mon enfance: après avoir vu à la télévision un film consacré à Jean-Marie Vianney, où la présence du Grappin (ainsi le curé appelait-il le Malin) transpirait à chaque plan, en particulier dans l'épisode de la charrette bloquée sur le chemin, j'ai couché chez ma tante , dans un Voltaire déplié (je ne devais donc vraiment pas être vieux!), face à une armoire dont le bois travaillait et ne cessait de grincer. Pour moi, le Diable était là et je n'avais pu dormir. Une de mes plus grandes frayeurs enfantines.

Alors que nous étions dans le jardin, nous avons entendu la sirène d'alarme des pompiers. Deux coups: un accident. Nous avons tous les deux pensé à ces quatre jeunes vus peu auparavant dans le bolide sur le giratoire. Leur chemin s'était-il arrêté là, sur le bord de la route, dans cette belle lumière d'automne?

Nous sommes descendus un instant dans la pénombre de la crypte de béton, vide. J'y ai prié, parce que je m'y sentais bien, environné de chants grégoriens.

En remontant à la lumière, nous avons croisé un groupe de scouts accompagnés d'un prêtre en soutane qui se mit à les confesser un à un sur les marches d'accès à la basilique. Cela nous permit, à J. et à moi, de les observer à loisir et même de tirer quelques photos indiscrètes. Mais, en repartant, ce sont les fleurs du bord de la rue que nous avons préférées, ainsi que le regard chaud et insistant du jeune conducteur d'engin sur la place où nous étions garés. Inutiles d'essayer de nous refaire!

La rentrée sur Lyon se fit en échangeant encore. Je vous l'ai déjà dit: avec J., nous ne nous ennuyons jamais! Je l'ai quitté près de chez moi, enfourchant un rouge vélov', et, alors qu'il s'éloignait après un dernier petit signe de la main, je ne l'entendais plus mais j'ai imaginé qu'il sifflotait. Et j'ai fait, moi, de même en hommage à cette belle journée.

lundi 20 octobre 2008

Ironie du sort.

Sœur Emmanuelle est morte. Elle, la mère des pauvres, en pleine crise boursière. Léo Ferré, l'anarchiste, était parti un 14 Juillet. Ironie du sort ou signe d'évidence.
Yalla, ma sœur.

Y a du monde à la sous-préfecture.

Si vous en avez assez, vous trouverez bien une série américaine à la télé! Sinon, en route pour les nouvelles aventures de nos deux joyeux blog-trotters ou globe-trotters, comme vous voudrez!

L'après-midi, après un rapide tour de ville d'Anse ( mention spéciale au jeune homme en treillis qui retirait de l'argent à une billetterie et qui, lui aussi, nous montra ses oreilles dénudées), nous sommes descendus à Villefranche, principalement pour visiter l'église Notre-Dame-des-Marais qui borde la nationale en pleine ville.

Villefranche semble être une bourgade très animée, en tout cas le samedi. Bien sûr, c'est la sous-préfecture, mais j'en connais d'autres mortelles! Ici, la grand-rue centrale grouille littéralement de monde. Une foule bigarrée, cosmopolite, très jeune et qui donc se la "pète" un peu parfois (ah! les démarches chaloupées de certains loulous!).

Il faisait très chaud au soleil lorsque nous avons arpenté cette rue principale, en fouinant dans les cours et les traboules, à la recherche de clichés inédits. Pour ma part, j'ai finalement renoncé à photographier mon Xième escalier en colimaçon. Bien qu'assez abondamment fournie en belles maisons Renaissance, Villefranche n'a sans doute pas les moyens de Lyon, sa grande voisine, pour les mettre en valeur, ou simplement les rénover quand il en est pourtant grand temps. Mais c'est une ville qui m'a semblé agréable, bien que nous n'en ayons pas fait le tour complet, la fatigue commençant à se faire sentir.

Notre-Dame-des-Marais, que je prenais pour une cathédrale, en a l'élancement de sa nef centrale, magnifiquement lumineuse car dépourvue de vitraux colorés (sans doute suite aux dommages causés par la dernière guerre?). En logeant cette église sur la droite, par le passage de la Manécanterie, on aboutit à une belle place nouvellement rénovée, dont j'ai malheureusement oublié le nom, ornée en son centre par une agréable fontaine et traversée à une extrémité par le Morgon, la rivière presqu'entièrement couverte et ici apparente qui traverse Villefranche et qui obligea à construire l'église sur pilotis. Vous me connaissez, j'ai bien regardé: elle n'est pas rouge!

C'est l'endroit de la ville où l'on se sent bien. D'ailleurs, deux amoureux s'étaient installés sur un banc, deux jeunes gens mignons tout plein que J., avec son zoom beaucoup plus puissant que le mien, a immortalisés dans un cliché très réussi. Je suis vert de jalousie!!! Pour pouvoir ainsi saisir des visages dans leur vérité, leur humanité, je vais changer d'appareil, sans doute pendant ces vacances de Toussaint.

J'oublie sûrement des tas de choses, je ne mentionne pas tous les visages, les silhouettes dans la rue, sur lesquelles nous nous sommes retournés, ou aux fenêtres, quand nous avons levé les yeux. Le plaisir n'était pas que dans les vieilles pierres. J'espère que J., lui aussi, écrira un billet sur ce moment de la journée.
Nous avons ensuite quitté Villefranche pour non pas les petits villages fortifiés proposés au départ, mais, sur une idée de J., pour Ars, village du saint curé.

(à suivre...)

Chez Ginette, à Anse.

(Pyramides, face à l'église d'Anse)

Après avoir constaté que le restaurant que connaissait J. en bord de Saône était en travaux et de en plus relativement onéreux, nous avons poussé la Kangoo jusqu'à Anse, castrum romain près d'un gué sur la rivière qui joua un grand rôle lors de l'avancée de César à la conquête de la Gaule. Coup d'oeil par ci, jetée de paupières par là: rien ne nous enchantait. Soit le menu ne nous convenait pas (des concombres!), soit c'était le cadre qui s'apparentait davantage à une chambre froide pour grands quartiers de boeufs à détailler.

Un instant, nous avons l'un et l'autre rêvé d'être invités par un monsieur plein de charme qui garait sa voiture en nous regardant, intrigué. Pour le rassurer (hum,hum!), je lui ai lancé un joyeux bonjour assorti d'un sourire des grands jours. Il m'a rendu tout ceci mais n'en a pas moins disparu chez lui avec son charme et ses gâteaux.

Finalement, c'est Ginette qui eut la préférence. Plusieurs raisons à cela: un commercial, ma foi croquable, qui en sortait et aurait eu du mal à passer pour un tombeur de dames, un menu appétissant et dans nos prix et enfin une tablée de pompiers, une quinzaine de mâles accompagnés d'une seule femme, qui mettaient joyeuse ambiance. L'intérieur comportait une salle de café assez spacieuse et une de restaurant plus petite où l'on nous installa, coincés tout contre les pompiers.

Bon, d'accord, je vais préciser tout de suite, car je sens que vous êtes fébriles et que vous allez m'insulter si je vous parle d'abord du menu. Aucun de ses vigiles du feu ne pouvait réellement nous embraser, J. et moi: des hommes de tous âges mais au physique assez banal, sauf le regard de l'un d'eux que j'avais la chance de bien voir de ma place.

De l'autre côté d'une petite murette intérieure rouge vif ne tardèrent pas à arriver cinq hommes avec dossiers immobiliers en main, dessins de géomètres, plans divers, photos des travaux et, accaparés par leur discussion technique, ils ne remarquèrent pas que tous les deux, nous n'avions d'yeux que pour ceux du plus jeune, de magnifiques yeux verts ombrés de longs cils recourbés. J. et moi étions d'accord: de loin le plus beau spécimen de la race masculine dans la salle.

Quoique, quoique... J'avais aussi dans ma ligne de mire un autre homme, un ouvrier accoudé au bar, dont le torse sous sa polaire semblait promettre de bien beaux voyages entre monts et forêts, dont les yeux clairs étaient brillants et rieurs et dont les oreilles, ah! les oreilles, me firent un effet à peu près similaire à celles de Cary Grant dans La Mort aux Trousses: des oreilles que l'on a immédiatement envie de toucher, d'embrasser, de lécher, de contourner avec la langue, de mordiller, d'explorer.... des oreilles un peu décollées comme je les aime chez des gens aux cheveux courts (non, ce n'est pas du nombrilisme, je n'ai jamais fantasmé sur mes propres oreilles!). J. n'a pas pu en profiter et me donner son avis car "il bello" est sorti par une autre porte au fond du café.

Alors, le menu? D'abord un buffet de salades et crudités typiquement lyonnaises, abondant et excellent, qui faillit me couper l'appétit pour la suite. En plat de résistance, nous avions le choix entre navarin d'agneau et chili con carne, que la petite employée s'obstinait à prononcer chili con cornée, m'évoquant immédiatement des orbites globulaires à la place des gros haricots secs. En bons camarades, nous avons décidé de partager les deux, et les deux étaient excellents comme le fromage blanc nature et la part de gâteau à la noix de coco accompagné d'une boule de vanille qui terminèrent avec un café ce repas simple mais bon et généreux.

Bonne et généreuse, elle l'était aussi sans doute, Ginette, l'agréable grand-mère qui tenait ce restaurant, aidée par sa belle-fille aux fourneaux, que nous eûmes aussi le bonheur de voir dans la salle. Deux femmes du peuple,on dirait "deux mères" à Lyon, qui nourrissent les autres dans la joie et la simplicité, sans "en faire un plat", et qui seraient sans doute toutes surprises si on leur disait qu'elles font un des métiers les plus respectables du monde.

Quand nous sommes ressortis, il faisait froid mais le soleil avait définitivement gagné la partie, dans le ciel et aussi à l'intérieur. Nous venions de partager un bon repas, échangeant sur tout et n'importe quoi, nous coupant la parole, revenant au premier sujet, dans un grand bien-être. Si vous voulez connaître ça, allez Chez Ginette, à Anse, sur la N6. En descendant du nord, c'est le dernier restaurant à droite avant le pont. Bon appétit!
PS: pour confirmation du plaisir ressenti, allez voir chez Jahovil. Lui aussi a parlé de Ginette! En plus, il y a des photos!

(à suivre...)

dimanche 19 octobre 2008

Journée détente.

Samedi, c'était balade, toute la journée avec J. Occasion rare, d'autant plus appréciée.
9h30 chez moi. Un petit café pour démarrer, il paraît que je le fais bon. Dehors, il fait frisquet mais la journée s'annonce ensoleillée. Peut-être aurons-nous le même temps que l'an dernier, lors de notre escapade en Bourgogne.

Après avoir assisté au tournage d'une scène de cinéma ou de téléfilm au pont de la Guillotière, nous prenons la direction du nord, par le Val de Saône. J. se laisse conduire et commence à mitrailler le paysage qui sort à peine des brumes matinales. Sur la rivière, de nombreuses embarcations: l'aviron s'y pratique et compte beaucoup de clubs le long des berges. C'est pour moi l'occasion d'apprendre que J. s'y est essayé il y a de nombreuses années. Ce J.! Toujours à ménager des surprises!


Nous sommes tous les deux d'excellente humeur. La journée s'annonce bien. J'avais proposé la visite de Trévoux puis celle de Villefranche et de quelques petits villages fortifiés en redescendant sur Lyon. Nous nous garons au pied des terrasses de l'ancienne capitale de la Dombes et commençons la visite par les bords de Saône. Là encore, j'apprends un petit bout inédit de l'enfance de J. J'aime bien ces échappées sur le passé de quelqu'un auquel je tiens, comme de minuscules morceaux d'un puzzle qui ne sera jamais complet.

Sur le pont enjambant la Saône, belle vue sur un sportif local, arrêté dans son effort par son portable intempestif. A la maison du tourisme, sur le quai, nous avons la chance d'être accueilli par un jeune homme à la fois charmant et compétant qui (pourquoi?) se met peu à peu à rougir au cours de l'entretien. Peut-être a-t-il senti tous les non-dits de la situation.

Un coup d'œil sur la tour à lanternon de l'hôpital fondé par la Grande Mademoiselle en 1686 et nous commençons à grimper dans les rues en pente des vieux quartiers. La ville possède un certain nombre de bâtiments intéressants, hélas pas tous très bien entretenus. Le nom des rues rappellent souvent leur rôle économique d'autrefois, même si la rue Juiverie s'appelle aujourd'hui rue de l'Hôpital. Un peu plus loin sur la terrasse où s'étage la ville, nous côtoyons de nombreux hôtels particuliers, de Beauséjour, de Messimy, de Fontbleins, la place de la Terrasse, celle de l'église où se tient le marché de fin de semaine, des rues pittoresques, comme la rue Casse-Cou qui mérite bien son nom.

L'église où, me semble-t-il, le curé d'Ars a un moment officié, ne présente guère d'intérêt artistique. Nous n'entrerons pas non plus dans l'Hôtel du Gouvernement ni dans le parlement de Dombes. Tous ces monuments ne semblent pas accueillir de visiteurs. Un coup d'œil lointain au château-fort qui domine l'ensemble, mais nous n'aurons pas le courage de monter jusque là-haut. Il est plus de midi. Les rues se vident à une allure impressionnante. Il faut songer à déjeuner, si nous ne voulons pas rester affamés: nous ne sommes pas à Lyon, ici!

(a suivre ...)