jeudi 29 novembre 2007

(Petits et Grand) Plaisirs du jour

- Réveil à 4h30, mais aucune angoisse, bien dans mon lit, au chaud sous la couverture. Réfléchi, divagué jusqu'à 6h.

- Premier cours: un élève de troisième, plutôt solitaire mais que j'aime beaucoup, fait le même jeu de mots au même moment que moi, et nous éclatons tous les deux de rire, complices. Encore un disciple de mon humour à la con! Il faut qu'un prof ait toujours à l'esprit l'immense pouvoir qu'il détient vis à vis de ses élèves, l'influence énorme qu'il exerce, malgré lui parfois, sur la formation de leur personnalité. Ne pas en avoir conscience est un crime.

- A midi, J. , évidemment. Ma tarte était bonne.

- Après-midi, course à pied et deux satisfactions:
a) suivi pendant assez longtemps un short cachant mal un cul splendide et dévoilant des jambes juste musclées et poilues, sans trop, comme je les aime .
b) battu mon record personnel: trois tours de parc (soit environ 12 kms) en 53 minutes. Je voudrais courir le semi-marathon de Lyon l'an prochain. Pour quelqu'un qui haïssait le sport il y a seulement trois ans...

Bonne journée, donc, au total (mais qui cela peut-il intéresser, à part moi?) .

Lectures

A midi, j'ai demandé à J. comment faire apparaître dans la colonne de droite de ce blog mes lectures favorites, les romans ou ouvrages que j'ai aimés.

Une fois la mise en page modifiée, il voulait, pour la sauvegarder, inscrire au moins un titre. Et là, je suis resté la bouche ouverte, incapable de rien citer. Hormis le fait que je n'avais pas la tête à la littérature à ce moment-là, je crois que je suis resté coi parce qu'il n'est vraiment pas facile de répondre instantanément.

Je lis une cinquante d'ouvrages par an, romans, récits, biographies, journaux intimes. Certains laissent une impression durable, d'autres passent immédiatement à la trappe de la mémoire ( à tel point que je dois automatiquement, une fois la lecture terminée, marquer le livre de mon ex-libris, preuve irréfutable que je l'ai lu.)

La relation que j'établis avec un livre n'est pas seulement en rapport avec son contenu, abstraite : elle passe avant tout, au départ, par l'objet-livre lui-même. Je le regarde, je le pèse, je le palpe, je le sens (de moins en moins car les livres ont aujourd'hui à peu près tous la même odeur, pas vraiment agréable.), je le feuillette, je lis quelques phrases au hasard et je l'achète ou pas (précision:toujours en collection de poche, sinon je me ruinerais).

Ainsi, mon choix est assez éclectique, et rarement en rapport avec l'actualité ou la mode littéraire, puisque je ne lis aucune critique capable de m'influencer. J'ai parfois de mauvaises surprises mais, la plupart du temps, je ne regrette pas mes achats. Une fois un auteur découvert et apprécié , il m'arrive d'acquérir la totalité de son oeuvre, et d'attendre avec impatience la prochaine livraison.

Je suis aussi très superstitieux sur un point: j'ai horreur de finir un ouvrage qui m'a plu, c'est un peu, toutes proportions gardées, comme si un de mes amis mourait. Alors, au lieu de le refermer tranquillement et de rêver ou de réfléchir à ce que je viens de lire, je me précipite sur le suivant, déjà choisi et déposé sur la table de nuit, et l'attaque immédiatement. Ainsi, je ne suis jamais le "cul entre deux livres"!

J'ai toujours en attente une trentaine d'ouvrages, certains récemment achetés, d'autres patientant depuis plusieurs années parce que le feeling n'y est plus avec eux. Lorsqu'il s'agit de choisir celui qui va m'accompagner au lit pendant quelques jours, cela ressemble parfois à une danse de séduction amoureuse: je me transforme en prince oriental visitant son harem pour une chaude soirée sensuelle ( mais mon harem à moi ne comporte que des mâles, on l'aura compris.)
Il m'arrive de commencer la joute érotique et puis d'abandonner l'élu, parce qu'il ne ne convient plus, pardon: parce qu'il ne m'excite plus, ayant été trompé sur la marchandise, ou envie finalement d'autre chose, exactement comme dans la vraie vie érotique.

Alors, avant de remplir la rubrique Mes lectures, il va falloir que je réfléchisse un peu: dernières lectures, par ordre chronologique, ou lectures préférées, par ordre alphabétique? Peut-être les deux systèmes mêlés. Il va falloir aussi que j'aille faire un tour dans mes bibliothèques, que je déplace les ouvrages empilés parfois sur trois rangs, pour les retoucher, reprendre contact avec leur "peau" et être sûr que je n'oublie pas là-bas, tout au fond du rayon, ce petit livre de rien du tout, qui fit que plusieurs de mes nuits furent belles, très belles.

mercredi 28 novembre 2007

Un goût de "revenez-y".

J'ai emmené ma mère ce matin dans une clinique de Lyon pour un scanner cérébral: le neurologue qui suit sa maladie de Parkison avait peur que ces dernières chutes, dont deux plus violentes, ne lui aient endommagé quelque chose.
Heureusement, depuis une dizaine de jours, suite à un changement et à un allégement de son traitement, elle va bien. Nous sommes donc partis tranquillement et tout s'est bien passé de A à Z.
En fait, c'était moi, le moins bien. Je refaisais en pensée et en réalité le même parcours maintes fois emprunté pour les examens, hospitalisations ou chimios de mon père. Je n'étais pas passé par là depuis le mois d'avril. Rien n'a changé, sauf que mon père n'est plus là.
J'ai revu la salle d'attente où nous nous étions "installés", en plein courant d'air, le jour où il devait rencontrer le chirurgien, le jour où il m'a paru tout à coup si fragile, le jour où j'ai compris que c'était moi, le grand maintenant.
J'ai revu ces carrelages aseptisés, ces secrétaires bavardes et joyeuses (heureusement pour elles), ces portes qui s'ouvrent et se ferment sur des lieux inconnus, laissant apparaître un homme, plus rarement une femme, en blouse blanche savamment ouverte sur une abondante pilosité brune, ou la tête couronnée d'une tout aussi abondante chevelure poivre et sel légèrement ondulée servant d'écrin à de petites lunettes cerclées d'or.
Toutes ces apparitions ont le regard sévère et la mine absorbée de ceux "qui savent", et parfois, alors que les circonstances ne s'y prêtent pas, on se surprend à en trouver un beau, à le désirer, à imaginer. Quelque chose de vivant dans cette antichambre de la mort.
Alors, bien vite, on se détourne, on repose les yeux pour la centième fois sur cet homme assis en face de vous, un bonnet sur la tête pour masquer les ravages de son traitement, et qui ne regarde rien, que ses pieds, ou sur cette femme épuisée qui attend les résultats des analyses de son fils, en ressassant dans sa tête tout ce qui lui reste encore à faire aujourd'hui, ou sur cet homme aux cheveux blancs qui regarde un autre homme dans un miroir, les yeux vides, ailleurs et qui finit par se rendre compte que cet homme, c'est lui-même, c'est moi.
Et puis, la mère revient, dans son fauteuil roulant poussé par une gentille infirmière à la blouse bien fermée et à la coiffure un peu trop sage, le docteur l'accompagne ( bon point: il pourrait passer inaperçu, celui-ci: pas de lunettes à monture d'or, pas de torse inpudiquement exposé, rien qu'un vieux col roulé comme je les aime) et vous annonce que tout va bien, que la mère est très solide, que vous pouvez rentrer manger tranquillement.
Alors, vous vous apercevez que la vie est belle, qu'il y a du soleil dehors, qu'il fait froid mais sec, que c'est un temps idéal pour courir, et que, si ce n'est pas pour aujourd'hui, faute de temps, ce sera pour demain. Et vous vous sentez comme en vacances.

C'est parti

Et ça m'exaspère déjà comme chaque année. Je devrais avoir l'habitude, c'est toujours pareil. Les bugnes arrivent un mois ou deux avant le carnaval, les cartables sont déjà installés dans les grands magasins début juillet (alors que je ne rêve que d'une chose: ne plus en voir un seul pendant quelque temps.), les chrysanthèmes sont presque fanés chez les fleuristes au 1er novembre.
Et maintenant, c'est Noël qui pointe son nez. Mais on ne donne pas dans le petit nez fin de la musaraigne ou du mulot, c'est le bon gros mufle , des rennes du Père Noël sans doute, le groin baveux qui étale ses sécrétions, qui s'impose, qui vous pousse là où il veut vous mener:
- Allez, consomme, consomme, c'est Noël, c'est la fête pour tous.
Pour tous, mon cul! Et je suis fou quand je pense que ce sont souvent les familles les moins aisées qui dépensent le plus pour leurs enfants (mes parents étaient commerçants à une époque, j'en sais quelque chose!). Pour se faire pardonner quoi? D'être pauvres? En plus, on achète des merdes qui finiront à la décharge quelques jours plus tard. Sans parler de ces tonnes de nourriture, huîtres, foies gras, saumons, chapons et de boissons, champagnes, vins fins, liqueurs, ingurgités en quelques jours PARCE QUE C'EST NOEL.
Mais, bon Dieu, Noël est une fête RELIGIEUSE, c'est la naissance du Christ, pas la Saint-Intestin! On est croyant ou on ne l'est pas, peu importe, mais il ne faut pas tout mélanger.
Je déteste cette période de fin d'année, sans doute parce qu'elle me rappelle trop Yvon, et voilà qu'on me la rallonge d'un mois.
Pendant tout ce temps, il faudra être joyeux, léger, dépensier, inconséquent, parce que C'EST NOËL. Il faudra se casser la tête pour dénicher LE cadeau, sans se demander si l'on veut faire plaisir à l'autre ou si c'est d'abord à soi qu'on pense. Il faudra faire la queue devant les présentoirs, faire la queue devant les caisses, faire la queue pour les paquets cadeaux, faire (cuire) la queue de langouste.
Pour moi, non merci. Il y a longtemps que je ne sacrifie plus à ce rite païen du n'importe quoi pourvu que ça se mange et que ça s'achète. J'essaie peu à peu de me réconcilier avec la foi de mon enfance, et je la veux dépouillée et joyeuse, pas pesante et encombrée du bide.
Je comprends que l'on fête ce jour, mais alors faisons-le simplement et arrêtons de décorer, mi novembre, toutes les rues de guirlandes multicolores, tous les commerces de sapins givrés et de boules d'or ou d'argent, toutes les pub télé de musique mièvre et sirupeuse.
Tiens, une idée: et si Noël, c'était l'occasion de passer un moment sympathique avec tous les voisins de son immeuble et de son quartier au lieu de s'enfermer dans son cercle restreint de famille ou d'amis, si c'était l'occasion de vivre quelque chose de tendre en commun? Mais j'oubliais: il y a la messe "de minuit" pour ça. Après, bonjour les mandibules et les gosiers en pente!
En me relisant, je me rends compte que je suis sans doute injuste envers de nombreuses familles ou personnes qui vivent Noël autrement que ce que je viens d'en dire. Mais il faut bien que ça sorte, de temps en temps.

mardi 27 novembre 2007

Bis repetita

Soirée sablier parents 5°.
Six minutes par parent , 22 parents inscrits, 20 présents. J'avais quelques appréhensions en arrivant car je malmène un peu leur charmante progéniture, peu encline ces derniers temps à travailler correctement.
Eh bien, j'avais tort de me préparer au combat: ils ont tous l'air, à une exception près, d'aimer comme je traite leurs rejetons. Le fait de les obliger le plus souvent à réfléchir en dehors des sentiers battus et des schémas tout faits leur parait excellent pour les préparer peu à peu aux exigences du lycée.
Tant mieux, même si ce n'est pas mon but premier. Je vise simplement à les rendre autonomes dans leurs avis, responsables de leur opinion et critiques face à ce qu'on leur assène d'un peu partout à la fois. A en faire des presqu'adultes acceptables.
Comme pour celui de sixième, je sors de ce sablier content des parents.

Ce soir, je suis fatigué mais bien, vraiment très bien, et, sablier mis à part, je sais pourquoi.

Cerisiers (bis)

J. , qui me lit attentivement, me fait remarquer avec beaucoup de tact une contradiction dans Cerisiers du 26/11.
Je dis que je suis heureux d'avoir jeté le froc de prof aux orties et termine en clamant qu'il y a des jours où l'on est content d'être prof. En fait, la contradiction n'est qu'apparente, mais je suis allé trop vite pour être clair et J. a raison de pointer ce passage.
Je suis effectivement heureux de jeter le froc de prof aux orties quand ce froc ne recouvre que recettes usées, rabâchages stériles et plaintes incessantes sur le niveau des élèves et l'incurie de l'administration (de même que j'ai été heureux de parvenir, en écrivant ce blog dans mon propre style, à jeter aux orties mon froc de bon élève et d'étudiant en lettres un peu demeuré.)
Mais lorsque je vois mes efforts parvenir à des résultats, les idées que j'ai tenir bon face à la pratique et surtout, surtout, des élèves heureux de travailler autrement, ne croulant pas sous l'ennui et progressant, alors oui, je suis très content (j'aurais pu dire fier) d'être prof.
Quant à l'abus de parenthèses (même toutes refermées) , J. a encore raison : je me suis fait la même remarque hier. Je vais faire un effort, promis.

lundi 26 novembre 2007

Cerisiers

Je n'ai pas parlé depuis longtemps de mon atelier écriture.
Les seize élèves de cinquième (douze ans) qui le composent sont toujours là et se sont pris au jeu. Les textes qu'ils produisent sont de plus en plus intéressants et de plus en plus longs, sans qu'il soit besoin de le leur demander.
En début de séance, ils sont tous assis autour d'une grande table à la bibliothèque du collège. La documentaliste et moi nous plaçons derrière eux, assis également. A tour de rôle, ils lisent à voix haute leur production de la semaine(sur des thèmes imposés). Les autres écoutent en silence, puis apportent leurs commentaires: "moi, j'aime quand...", "je n'ai pas compris le passage...", "il y a des répétitions...", "pourquoi tu finis comme ça?".... Jamais cela n'est fait de façon agressive ou moqueuse. La critique est constructive (ce qui n'empêche pas, de temps en temps de véritables fous-rires, devant la naïveté ou le double sens de certains passages.).
Puis ils s'isolent pour retravailler leur production, consulter des dictionnaires (alléluia: c'est même eux qui me les ont réclamés!), des encyclopédies et tout ce qui leur est nécessaire.
Ce que j'apprécie, c'est qu'ils sont toujours à l'heure, arrivant même parfois avant moi et s'installant seuls, c'est qu'ils osent dire leurs textes, eux les préadolescents devant d'autres préadolescents, c'est qu'ils s'écoutent et respectent la parole de l'autre (et ce n'était pas gagné d'emblée, si l'on considère leurs différences et le fossé qui les sépare parfois).
Bien sûr, l'intérêt de leurs écrits est très variable selon les individus: certains restent accrochés à leur pratique scolaire, à leur univers douillet où les petits chats perdus sont toujours retrouvés et où l'on a toujours une excellente amie dévouée et fidèle ( la petite fée marraine a tout de même disparu, rangée au grenier dans la malle des objets obsolètes).
Mais d'autres ont déjà lâché la barre et nagent en eau profonde, abordant (sans même le savoir, bien sûr) ce qui constitue ou va constituer leur être intime bientôt. Chez deux d'entre eux, j'ai cru repérer l'ébauche d'un style personnel (impression confirmée par la documentaliste).
Je croyais avoir de la peine à remplir cette heure sur toute la durée de l'année scolaire: en fait la matière, c'est eux qui l'apporte. Je me contente de guider, redresser parfois, mais jamais comme un professeur de français (et je suis assez content d'avoir pu à cette occasion jeter ce froc aux orties!).
D'ailleurs, pour l'instant, je ne lis jamais leurs textes: tout passe par l'oral et tant mieux: je ne pourrais pas ne pas accrocher sur leurs fautes d'orthographe par dizaines. Petit à petit, pourtant, j'oriente vers les corrections de phrases tordues ou l'emploi d'un vocabulaire plus précis ou plus "léger". Ils commencent eux-mêmes à en ressentir le besoin.
Aujourd'hui, par hasard, j'ai eu deux textes sur les cerisiers, l'un d'un garçon, l'autre d'une fille. J'ai immédiatement tendu un peu plus l'oreille, ne pouvant éviter le souvenir d'un tel texte lu chez Kawabata.
Le garçon évoquait l'arbre à travers les saisons, en faisant une description presque clinique, sans jamais noter une sensation personnelle. La fille, dans un texte plus onirique, parlait de l'arbre sous le vent, évoquant magnifiquement le tourbillon de ses pétales arrachés, parlant de ces fleurs qui " s'éteignent" (le mot est d'elle) au pied des épis de blé du champ voisin.
Nous avons écouté les deux, et après, il y a eu un moment de silence. Magnifique. Il y a des jours où l'on est content d'être prof!

dimanche 25 novembre 2007

Mémoire

Querelle citait dans son blog, à la date du 19/11/07, un extrait de L'Enfant des Limbes, de Jean-Bertrand Pontalis, philosophe, psychanalyste et écrivain français né en 1924. Extrait concernant la mémoire. Cette citation m'a tellement plu que je me permets de la reproduire presque telle quelle ici:
"...ma mémoire n'est pas un dossier bien classé et (...) ses défaillances laissent le champ libre à une autre mémoire et celle-là opère des rapprochements inattendus. (...) des visages multiples se recomposent en un seul qui emprunte des traits à chacun d'eux; des histoires s'entremêlent, des émotions apparemment opposées- angoisse et jubilation- gagnent en s'unissant une particulière intensité (...). Une mémoire qui s'apparente à la fiction (...), qui est proche du rêve, une mémoire qui, ne fixant rien, aurait la mobilité des nuages et qui, ennemie du flou, aurait la précision d'une planche d'architecture. Une mémoire où se conjuguent le figuratif et l'abstrait."
L'Enfant des Limbes, de J-B. Pontalis, Gallimard 1998.

Je crois que cela traduit bien ce que j'ai plusieurs fois voulu dire en parlant d'impressionnisme dans mon fonctionnement d'affect. Le souvenir en tant qu'image est précis, figuratif, presque hyperréaliste, son espace et son temps sont totalement flous, voire inexacts.

J'ai parlé de mon premier souvenir avec Yvon: la mort d'un de nos voisins et la remarque d'Yvon à ce moment-là. J'ai situé ce souvenir vers nos 4 ou 5 ans. Aujourd'hui, après réflexion, je pense que nous devions plutôt avoir autour de 8 ou 9 ans. Mais je sais absolument l'endroit où nous nous trouvions, la pierre de seuil sur laquelle nous étions assis, le temps qu'il faisait.

Autre exemple. J'ai un jour évoqué devant Pierre une image qui revenait souvent dans mes pensées, et que je trouvais particulièrement belle et agréable: je voyais une longue route inondée de soleil, marquée de loin en loin par l'ombre rare d'un grand arbre desséché, un espace où des voitures étaient garées dans la poussière de la terre pulvérulente, une auberge dont l'immense salle à manger réconfortait par sa relative fraîcheur, et la surprise de découvrir, pendue à une poutre du plafond bas, une cage à oiseaux occupée par un magnifique perroquet. J'étais presque sûr d'avoir vécu ce souvenir, de ne pas l'avoir rêvé ou fabriqué de toutes pièces. Mais où et quand l'avais-je vécu? Pierre répondit immédiatement à ces deux questions (Sicile, au cours d'un de nos voyages des années 70 ou 80, à nouveau je ne me souviens plus) . Comme d'habitude, j'avais l'image, il avait les coordonnées.

Cette conception de Pontalis transposée de la mémoire à l'écriture (autobiographie ou carnet intime) ouvre des pistes intéressantes et relance le débat de la sincérité (cher Rousseau!), ou plutôt le déplace totalement puisque cette mémoire qui aurait "la mobilité des nuages" et " la précision d'une planche d'architecture" est bel et bien sincère.
Mais alors, me rétorquera-t-on, comment puis-je nous voir, Yvon et moi assis sur la pierre de ce seuil et présenter cette image comme un souvenir "réel" alors que je n'ai jamais pu "voir" cette scène, en étant moi-même un des protagonistes et mes yeux ne pouvant en percevoir qu'une partie, c'est-à-dire uniquement ce qui se trouvait devant eux? Il s'agit donc d'un souvenir à la fois réel et fabriqué, où se mêlent, s'interpénètrent réalité et fiction.
Je crois que c'est justement ce qui me plaît dans les blogs, le type de blogs en tous cas que je lis: la "confession" ( j'emprunte le mot à Rousseau, encore) est réalité (du moins on peut le supposer), l'auteur est pure fiction ( à une exception près), dans la mesure où je n'ai que très peu essayé et je n'ai que très peu envie ( Thom mis à part) jusqu'à aujourd'hui, d'en savoir plus sur eux. Ce no man's land me va bien, me satisfait, davantage même que la pure fiction (romans) en ce moment.

Autre soirée, autres moeurs

Très agréable soirée, cette fois-ci. La fille du copain de régiment (si,si!) de Pierre et son mari sont venus s'exposer aux dangers de mes expériences culinaires. Nouvel essai, nouvelle réussite, mais avec plus d'angoisse, cette fois-ci: je ne savais pas que la cuisson des champignons rendait autant d'eau.
D. et F. ont environ trente-cinq ans: elle est prof d'anglais à l'université, lui est dans la science (mais comme chaque fois, dans ce domaine, j'ai du mal à retenir en quoi consiste exactement le métier.). Ils sont charmants, au sens propre comme au figuré, sont visiblement très amoureux l'un de l'autre, mais n'oublient pour autant le reste de la terre qui les entoure.
Conversation débridée sur la littérature (française, anglaise, américaine du nord et du sud), sur le cinéma, la cuisine, l'installation de leur appartement (à cinq minutes à pied du mien) etc.
A un moment, ils me confient qu'il se sont rencontrés sur Internet: elle y était inscrite depuis trois semaines, lui un jour. Ils sont tombés amoureux en tapant sur le clavier. Ils se sont vus pour la première fois à Paris au bout d'une semaine, tremblant de ce qu'ils allaient découvrir. Banco: ils sont tombés amoureux une seconde fois, comme l'a dit D.
Et dire qu'il y en a pour ne pas croire au conte de fées!
Des projets avec eux, cinéma et sport en particulier. Nous verrons, mais je ne dis pas tout à fait non, ne serait-ce que pour voir d'un peu plus près à quoi ressemble D. en short de sport (mais pas touche, bien entendu!)

Interdit de mourir

Entendu dans la journée à la radio (france-inter):
Le maire de Cugnaux (Haute-Garonne) a promulgué un édit interdisant de mourir sur sa commune sous peine de poursuites. En effet le cimetière de la localité est archi-plein et ne peut plus accueillir la soixantaine de personnes mourant annuellement sur place.
Un seul terrain communal pourrait convenir à l'installation d'un nouveau cimetière, mais le ministère des armées bloque: trop près d'un site militaire. Cette même armée avait pourtant permis il y a quelques années l'installation sur ce même site d'une décharge de pneumatiques, dont les habitants ont mis des mois à se débarrasser.
Bravo, Monsieur le Maire pour votre humour décallé. Serait-ce le retour de la Gauloise Touch?

samedi 24 novembre 2007

Barbara

Je suis allé cet après-midi dans un tabac-presse acheter le Hors-Série du magazine Télérama consacré à Barbara à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort. (Mon Dieu, que cette phrase est longue! J'espère au moins qu'elle est claire!).
Comme tous les commerces de mon quartier ferment le samedi après-midi, je suis descendu à pied jusqu'au carrefour Saxe-Gambetta, sûr d'y trouver ce que je voulais.
Effectivement, ils avaient le Hors-Série, mais c'était le dernier. Coup de chance pour moi.
Le commerce est tenu par deux jeunes hommes que je n'y avais jamais vus. Les nouveaux propriétaires? Tous deux fort juvéniles, pas plus de 25 ans, il me semble, et tous deux sans aucun doute homos.
Alors qu'il me rendait ma monnaie, celui qui m'avait servi me demanda avec un gentil sourire.
- Qu'est-ce que c'est , Barbara? C'est la marque?
J'avoue ne pas savoir de quelle marque il me parlait. Tout aussi gentiment et avec mon plus beau sourire, je lui répondis:
- Barbara, la chanteuse, morte il y a dix ans.
- C'est bien? Je ne la connais pas. Peut-être, en entendant une de ces chansons...
- C'est une des passions de ma vie, et je suis sûr qu'elle vous plairait aussi.
J'aurais pu lui proposer de venir en écouter quelques extraits à la maison, mais bon, il avait du travail, et moi, je reçois encore ce soir. Dommage.
La fin de la conversation fut rapide (il y avait beaucoup de monde derrière moi, à attendre), mais tout aussi charmante.
Je crois que je retournerai me servir dans ce commerce, ne serait-ce que parce qu'il est IMPOSSIBLE qu'un homo qui se respecte ne connaisse pas Barbara. Ma fibre éducative est toute prête à vibrer. Peut-être n'est-elle pas la seule chose à avoir tressailli devant ce beau commerçant...

Que sont mes amis devenus?

Ce soir, j'avais invité un très vieil ami de Pierre, qu'il avait connu à son travail, en 70 environ. Il est venu accompagné de son compagnon de longue date.
Je ne les avais pas vus depuis assez longtemps et devais les inviter depuis plus longtemps encore. Mais je ne pouvais m'y résoudre. Ils sont très gentils, certes, mais totalement transparents, prévisibles, formatés, conventionnels: rien ne dépasse, chaque mot est pesé ou presque.
Eh bien, voilà: ils sortent d'ici, et je n'ai pas changé d'avis. Nous avons échangé, mais des banalités, rien où l'on sente le frémissement d'une relation plus profonde. N. ne veut peiner personne, donc est pratiquement toujours du même avis que vous; Jo., lui, s'affirme davantage, mais tellement que le dialogue est pratiquement impossible.
Nous avons donc passé une soirée "délicieusement ennuyeuse" et totalement inutile, si ce n'est pour que cette relation ne tombe pas totalement dans le néant. Je pense qu'une périodicité de deux ans pour ces repas fera parfaitement l'affaire.
Un seul point vraiment positif: je progresse en cuisine. Sans me vanter, mon gratin de navets était très bon, et j'ai pour la deuxième fois bien réussi le filet-mignon de porc à la crème et curry.

jeudi 22 novembre 2007

Dies merdae

(Journée de merde, en français dans le texte)
Il y a des jours comme çà où tout foire. Aujourd'hui a été assez exceptionnel dans cet ordre d'idées.
1°) Réveiller par une forte pluie au milieu de la nuit. Ensuite somnolence. Pas de quoi se reposer.
2°) Élèves amorphes, n'ayant pas fait leur travail (et, pour certains,ne le disant pas, ce que je ne supporte pas), répondant n'importe quoi à mes questions. Résultat: cinq punitions la première heure. J'ai sûrement battu mon record personnel.
3°) Impossible de se garer à midi dans mon quartier ( pluie+ grève). J. non plus ne trouvait pas de place. Tout ce temps perdu à s'énerver.
4°) Ma voiture. Depuis quelques temps, des voyants rouges s'allumaient régulièrement un peu partout sur le tableau de bord. Vu l'âge de mon véhicule, je pensais à des faux contacts. Après vérification, je n'avais plus une goutte d'huile. Il a fallu trouver où en acheter dans le quartier, et en remettre dans le moteur. Vérification, achat et remplissage: 1 heure environ, tout çà sous une pluie battante. On aurait dit que j'avais pris une douche tout habillé.
5°) Comme je reçois des amis demain soir, j'ai voulu commencer à faire cuire les légumes. Plus de gaz: bouteille vide. Je cours à la station essence toute proche (sous la pluie) où je m'approvisionne d'habitude: plus de recharge jusqu'à demain matin.
6°) 1/2 heure pour me rendre chez ma mère (sous la pluie et dans les bouchons) au lieu de cinq minutes ordinairement. Une nouvelle à l'accueil de la clinique: même pas bonjour.
7°) Retour chez moi vers 20h. Toujours pas plus de place pour se garer.

Ça fait beaucoup, non!

Mais j'ai dit hier que j'étais zen. Alors essayons de positiver. Ne pas se coucher sur cette impression de merde.
1°) Il y avait longtemps que je voulais sévir dans le groupe des punis de ce matin. Voilà une bonne chose de faite. En général, avec les élèves, une fois les pendules remises à l'heure fermement, tout va beaucoup mieux.
2°) Le temps passé avec J. a été singulièrement raccourci, et nous étions tous deux un peu tendus. Mais il a transféré de ses photos sur mon PC et surtout a commencé à me dire son histoire. Au fait, J.: tu as toi aussi le droit de me dire "Tais-toi." si je t'interromps, surtout si pour me faire taire, tu colles ta bouche à la mienne.
3°) Ma voiture a encore une fois résisté à tous les mauvais traitements que je lui inflige.
4°) Pendant la réparation, le brocanteur d'en face est venu me donner conseils et soutien (+ de l'eau et du savon à la fin pour me laver les mains.)
5°) Je préfère que ma bouteille de gaz m'ait lâché aujourd'hui que demain en plein soirée.
6°) Depuis très longtemps, je n'avais pas trouvé ma mère aussi sereine et équilibrée. Tout ce qu'elle disait avait un sens, elle faisait des projets et, à aucun moment, n'a fait preuve de méchanceté. C'est elle qui a fini par apaiser chez moi toute cette tension de la journée.
Encore deux précisions: il pleut toujours, sans discontinuer, et Maurice Béjar est mort aujourd'hui en Suisse

mercredi 21 novembre 2007

Passez-moi le sel!

K. n'en revenait pas hier soir: par hasard, elle a lu dans ma cuisine des petits bouts de papiers où j'avais inscrit des menus. Cette semaine, trois à midi, deux le soir! Il y a quelques mois, cela aurait relevé de la pure science-fiction. La simple idée de faire à manger pour plus d'une personne (moi-même, et encore) me fatiguait déjà.
Merci, J., de m'avoir fait retrouver le sel, pas seulement dans la cuisine .

Etat de grâce

Ce matin, dans le cadre de notre innovation pédagogique, je devais faire un cours en tandem avec une professeur d'Arts Plastiques.
Aucun stress sur cette matière: j'aime l'art, en particulier la peinture. Le mal-être venait de la collègue. A elle seule, elle ferait angoisser un troupeau de veaux marins (animaux dont je soupçonne, vue leur inertie, qu'ils ne souffrent pas de dépression! Et pardon pour les veaux en cours de psychanalyse...).
En deux jours, elle n'a cessé de m'assaillir, en direct verbalement, au téléphone, par courriers électroniques, tout cela pour des broutilles, pour se rassurer sur des détails. Je dois être zen en ce moment: j'ai tout supporter stoïquement, j'ai même parfois réussi à la calmer.
Résultat: ce matin, un cours d'une heure trente non seulement bien déroulé, mais aussi intéressant et profond. Nos remarques, notre enseignement, n'ont pas été successifs et sans lien entre eux, mais concomitants et imbriqués l'un dans l'autre. J'aime quand cela se passe comme çà, surtout si c'est une divine surprise.
De plus, je suis toujours époustouflé par les remarques de certains élèves (de onze ans) devant une oeuvre d'art. Ce matin, une bonne demi-heure a été consacrée à l'analyse d'un tableau d'Edward Hopper, Chambre à New York (1932). L'un d'entre eux m'a fait découvrir un détail que je n'avais pas remarqué, dans la composition de la scène: les couleurs employées pour chacun des personnages et pour l'objet proche de lui sont exactement symétriques mais inversées: robe rouge pour la femme devant un piano noir, veston noir pour l'homme assis dans un fauteuil rouge. Beau sens de l'observation pour un enfant de cet âge!
Finir en disant que j'apprécie beaucoup l'oeuvre d'Edward Hopper.

Chameau !

Les chameaux sont réputés pour avoir un très sale caractère. Ainsi, parfois, ils refusent de se lever et de marcher, en particulier quand ils s'estiment trop chargés.
Que font les chameliers pour parvenir à finalement leur faire transporter la charge initialement prévue? Ils en rajoutent quelques dizaines de kilos. Le chameau, bien sûr, ne bouge pas. Alors le chamelier fait semblant de céder et retire les kilos non prévus au départ. Le chameau, tout heureux, se lève alors et se met en route.
Le gouvernement est en train, dans les grèves actuelles, de se comporter exactement comme le chamelier. Le pire, c'est que les syndicats sont aussi cons que les chameaux!

Père et paire

Hier soir, avec K., nous sommes allés au théâtre. Elle m'offrait la place de son mari, indisponible. Je ne savais plus très bien ni où cela avait lieu ni de quoi il s'agissait. En fait, c'était tout près de chez moi et on donnait une pièce intitulée "Pierre et fils", interprétée par Pierre Richard et Pierre Palmade, ce dernier en étant également l'auteur.
Début un peu ennuyeux. Je craignais le pire. Nous allions assister à un grand numéro de Palmade, hélas en amuseur public et pas en comédien.
Et puis, l'un des deux thèmes centraux apparut: un fils retrouve son père qu'il ne connaît pas. Tiens, écho! Je lis en ce moment le roman volumineux (plus de 1000 pages) de John Irving, Je te retrouverai (Until I find you), et, ici même, ai parlé de P1 et de P2 il n'y a pas longtemps.
Puis la pièce devient plus grave quand la relation s'installe entre les deux inconnus père et fils. Et le fils, directeur de supermarché, jeune cadre aux dents longues, marié à une charmante épouse, Anna, annonce à son père qu'il a un amant, un des cadres de son entreprise. Deuxième écho.
J'ai beaucoup aimé la façon dont est traitée dans le texte de la pièce, cette relation tricéphale, à la fois avec gravité et une certaine légèreté, sans jamais tomber dans le boulevard ou le vulgaire. D'ailleurs, à ma connaissance, c'est la première fois que ce sujet est traité ainsi: la bisexualité n'est en rien prétexte à rires gras, la relation homosexuelle (entre Pierre et son amant) est prise tout autant au sérieux que la relation hétérosexuelle (entre Pierre et sa femme) et la fin ne voit pas le mari, tout contrit, revenir dans "le droit chemin". Pierre aime sa femme, il aime aussi son amant, qui l'aime en retour. Anna aime son mari et apprécie l'amant qui contribue comme elle au bonheur de celui qu'elle aime.
Pierre Richard, en papa manipulant les autres pour leur montrer le bonheur qu'ils ont devant eux, pour leur faire vivre malgré eux ce bonheur, est assez prodigieux. Est-ce pure utopie? J'avais les larmes aux yeux en sortant.

lundi 19 novembre 2007

En phase

En rentrant de réunion, tout à l'heure, j'ai trouvé un message de F-J., un ancien collègue perdu longtemps de vue puis retrouvé par hasard il y a environ deux ans. Deux ans où nous nous sommes rencontrés à peu près deux fois.
Je l'ai rappelé et nous avons longuement discuté au téléphone, en particulier d'internet et du sport (il s'est remis au vélo). Bien que profondément différent, je me sens assez souvent en phase avec lui. Hétérosexuel définitivement convaincu et pratiquant, il n'a pas peur de parler ouvertement de ses désirs, de ses fantasmes avec moi, homo tout aussi définitivement convaincu et pratiquant.
Ça fait du bien de pouvoir échanger en profondeur sans l'ombre d'un malentendu, sans le début d'un soupçon de quiproquo. Nous mangerons ensemble à la fin du mois. Je ne me fais aucun souci: les sujets de discussion avec lui ne manquent pas.

Ginkgo Biloba

Dans le parc du collège, le ginkgo a perdu toutes ses feuilles en quelques jours. Il était magnifique, flamboyant, la semaine dernière, nous l'avions photographié avec J. lors de la visite des lieux, et ce matin, il ne restait que ces petits fruits qui bientôt tomberont et répandront leur abominable odeur de vomis sur le sol. Il faudra faire attention où l'on met les pieds. Marcher dessus signifie emporter avec soi le remugle dans sa voiture ou chez soi.
Il paraît que ces arbres peuvent vivre très vieux et sont considérés, en Extrême-Orient, comme sacrés. Celui-ci, femelle, se trouve juste en face de la fenêtre de la pièce où ronronne la machine à café et où je me tiens généralement pour travailler. C'est également lui que je regarde lorsque mon téléphone portable sonne, puisque la liaison n'est à peu près correcte qu'à cet endroit (proximité d'hôpital oblige.)
Ce matin, un grand vent arrachait les dernières feuilles et faisait sauvagement tournoyer tout çà. L'hiver est là et je n'aime pas l'hiver, je n'aime pas les fêtes de fin d'année, je n'aime pas Noël.
L'autre jour, J. me disait qu'il fallait que je retrouve l'enchantement de Noël: il va y avoir du boulot!

dimanche 18 novembre 2007

Abécédaire (Z)

Zoom: du jeudi 4 octobre au dimanche 18 novembre.
Un mois et demi d'écriture quasi continue, des heures à pianoter sur le clavier, des nuits de sommeil plus courtes, des pages noircies, l'alphabet parcouru, des riens remplis de rien et de beaucoup.
Le zoom précise les choses.
D'abord hymne aux mots, les beaux, les originaux, les méconnus, les disparus, ceux qui sonnent bien, les tordus, les intellos, ceux qu'on dépoussière pour un instant, qu'on installe sur le présentoir, qu'on éblouit d'un flash avant de les laisser retomber dans l'ombre (mais on les a caressés un instant, l'oubli en sera adouci).
Puis, derrière les mots, les souvenirs associés aux mots, d'une saison à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'une enfance à l'autre (enfance, oui, plus que tout autre saison de la vie.), d'un jardin à un bois, d'une sieste à une frayeur, d'un bonheur à une question, d'un rêve à une connaissance.
Puis les gens associés à ces souvenirs, certains encore présents, la plupart (sans que ce soit un choix volontaire) disparus, tous que l'on aime, que l'on a aimés (parfois follement), ces êtres qui nous font et parfois nous défont, ces êtres qui font la vie, qui font que la vie est à la fois Tendresse et Ténèbres, des allées automnales aux portes d'un garage, des couloirs d'hôpitaux aux bancs d'une salle de classe, des silhouettes fugitives aux passagers clandestins, des "Qui ne seront jamais plus" aux "En devenir".
L'histoire n'est pas finie. Elle n'a pas été telle que je l'imaginais début octobre en commençant Potomac: mes doigts ont pris des chemins de traverse, suivant mes pensées dans leur école buissonnière, s'arrêtant (pourquoi?) ici plutôt que là, insistant sur une anecdote, oubliant des composants importants, avec pour seule constante, seul garde-fou, l'ordre alphabétique.
Que sera la suite? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que suite il y aura. J'ai éprouvé trop de plaisir durant ces heures face à l'écran, jamais je n'ai ressenti la gêne, l'appréhension d'être impudique: je ne me livre pas, je me dis à moi-même ce que je voulais me dire depuis longtemps, sans fard, sans hypocrisie mais avec parfois quelques zones d'ombres, quelques arpents du jardin volontairement gardés sauvages.
Il se peut que ma mémoire ait transformé, déformé certains souvenirs, mais c'est ainsi que je m'en souviens aujourd'hui. Il se peut que je me sois montré injuste avec certaines connaissances, mais ce que j'ai dit correspond à ce que je pensais alors.
Si l'on a perçu dans ce que j'ai écrit l'amour que je porte aux êtres et à la vie, je n'ai pas perdu mon temps.
Et, comme disait Lucien Jeunesse au Jeu des Mille francs: "A demain, si vous le voulez bien!"

Riens (32)

Pince-Moi et Pince-Toi s'entendent bien. ( Oui, d'habitude, c'est Pince-Me et Pince-Moi, mais Pince-Me n'est plus là, il a déménagé.)
Ce soir, ils doivent ensemble fêter au restaurant l'anniversaire de Pince-Moi, mais Pince-Toi est libre plus tôt que Pince-Moi. Alors ce dernier lui propose gentiment de lui laisser un trousseau de son appartement: Pince-Toi pourra ainsi attendre au chaud après son travail. Pince-Toi hésite puis finalement accepte. Il est de toutes façons libre de ne pas se servir de ces clés.
Le soir venu, Pince-Moi rentre chez lui et trouve Pince-Toi sagement installé devant sa télévision. Ça lui fait bizarre, à Pince-Moi, de trouver quelqu'un en entrant, bizarre mais en même temps il en éprouve une grande joie. Bien sûr, il n'en dit rien à Pince-Toi mais comme celui-ci n'est pas idiot, il a bien dû s'en rendre compte.
Nous ne nous étendrons pas sur la soirée; qu'il vous suffise de savoir qu'elle fut tendre et pleine de complicité partagée. Quand Pince-Toi rentre chez lui, il emporte les clés.
- Tiens, se dit Pince-Moi, surpris, mais après tout, pourquoi pas? Cela peut simplifier la vie, pour d'autres fois, d'autant plus que l'hiver devient rude et que Pince-Toi est très, très frileux.
Le lendemain, nos deux compères se retrouvent une petite demi-heure dans un grand parc qu'ils aiment tous deux. Entre temps, Pince-Moi a réfléchi: que va penser Pince-Toi du fait qu'il ne lui ait pas redemandé ses clés en fin de soirée? Que va-t-il en déduire? Ne va-t-il pas croire que Pince-Moi lui force un peu la main?
Alors Pince-Moi parle des clés, et Pince-Toi les lui rend, disant qu'elles sont bien lourdes, un tel trousseau pour une si petite banane! Pince-Moi est rassuré: il a horreur de passer pour quelqu'un qui s'impose, autant qu'il a horreur que l'on s'impose à lui.
Pourtant, pourtant, il y a le côté pratique, et puis Pince-Moi aurait bien aimé re-sentir "quelquefois" (je ne dis pas "souvent") le délicat pincement de joie qu'il a éprouvé à ouvrir une porte qui l'était déjà et à trouver "son" fauteuil de salon occupé.
Alors, si Pince-Toi prend froid à attendre parfois, Pince-Moi le serrera très fort dans ses bras et le réchauffera de mille baisers-papillons.
Mais tout ceci doit rester entre Toi et Moi.

vendredi 16 novembre 2007

Abécédaire (Y, enfin)

Yvon (épilogue)
Et puis sont venus les trente ans de D., un des habitants de la communauté, qui s'y était installé à peu près au moment où Pierre et moi l'avons quittée pour prendre un appartement à nous. C'était en décembre, peu de temps avant Noël. D. nous avait invité , Pierre, Yvon et moi.
Yvon, je l'avais retrouvé depuis quelques jours seulement, suite à une xième brouille. Ou plutôt non: c'était plus grave que cela: nous étions trop proches, nous nous connaissions trop bien et ainsi, chaque fois que j'essayais de l'aider à sortir de son mal-être, de ses tentatives de suicide à répétition, il me voyait venir avec mes grands sabots et me riait au nez. Nous ne pouvions plus échanger que nos douleurs muettes. Il se réfugia chez une de ses collègues de travail, beaucoup plus âgée que nous, qui lui servit de mère un temps. Merci à elle pour les moments de bonheur qu'elle lui apporta à la fin de sa vie.
Le jour de l'anniversaire, elle me dit au téléphone: "Je vous le confie, prenez-en bien soin." Je croyais en une banale formule de tendresse alors qu'elle me prévenait à demi-mot (il était présent) de sa fragilité psychologique: il venait encore une fois d'essayer de se tuer. Je ne le compris pas. Yvon arriva chez moi, nous plaisantâmes, nous essayâmes des déguisements: il fallait absolument arriver costumés. Rien n'était à notre goût. Nous finîmes par opter pour un foulard autour du cou, estimant que la composition, le numéro que nous envisagions de leur faire au cours de la fête vaudrait les meilleurs masques.
En fin de soirée, je ne vis plus Yvon. M. me dit qu'il était rentré chez lui. Étonnant: il devait coucher chez moi. Mais je connaissais les bizarreries d'Yvon: il voulait sans doute écrire (l'absorption d'alcool nous aidait à l'époque) ou draguer un mec pour finir la nuit. Il avait laissé comme message qu'il me rejoindrait pour le déjeuner du lendemain, vers 13 h.
Le lendemain, 13h: personne. Normal: il dort encore. 14h: personne. Bon, d'accord, il n'a jamais été à l'heure de sa vie. 15h: je commence à m'inquiéter. Comment le joindre? Il n'a pas le téléphone.
Un peu plus tard, nous décidons, Pierre et moi, d'aller voir ce qui se passe. Sa porte de garage est fermée de l'intérieur: je m'en rends compte immédiatement. Il est donc à l'intérieur. Nous l'appelons: pas de réponse. Et puis je me souviens qu'il m'avait parlé d'un mec rencontré à Paris, je crois, et qui, éventuellement, pouvait le rejoindre pendant ces vacances de Noël: ils sont donc en train de baiser et n'ont rien à faire de nous.
Nous rentrons. Pour revenir un peu plus tard, vraiment inquiets. Nous forçons la porte du garage (par lapsus, j'avais tapé la porte du courage). Yvon est là, au bas de son escalier, pendu, mort. Je ne crie même pas. Fin de tout.
Je viens d'écrire tout cela très vite. Je ne me relirai pas. Tant pis pour le style. Il fallait que ça sorte, il fallait que je m'en débarrasse, que ce souvenir aussi soit classé, et que je passe définitivement à autre chose. C'est ce que je souhaite.

Riens (31)

Je commence à comprendre mon mode de fonctionnement par le passé: lorsque la vie, c'est-à-dire ce qui ne dépend pas de moi, me faisait violence, je me provoquais à moi-même une violence parallèle pour rester libre.
Ainsi, pendant la longue agonie de Pierre, je me suis mis à courir sans cesse, outrepassant largement mes forces, parcourant jusqu'à vingt kilomètres, alors que je n'étais pas entraîné à cela. J'avais l'impression de provoquer une katarsis, une purification, et en même temps de conserver ma liberté. J'y ai récolté une douleur épouvantable au genou et tout un été à boiter lamentablement.
Si je souffrais, c'est moi qui avais voulu et provoqué cette souffrance. Sur le plan sexuel, les choses se sont passées à ce moment-là de la même façon. La souffrance que je m'infligeais volontairement m'aidait à supporter l'autre, sur laquelle je n'avais pas de prise. Étrange mode de fonctionnement, mais qui a bien opéré.
Aujourd'hui, je ne recherche pas la souffrance parallèle, mais l'équilibre, la stabilité relative qui me permettra de faire face. L'état de santé de ma mère s'est aggravé cette semaine: je suis allé plus souvent au Parc, mais pour courir à mon rythme, pour me vider la tête, pour me, oui, chose incroyable, faire plaisir.

lundi 12 novembre 2007

Abécédaire (Y,re)

Yvon (Chapitre 4: l'âge d'être grand)
A l'Ecole Normale d'Instituteurs (où je ne l'ai pas accompagné), Yvon fit la connaissance de garçons un peu "jetés", partisans d'expériences encore plus radicales.
A défaut de jouer avec les drogues (ce n'était pas encore la mode à l'époque), on jouait avec sa vie. Ainsi le suicide était vécu comme un jeu auquel il fallait absolument participer un jour ou l'autre. Yvon devint un maître à ce jeu-là. Il fit plusieurs tentatives avant de quitter St Etienne pour me rejoindre à Lyon.
Il me parlait avec fierté de ce flirt avec la mort. Je n'ai jamais compris ni partagé cette attirance. Encore aujourd'hui, même au milieu des ennuis, je préfère voir le positif, ou vouloir le positif, même à grands coups de pied à son propre derrière.
La vie nocturne lyonnaise nous offrait évidemment de très nombreuses occasions de satisfaire nos désirs glandulaires ou amoureux. Nous confondions d'ailleurs souvent les deux, prenant le premier beau cul qui passait et savait se mettre en valeur pour l'amour de notre vie.
Yvon me présentait fidèlement toutes ses conquêtes. J'enviais son aisance en boîte de nuit, moi qui me trouvais si gauche dans les soirées (J'ai su plus tard, après sa mort, qu'il avait la même sensation vis à vis de moi: je lui paraissais beaucoup plus "désirable" que lui).
Si le mec qu'il me présentait ne me plaisait pas, c'était, pour lui, que j'étais jaloux de sa conquête; si au contraire, il me semblait sympathique, c'était pire: j'allais le lui prendre, attention (ce qui arriva effectivement au moins une fois) !
A de rares occasions, nous poussâmes l'audace (défiant le tabou) jusqu'à baiser à trois, ou à quatre. Mais jamais, dans ces parties-là, nous ne nous touchions, jamais nous ne nous embrassions.
Bien sûr, nous écrivions tous les deux. Yvon, chez lui, préparait des petits pois au roux et nous passions la soirée à les manger ( pas grand chose d'autre: nous n'avions pas d'argent.) en nous lisant nos textes avec Barbara en musique de fond.
Nos brouilles étaient peu fréquentes, nous nous voulions blasés et revenus de tout.
A l'automne 72, peu avant mes vingt ans, je rencontrai Pierre ( un vendredi 13, dans la nuit précédant son anniversaire). Trois jours plus tard, je le rejoignais en Bourgogne où il travaillait. Je n'avais prévenu personne de mon départ.
Mon absence dura une semaine. Mes amies de fac m'imaginaient déjà mort. C'est vrai que j'avais beaucoup parlé, moi aussi, de suicide l'année universitaire précédente, après le décès accidentel de ma petite soeur. Yvon, lui, était moins inquiet, mais tout de même. Lorsque je réintégrai un soir la cité universitaire, il m'y attendait dans le couloir. Les premiers mots que je lui dis furent: "Je suis amoureux."et il me répondit, me connaissant bien: "Ça ne va pas durer!" Ça a duré 33 ans, jusqu'à la mort de Pierre.
D'abord, Yvon essaya de m'éloigner de lui: qu'est-ce que je lui trouvais? Ce n'était pas du tout mon style de mec habituel (ça, c'était vrai.), je n'allais pas me laisser ficeler, liberté, liberté chérie. Allez, viens, on va écumer la nuit.
Puis il se lia d'une réelle amitié réciproque avec Pierre. Bientôt il fut presque tous les soirs dans l'immense appartement que nous occupions, des amis de Pierre et moi, en communauté dans un quartier chic de Lyon (Pierre, lui, était encore pour un an encore en Bourgogne).
Mais ces changements n'avaient pas pour autant mis un terme à l'ambiguïté des rapports entre Yvon et moi. Je me souviens qu'à cette époque, il ne pouvait paradoxalement accepter que j'aie un sexe et que je m'en serve "réellement". Peut-être cela le protégeait-il d'une vision trop crue de mes rapports avec Pierre. Je vivais très mal cette situation.
Alors, un soir, dans ma chambre, alors qu'Yvon était à mon bureau en train d'écrire, sans rien lui dire, je me suis entièrement déshabillé, je me suis installé sur le canapé et je me suis mis à me masturber en l'incitant à me regarder. Je voulais lui faire comprendre que tout cela avait une réalité, une consistance, et que lorsque je me masturbais, c'était bien du sperme, chaud et blanc qui giclait à mes pieds.
Yvon comprit très bien le message: il me dit que ce que j'avais fait était très beau et très pur. C'est bien ainsi que je l'avais voulu.
Alors, nous connûmes pour quelques temps une période de calme relatif: je vivais heureux avec Pierre, et Yvon passait de rencontre en rencontre, tout fier de la liberté qu'il avait réussi à sauver, lui, et essayant sans "débander" le pouvoir de séduction dont il savait parfaitement jouer.
Tout à mon amour pour Pierre, je n'ai pas vu venir le dernier orage.

Riens (30)

L'autre jour, S. m'a demandé l'adresse de ce blog pour le lire. Comme un collégien, j'ai fortement rougi à cette requête.
Pourquoi? C'est absurde: il n'y a aucun sous-entendu entre nous, nous connaissons assez bien nos goûts sexuels respectifs (sans qu'il y ait jamais eu passage à l'acte), et je ne comprends pas ma réaction. Je crois que si je n'écrivais que sur le cul, il n'y aurait aucun problème: je le lui aurais laissé lire sans pudeur. Je suis beaucoup plus à l'aise à poil qu'à moitié habillé.
Je pense que ma gêne vient plus des notations intimes sur mon (mes) père(s). En écrivant ce que j'ai écrit sur eux, je cherchais la vérité, la clarté. Je ne sais pas si j'y suis parvenu, mais le risque, c'est que pour S., ce soit la version définitive. Même chose sur ce que je suis en train d'écrire pour Yvon.
J'ai peur aussi, en laissant lire ce blog à des gens trop proches, de limiter ma liberté d'écriture.
Je crois que je lui donnerais tout de même cette adresse. Mais, au fait, pourquoi me l'a-t-il demandée, lui d'habitude si discret?

dimanche 11 novembre 2007

Abécédaire (Y toujours)

Yvon ( chapitre 3: Adolescence )
Après une longue brouille due au dégoût que nous nous inspirions mutuellement à cause de nos rapports sexuels non assumés, nous nous retrouvâmes encore. Et cette fois-ci, nous en avions, des secrets à nous raconter!
Nous avions fait la même expérience chacun de notre côté: la première relation avec un adulte, lui avec un légionnaire marié à une voisine, moi avec un parisien trentenaire rencontré par hasard en vacances dans le Jura . Loin de nous traumatiser, cette expérience nous avait révélé à nous mêmes. Finie la honte de nos actes puisque d'autres nous ressemblaient, et des adultes en plus. Nous ne pensions qu'à renouveler le plus vite possible cette pratique et bien sûr, à le raconter illico à l'autre.
Du coup, nous devînmes extrêmement complices: c'est à celui qui aurait le plus de rencontres, à celui qui donnerait le plus de détails sur ses agissements, sur ses découvertes. De réprouvés, nous devenions collectionneurs, tout surpris que les autres n'aient pas accès à ce monde de plaisirs extrêmes. De larves, nous en vînmes à nous croire sans doute supérieurs à une grande partie de l'humanité, ou en tout cas appelés à de vastes devenirs. La vie ne serait que sexe, plaisirs et expériences enrichissantes.
Évidemment, cela ne se passa pas tout à fait ainsi. Il s'instaura d'abord entre nous une espèce de concurrence assez malsaine. Pour épater l'autre dans la narration qu'on en ferait, nous étions prêts à accepter n'importe quelle pratique: il fallait tout essayer, tout goûter, jouir absolument. (En cela, nous n'étions pas très différents d'une immense partie de la jeunesse de cette époque, 68 oblige.)
D'où parfois, quelques rencontres à oublier, vite, quelques expériences à ne pas renouveler. Je me souviens particulièrement du jour où j'osai demander de l'argent à l'homme avec qui je venais de coucher: pour m'acheter des livres, j'étais prêt à tomber dans la prostitution. Les quelques pièces de monnaie (seulement!) que l'individu jeta sur la table et la honte que j'éprouvais suite à ma requête m'en éloignèrent, Dieu merci, à tout jamais.
A ce jeu, à ces jeux, nous perdîmes cependant beaucoup de notre naïveté, de notre fraîcheur et, pour Yvon plus sans doute que pour moi, de notre confiance en l'humain.
J'avais fait une rencontre qui compta un peu plus que les autres. Yvon m'avoua au bout de quelques mois qu'il connaissait aussi cet homme et qu'il couchait avec. Tous les deux me l'avaient bien caché pendant tout ce temps. J'en souffris beaucoup, à cause du mensonge et aussi parce que Yvon semblait considérer cette situation comme totalement naturelle et me jugeait très "vieille France" d'en souffrir. Je rompis avec l'homme et nos rapports avec mon camarade prirent à nouveau une orientation franchement hostile.
Pourtant je suis sûr aujourd'hui qu'à travers toutes ces expériences que nous nous racontions sans aucune pudeur, à travers le désir (que j'éprouvais souvent moi aussi) de vouloir sans cesse baiser avec celui avec qui l'autre couchait, c'est notre désir de l'un pour l'autre que nous manifestions: nous nous touchions par personnes interposées, nous faisions l'amour à travers les mots, sans le savoir. Et ainsi le tabou qui s'était installé entre nous n'était pas violé.

Riens (29)

Aujourd'hui, onze novembre: commémoration de l'armistice de la première guerre mondiale. Notre vif-argent de président a encore voulu innover en "rajeunissant" la cérémonie. Bien sûr, il ne reste que deux "poilus" en vie à avoir connu ces massacres, mais au rythme où il veut nous rajeunir, Sarkozy va bientôt faire défiler les troupes du 14 Juillet en couches-culottes (Ça pourrait parfois valoir le coup d'oeil, sur ceux de la Légion Etrangère par exemple!). Il va bien falloir un jour tourner la page!
Journée lourde à supporter pour moi.
Ma soeur est de plus en plus fatiguée nerveusement de s'occuper trop de ma mère et devient agressive avec moi. Je lui ai déjà dit de se reposer, de prendre du temps pour elle, de se trouver une passion (comme la course pour moi) et de ne pas toujours culpabiliser parce qu'elle ne peut pas tout. La mort de Pierre m'a au moins appris cela: on ne peut pas se battre contre l'inéluctable. Ma soeur semble encore croire que c'est possible.
Ma mère assez insupportable aussi, maniaque jusqu'à la bêtise. Mais je la vois baisser de jour en jour en ce moment. A cause de sa maladie (Parkison), elle tombe de plus en plus souvent, devient de plus en plus dépendante et supporte de moins en moins de l'être. Ou alors, à d'autres moments, se comporte comme une petite gamine capricieuse qui veut tout tout de suite et à qui l'on doit obéir au doigt et à l'oeil.
Enfin, mon frère est passé avec sa femme. Je l'avais joint au téléphone plusieurs fois après sa première chimio, mais ne l'avais pas encore vu. Il a perdu 6 kilos et aujourd'hui avait l'air fatigué, avec la mine pâle et les traits tirés.
Et j'assiste au délitement irrémédiable de ce qui fut ma famille, de ce qui le reste encore pour combien de temps? Je suis volontaire et pugnace, mais certains jours, il faut me pardonner, je suis fatigué. Bien que fondamentalement solitaire et sauvage, je les aime!

samedi 10 novembre 2007

Abécédaire (Y, encore)

Yvon (Chapitre 2: Préadolescence)
Les années suivantes ont été beaucoup plus troubles. Fini le vert paradis des amours enfantines. Peu à peu, nous avons découvert ensemble notre corps, assez tôt, vers dix ou onze ans.
Alors nous avons joué avec ce nouvel archet. Le début du concerto était toujours très nerveux, très tendu: Yvon venait chez moi, nous montions rapidement sous un prétexte quelconque dans la petite chambre près du grenier, interdisant à tous de nous suivre, sous prétexte que nous allions travailler nos devoirs. Nous nous mentions à nous mêmes aussi: il fallait que nous nous jouions la comédie du dernier poème à lire (j'écrivais de poèmes à l'époque) ou d'un quelconque prétexte littéraire.
Au bout de quelques minutes pourtant, le poème était oublié, le pantalon baissé et nos activités n'avaient rien de littéraires. Le tempo s'accélérait en allegro vivace. Nous malaxions nos sexes, nous nous essayions à la pénétration (sans jamais y parvenir), mais je n'ai pas le souvenir que nous sucions. Pourquoi?
Après la jouissance, nous en arrivions à la musique minimaliste. Finis les faux prétextes, fini l'après-midi ensemble aussi. Dégoûtés l'un par l'autre, nous remontions nos pantalons, sans nous nettoyer, nous bafouillions sans nous regarder de vagues prétextes pour nous séparer et Yvon s'enfuyait. Ma mère était toujours surprise de le voir partir si vite mais pensait qu'avec mon mauvais caractère, je l'avais sans doute vexé.
La gêne durait quelques jours, deux semaines au plus, et puis le désir remontait, le corps reprenait ses droits et nous recommencions la même comédie, en nous imaginant que personne d'autre au monde ne s'adonnait à ce genre de pratiques, que nous étions des monstres (l'autre, le tentateur, surtout).
Quand nous ne pouvions nous rencontrer dans la chambre, nous profitions du retour de la messe le dimanche pour répandre notre sperme dans les champs bordant le chemin du retour. (Est-ce pour cette raison que j'ai toujours préféré faire l'amour à l'extérieur?)
Il nous fallut encore quelque temps pour découvrir d'autres semblables, d'autres "frères de turpitude", et beaucoup plus de temps bien sûr pour ne plus avoir honte de notre nature et pour l'accepter et la vivre pleinement.
Pourtant c'est sans doute pendant cette période trouble, qui se termina par une longue brouille, que nous avons scellé notre pacte: dans le monde qui nous entourait, nous étions les deux seuls à pouvoir nous comprendre. Que nous serait-il arrivé sans l'autre, l'alter ego si repoussant parce que si désirable dans sa ressemblance avec soi? Et lorsque, des années plus tard, Yvon se suiciderait, n'avais-je pas unilatéralement rompu ce pacte en rencontrant et en aimant Pierre?

Riens (28)

Journée sinistre par le temps: froid, gris et pluvieux. Je suis allé au Parc ce matin pour courir. Encore quelques belles cuisses à l'air, mais peu. Vivement le printemps: je préfère les shorts aux collants, ils sont plus excitants à manipuler et dévoilent plus rapidement leur secret (Le temps est parfois compté !).
Tout mon travail scolaire étant prêt, j'en ai profité pour revoir le classement des papiers de ma mère et calculer approximativement ce qu'elle va toucher (retraite et réversion de mon père): ça n'est pas gros! Mais il y a sans doute plus malheureux.
J'ai parlé avec J. au téléphone de mon premier texte sur Yvon, texte dont je ne suis pas entièrement satisfait. Ses questions m'ont fait réfléchir. Je lui ai expliqué que je ne voulais pas exposer de façon trop impudique mes émotions, mes sentiments, et qu'en rester à l'exposé factuel ne me convenait pas.
Je voudrais qu'à travers les faits, on comprenne les sentiments que je veux exprimer. (Je suis très béhavioriste . Ce n'est pas pour rien qu'un de mes romans préférés est Des Souris et des hommes, de John Steinbeck.) Mais j'ai l'impression de ne pas y parvenir. Le sujet peut-être, me tient trop à coeur.
Je me demande toujours pourquoi j'écris dans ce blog. Je crois qu'après avoir rangé les affaires, trié les papiers de Pierre et de mon père, je suis en train de trier mes souvenirs, de les dépoussiérer, de les ranger à une place qui n'a rien de chronologique mais qui doit tout à l'affectif. Sans doute est-ce une phase nécessaire pour me reconstruire, un temps utile pour "faire mes deuils" (expression que je déteste.) . Et après?
Dernière chose (qui n'a rien à voir) : il y a quelques jours, avant de partir pour les Etats-Unis, Sarkozy s'est rendu en Bretagne pour tenter de calmer les marins pêcheurs. Il a été très mal reçu, mais il doit en avoir l'habitude maintenant. Mais pour qui se prend ce monsieur? Sa façon de parler à l'un d'entre eux, sa façon de le tutoyer vulgairement n'est pas digne d'un président de la République. Jamais ses prédécesseurs (de gauche ou de droite) n'auraient agi ainsi. Si faire jeune, c'est faire vulgaire, alors je suis heureux de vieillir.

vendredi 9 novembre 2007

Abécédaire (Y)

Yvon (Chapitre 1: Enfance.)
Quand nous sommes- nous vus pour la première fois? Aucune idée. Dans les premières années, peut-être les premiers mois de notre vie ( nous avions six mois d'écart, Yvon étant le plus jeune). Où? A coup sûr dans le petit village du F., au lieu-dit Le Château (les vieilles maisons d'ouvriers alignées devant une placette en arc de cercle auraient été construites avec les pierres du château du seigneur local). Nos grand-mères étaient amies, nos mères étaient amies, nous fûmes plus qu'amis: nous fûmes frères.
Un de mes plus anciens souvenirs le met en scène: nous sommes assis sur la placette (à l'époque, aucune voiture, donc personne pour surveiller les jeux des enfants), déjà tous les deux, déjà isolés des autres. Il me demande de ne pas parler trop fort car un vieillard est mort dans une de ces maisons: on ne parle pas fort quand on est près d'un mort. Sans doute ai-je culpabilisé à ce moment-là car je me souviens très bien de la scène, alors que nous devions avoir autour de quatre ou cinq ans.
Pour jouer, nous n'acceptions avec nous que deux personnes: une fille un peu plus âgée et grosse qui avait l'air d'exciter Y., et une adolescente qui, quand ses parents n'étaient pas là , nous emmenait chez elle pour nous préparer des goûters: elle aimait encore jouer à la maman et nous adorions nous faire dorloter. Un jour, alors que nous jouions à nous cacher, je me suis enfermé avec la grosse fille dans les cabinets extérieurs en bois, croyant avoir trouvé la cachette idéale.
Yvon, effectivement, ne nous repéra pas. C'est ma grand-mère qui nous dénicha, allant s'imaginer que nous nous livrions à je ne sais quelle turpitude. Je devais avoir six ou sept ans. Nouvelle culpabilisation, cette fois-ci plus grave car concernant le sexe.
Nous n'étions pas ensemble à l'école: j'étais toujours dans la classe supérieure à la sienne, du fait de mes six mois de plus. Aucun souvenir lié à l'enseignement donc . Nous nous retrouvions dans la cour de récréation, la plupart du temps à jouer avec les filles à la Clef de Saint Georges, à l'Epervier ou aux Anglais, beaucoup plus rarement aux billes avec les garçons. Nous en avions pourtant pris un sous notre protection, sans qu'il en ait, me semble-t-il aujourd'hui, réellement besoin, mais pour le plaisir de le toucher, en particulier le fin duvet qu'il avait sur la nuque, les joues et les bras. J'avais toujours envie de le serrer contre moi et de l'embrasser. Nous avions, Yvon et moi, environ huit ans ( ce garçon un de moins). Etait-ce déjà les prémices de notre orientation sexuelle future? Sans doute.
Le Sou des Ecoles organisait un voyage annuel, dans les petites classes une journée à Lyon pour voir la "Place des Pigeons" (des Terreaux) et le Parc de la Tête d'Or (déjà, oui!), dans les grandes deux ou trois jours pour une destination plus lointaine: Paris, les Châteaux de la Loire ou la Côte d'Azur. Chaque fois nous nous donnions rendez-vous sur la Place Marquise (il faut la voir, dans ce tout petit village, pour saisir tout le comique de cette appellation!), et chaque fois je devais aller tirer Yvon du fond de son lit, au risque de manquer le départ. De toute sa vie, il n'a jamais su être à l'heure.
Un dernier souvenir: à huit ans, je réintégrai ma famille qui, peu avant la mort de ma grand-mère qui m'avait élevé, était venue s'installer dans le même village, un peu plus loin dans la campagne. C'est à cette époque que j'ai fait vraiment la connaissance de mon frère et de ma soeur et que j'ai vu le ventre de ma mère s'arrondir d'une future naissance. Mais mon vrai frère à moi, c'était Yvon qui, lui, habitait toujours au Château. Quand, en hiver, nous sortions de l'école (ou peut-être du catéchisme), il nous fallait regagner nos maisons dans la presque obscurité. Jusqu'à la Place Marquise, il y avait bien un ou deux lampadaires avares d'une maigre lueur orange, mais ensuite, c'était la plongée dans le grand noir. Yvon me raccompagnait jusqu'à l'extrême limite de la lumière. Ensuite, je courais pour franchir le plus vite possible les quelques cinq cents mètres qui me séparait de la maison. Un jour, mon père(P2), pris d'un scrupule ( le temps était-il particulièrement couvert cette nuit-là?), a fait la moitié du chemin pour venir à ma rencontre. Ainsi aurais-je moins peur. Or c'est le contraire qui se produisit. Nous ne reconnûmes ni l'un ni l'autre la silhouette que nous vîmes surgir de l'ombre à l'improviste, et nous détalâmes en hurlant, lui jusqu'à chez lui, moi sur les genoux du vieil épicier encore ouvert sur la place. En reparlant de cette immense peur le lendemain avec Yvon, nous nous aperçûmes que nous avions vu la même chose: un homme inconnu au visage à moitié mangé par une immense barbe blanche. Mon père n'a jamais eu de barbe, encore moins blanche à cette époque. Peu de temps avant sa mort, il me rappelait cet épisode et en riait encore.
Quelques confettis d'une enfance commune qui scella notre amitié. Pourquoi lui? Pourquoi moi? Pourquoi pas!

Riens (27)

Mercredi, très belle fin de vacances avec J. pour fêter mon anniversaire. Un long temps ensemble. Nous n'arrivons jamais au bout de nos conversations. J'aime ces moments partagés, ces moments de partage.
Jeudi, reprise du travail. 6h: le réveil sonne. J'ai mal dormi. Je me traîne toute la matinée. Je peste d'avoir oublié mon appareil photos devant le soleil dans les arbres du parc. J'oublie aussi d'ouvrir mon portable à midi. Je n'ai le message de J. qu'à 1h, en arrivant chez moi: trop tard pour se voir.
Je m'écroule sur le canapé et m'endors profondément. Réveillé par un coup de fil vantant les mérites d'une agence de placements immobiliers. Je les envoie paître. Je fonce corriger les copies que j'avais oubliées pendant ces vacances.
J. me trotte dans la tête. Je l'appelle: on pourrait se voir après son travail, quelques instants, au Parc de la Tête d'Or. Lui aussi est fatigué. Assis sur un banc, nous parlons de la sexualité des prêtres, entre autres. Puis bisous et chacun reprend son chemin, lui pour chez lui, moi pour rendre visite à ma mère.
Aujourd'hui, un peu moins fatigué. J'emporte mon appareil photos. Il pleut! Les cours viennent mieux quand on a moins sommeil. A midi, le temps s'éclaircit. S. sort fumer une cigarette. I. et moi l'accompagnons. Chants d'oiseaux: c'est mon portable, c'est J. J'allais l'appeler. Il a lu mon petit texte. Je ne voulais pas raconter notre soirée, j'ai laissé aller mes pensées (et mes désirs).
Demain, j'irai sans doute courir et me protégerai les oreilles avec le serre-tête qu'il m'a offert.

jeudi 8 novembre 2007

Le Pont

Tes mains, je les ai vues
Enserrer mon épée, pétrir mes collines,
S'immiscer, s'adoucir,
Se réchauffer de mon corps,
Venir, venir sur moi comme un vent du désert
Me chauffer, trop parfois,
Tes mains sur ma nuque, découvrant le chemin de ton souffle,
Caressant mes joues comme on caresse un livre,
Pressant ton propre glaive quand tes yeux sont fermés,
Activant nos jouissances,
Tes mains rafraîchissantes, douceurs et tyranies,
Tes mains qui parlent, tes mains si belles.

Et puis ta main dans ma main, et nous marchons ensemble.

mardi 6 novembre 2007

Abécédaire (X)

X (naissance sous): je ne peux pas admettre qu'un enfant soit définitivement privé du droit de savoir qui l'a mis au monde. Bien sûr, il faut prendre des précautions, bien sûr les géniteurs ont aussi des droits, mais pas celui de se cacher pour toujours.
Que peut espérer l'adulte qui recherche sa mère quand il se heurte à la connerie administrative, à un fonctionnaire tatillon qui ne voit pas plus loin que sa journée de travail? Se heurter à un mur est terriblement anxiogène et même les plus décidés, les plus tenaces finissent par s'y briser les dents. On laisse des gens "boiteux" (c'est ce que j'ai toujours ressenti de ne pas avoir connu mon père) à vie parce qu'une loi inhumaine qu'il est grand temps de changer l'a décidé! On sait que, quelque part, cette mère existe encore sans doute, qu'on la croise peut-être tous les jours dans la rue sans le savoir, et, par décision d'état, on ne peut pas avancer davantage. Moi, ça me tue!
Xanthippe: la femme de Socrate passe pour une mégère pas apprivoisée du tout. Où est la vérité là dedans? Etait-il réellement de tout repos d'être l'épouse d'un grand philosophe de l'Antiquité, occupé à passer ses journées avec de forts beaux jeunes gens? J'en doute. Même interrogation pour les épouses de Montesquieu ou de Rousseau. Alors, d'accord: hommage aux grands hommes, mais n'oublions pas sans cesse et surtout n'accablons pas toujours leurs petites femmes.

Rien (26)

Hier, soirée avec S. Je l'ai trouvé très maigre, mais paradoxalement calme et détendu: il n'avait pas le débit de parole stressé, pas non plus de diarrhée verbale, ce qui fait que nous avons pu avoir une vraie conversation, c'est-à-dire autre chose que deux monologues juxtaposés. Je suis tout de même effaré de voir les dégâts qu'ont provoqué sur lui le tabac, l'alcool et la dogue. Je lui ai offert le restaurant: je n'ai pas l'impression qu'il y va souvent.
Dire que je le considère quelque part comme un fils (dont j'aurais complètement raté l'éducation) est peu dire: c'est un gosse que nous avons pratiquement élevé, Pierre et moi. Lorsqu'à seize ans, il a rencontré M. qui allait devenir sa femme et la mère de son fils (et dont il est séparé maintenant), c'est chez nous qu'il est venu abriter ses premières nuits (Nous étions tout de même un peu inconscients!). Lorsque plus rien n'allait, c'est encore chez nous qu'il se réfugiait. Comme il était beau pendant son séjour chez les pompiers de Paris: un athlète.
Et puis il y a eu l'accident de voiture (deux morts), les longs jours de coma pour lui, le corps à demi disloqué, l'esprit malade (encore aujourd'hui): il se sentait, comme conducteur, responsable de ces deux décès, alors que le seul responsable n'était ni l'alcool ni la vitesse, mais une simple plaque d'huile.
Il s'est enfoncé pour de longues années dans toute cette merde. Comment l'aider autrement qu'en étant là, sans juger, mais sans trop de complaisance non plus? La rencontre de C., une femme mariée, l'a beaucoup aidé, et j'ai l'impression que, peu à peu, ils sont en train de construire quelque chose de solide, enfin je l'espère.
Mais hier soir, vrai échange, entre deux adultes sur le même plan: plus de fils, plus d'oncle (comme il voulait que je le sois pour lui, ce que j'ai toujours refusé, n'étant pas sûr du tout ( c'est une litote) de ne pas le désirer physiquement). Mais toujours une immense tendresse en partage. Au moment de nous quitter, nous avions l'air de deux cons, trouvant, sans avoir besoin de nous le dire, qu'une bise sur la joue c'est bien banal et qu'un baiser sur les lèvres ce n'est pas ça non plus. Que peut-on inventer d'autre entre deux hommes?
Une notation de plus: au restaurant (excellente cuisine savoyarde des familles dans un petit resto familial où la serveuse à elle seule valait le détour) , la table voisine de la nôtre était occupée par un couple. L'homme que je voyais de dos semblait plus âgé que sa compagne, mais celle-ci m'a littéralement fasciné: très subtilement maquillée, habillée de noir, elle devait avoir à peu près mon âge, quinquagénaire avancée donc, à la silhouette légèrement empâtée et au visage marqué par quelques rides, à la poitrine lourde. Je ne sais pourquoi, le premier nom qui me vient à l'esprit est celui de l'actrice Suzan Sarandon. Plusieurs fois, je me suis surpris à ne plus écouter S., tellement mon attention et mes regards étaient attirés par cette femme. Je crois qu'elle s'en est vite rendu compte et qu'elle n'a pas été insensible à l'hommage muet que je lui rendais. Elle m'a même souri gentiment à un moment donné. A cinquante ans, on peut se permettre d'être naturel et d'accepter sans trop l'analyser ce que la vie vous offre de beau.
Dernière notation: cet après-midi, avec E., nous avons rendu visite à une vieille paysanne de plus de quatre-vingts ans. Son visage, regard et sourire, était frais et vivifiant comme un torrent de montagne. Comme j'aimerais vieillir ainsi!

lundi 5 novembre 2007

Abécédaire (W)

Week-end: J. m'a appris "samanche". Je l'ai adopté. Je n'ai rien contre les mots anglais, mais le dimanche n'est pas la fin de la semaine: c'est le début.
Washington: - C'est une des plus belles villes du monde, avec Paris et Prague. m'a dit un jour un photographe lyonnais. Pour ces deux dernières, je suis d'accord. Pour Washington, je ne connais pas. Peut-être le "commentateur" américain de J. pourrait-il me renseigner?. De toutes façons, je rajoute Rome à la liste, et en tête.
Wilhelmine: non, pas la reine des Pays-Bas. Une jeune hollandaise rencontrée à Utrecht lors d'un voyage d'un mois là-bas.
Je logeais chez deux homos débusqués par Pierre en boîte de nuit dans le midi de la France ( il avait fini au petit matin dans le camp naturiste d'Agde, sûrement pas très à l'aise). L'un était très gentil, genre nounours, l'autre à priori plus beau mais totalement nymphomane (ce mot peut-il s'employer pour les hommes?). J'étais parti le premier (Pierre m' a fait attendre pratiquement un mois pour des problèmes de voiture) et ce mec a failli me dégoûter à tout jamais des rapports sexuels: tous les jours la même assiette, ça finit par écoeurer, surtout si aucun sentiment ne vient se surajouter au cul. En contrepartie, j'ai eu l'occasion de sillonner en long et en large le pays ( extraordinaire trains Intercity!) et de visiter de fabuleux musées.
Will était une fille adorable. Nous avions en commun la langue italienne, mais elle me priait sans cesse de lui parler en français parce que, disait-elle, c'était encore plus beau que l'italien. J'étais très fier, prenant un peu du compliment destiné à la langue pour la douceur de mon propre organe...!
Elle avait un ami, dont j'ai totalement oublié le prénom, avec qui je me suis plusieurs fois envoyé en l'air (et avec grand plaisir pour celui-là), mais c'est elle qui reste dans ma mémoire. Elle nous avait écrit l'année suivante à Lyon depuis Paris où elle séjournait quelques jours: une carte postale où n'apparaissaient que mon prénom et celui de Pierre (aucun de nos deux noms), le nom de la rue (aucun numéro) et le nom de la ville (aucune mention de l'arrondissement). Cette carte postale est arrivée jusqu'à nous! Bravo la poste! Et bisous, Will. On ne sait jamais.
Woolf: une écrivain que je n'ai pas encore réussi à apprivoiser.

Riens (25)

Samedi après-midi, visite de H., un ami de E. Un très bon moment passé ensemble.
Dimanche, dans le brouillard, nous sommes partis près de Voiron pour déjeuner avec Z. et sa femme.
Z. a un peu vieilli (je ne l'ai pas vu depuis près de deux ans) mais reste vraiment un athlète. J'aimerais le voir à poil pour confirmer mes impressions... De toutes façons, un mec qui participe à des courses de 100 kms ne peut pas être rachitique. En l'observant ainsi dans son cadre familial, j'ai du mal à l'imaginer dans les activités et poses horizontales dont E. me fait la confidence.
Sa femme, M., est gentille mais bavarde, un bavardage souvent creux, avec rien ( ou seulement des clichés) derrière les mots. Leur fils a beaucoup grandi, il est maintenant en seconde, et reste toujours aussi discret. A la fin du repas, d'ailleurs, il est parti chez un copain.
J'avais apporté mes affaires de course, espérant une balade à deux( et plus si affinités), mais Z. avait déjà fait 25 kms dans la matinée. Alors il m'a donné de nombreux conseils d'entraînement pour progresser encore et a réglé mon appareil mesurant la fréquence cardiaque. Arrivé à Lyon, je le teste tout de suite (pas Z., hélas, l'appareil).
En rentrant de nuit (il était pourtant à peine 18h!), nous avons évité de justesse un accident: un chantier en milieu de chaussée absolument pas présignalé ni éclairé, dont nous n'avons heureusement que frôler les balises en plastique grâce au coup de volant qu'a donné E. pour les éviter. Une fois la peur passée (j'avais cru voir un homme étendu sur le sol et que nous allions écraser),c'est la colère qui m'a tenu éveillé. Le plus surprenant, c'est la vitesse à laquelle cela arrive.
Le soir, par politesse pour E, je n'ai pas touché l'ordinateur. J'ai l'impression que ça l'agace de me voir devant l'écran. Il est vrai que lorsque j'écris, j'oublie tout ce qui est autour.
Ce matin, lundi, j'ai à peu près terminé les travaux de jardinage chez E. Il héberge malgré lui un lapin sur ses terres. Il m'a demandé de surveiller et de fouiller la haie épaisse pour tenter de le localiser. A la place de cela, j' ai laissé à l'animal quelques bulbes de dahlias à grignoter pour l'hiver. On n'est pas des bêtes!
Pendant le désherbage, J. m'a appelé: il a repris le travail. Nous avons longuement parlé de tout et de rien, comme j'aime bien le faire avec lui. Nous nous verrons mercredi: beau cadeau pour mon anniversaire.
A midi, j'ai préparé une tarte aux pommes pour la venue de L. Content de le voir lui aussi, surtout quand il ne se montre pas trop acide ou fuyant. Aujourd'hui, tout allait bien. Notre petit différend d'il y a deux ans lors du voyage à Assise et Rome semble oublié.
Et ce soir, je serai à Annecy avec S., le neveu de Pierre. qui n'a pas l'air au mieux de sa forme et qui, pourtant, a accepté de me voir, n'a pas inventé un prétexte quelconque pour éviter la rencontre( il a plutôt tendance à se cacher lorsque ça ne va pas.).
Des vacances bien remplies. Ça tombe bien: la nature n'est pas la seule à avoir horreur du vide.

samedi 3 novembre 2007

Abécédaire (V)

Vache: c'est beau, les yeux d'une vache. Chez les grecs de l'Antiquité, un des plus beaux compliments que l'on pouvait faire à une femme, c'était de lui dire qu'elle avait des yeux de vache. Essayez aujourd'hui!
Vergobret: allez vite dans le dictionnaire consulter le sens de ce mot avant qu'il ne disparaisse dans les oubliettes de notre inculture. Je m'étonne d'ailleurs de le voir toujours là. (Je précise, pour ne pas passer pour un prétentieux, que je ne le connaissais pas moi non plus.)
Vestibule: encore un mot, avec corridor, dont les élèves ignorent le sens. A la place, ils emploient hall et couloir. Un jour, un petit 6°, pour me faire plaisir, a levé la main pour me donner la signification de corridor: c'est un monsieur qui fait des corrida. Bien trouvé! Au moins, j'ai ri.
Volterra: cette petite ville étrusque proche de Sienne et de San Gimignano, mais beaucoup moins connue que ses deux voisines, me fascine (pour les mêmes raisons que me fascine aussi Syracuse, en Sicile) : c'est une ville de mystères.
Dans une Toscane ici moins policée, moins cartes postales, plus proche de l'Ombrie par les paysages, au milieu de collines presque pelées, elle se dresse au sommet d'un piton, altière à l'intérieur de ses remparts, fragile au bord de ses falaises qui s'effritent (les balze). Elle est belle et lépreuse, comme la plupart des villes d'Italie. Très ancienne, elle fut d'abord étrusque avant de devenir romaine.
Je l'ai découverte en 1981, pendant l'été que j'ai passé à Peruggia pour suivre volontairement des cours à l'Université pour Etrangers, été qui reste pour moi la période la plus belle de ma vie. Mais je l'avais déjà "pressentie" dans un film de Visconti, Sandra en français, Vague Stelle dell'Orsa en Italien (titre tiré d'un poème de Giacomo Leopardi). Un film mystérieux également dont il ne me reste rien que ce ressenti de mystère et quelques images fugaces en noir et blanc tournées au pied des remparts. Je crois me souvenir que l'actrice principale en est Dominique Sanda et son protagoniste un très bel homme, Julien Sorel je crois (mais je risque de me laisser entraîner par Stendhal!).
A quoi tient cette sensation de mystère? Je n'en sais rien, encore une fois. Décidément, il avait bien raison, ce prof de fac, de me traiter d'impressionniste. Mais être impressionniste comme l'était Visconti, ça ne me dérange pas.

Riens (24)

Le temps passe vite, ici. Lever à 9h: depuis quand cela ne m'est pas arrivé à Lyon?
Je n'ai pas bougé de la nuit: le lit était comme à mon coucher. Premier coup d'oeil à la fenêtre:l'horreur. Une brume épaisse, quasiment du brouillard. Ça ne se lèvera pas de la journée? E., en bon savoyard chauvin, me rassure: ici, il fait toujours beau. Alors!
Je vais courir ou pas? La température, fraîche et surtout humide, ne m'y incite guère. Et puis je me décide: si j'hésite maintenant, qu'est-ce que ce sera dans un mois ou deux, en plein coeur de l'hiver. Fini le short: j'opte pour le collant et en route. Je gagne en voiture l'endroit où j'ai l'habitude (déjà!) de la garer, quelques étirements et me voilà parti.
Bon présage: je croise immédiatement un autre coureur dans l'autre sens. On se salue, comme toujours: j'aime cette politesse et cette réserve des coureurs à pied.
Bientôt les muscles se réchauffent, à l'inverse des doigts, du menton, du nez et des oreilles que le froid commence à pincer sévèrement. Mais comme d'habitude, bientôt, je me mets à planer. Je compte toujours en courant: jusqu'à 8, 10 ou 12 selon ma foulée. Cela m'aide à trouver le rythme, à oublier les efforts fournis (surtout au début) et me berce comme une incantation. Petit à petit, l'esprit se dissocie totalement du corps, les mouvements deviennent mécaniques et les idées vagabondent, entièrement libres. Ensuite encore, c'est le corps qui jubile car le mouvement devient aisé, fluide, beau sans doute. Quel plaisir de ressentir tout cela sur cette route vallonnée, au milieu des prés et des troupeaux de vaches, avec toutes les couleurs de l'automne dans sa gloire (car, entre temps, comme l'avait prévu E., le soleil s'est levé)!
Par un petit chemin défoncé, je gagne une aire d'autoroute où parfois... Rien , personne. J'en suis presque content: aujourd'hui, seul le soleil me caressera.

vendredi 2 novembre 2007

Abécédaire (U)

Urubu: pabo, pabo!
Us: combien de crimes a-t-on commis en leurs noms?
Utérin: j'en suis un, en tant que frère. Étonnant comme je ne me reconnais pas dans ce mot.
Ulysse: comme Thésée ou Jason, un des grands niais de la mythologie grecque. Combien plus intéressantes sont les femmes: Pénélope, Phèdre ou Médée! Ce sont elles qui en avaient deux, "et bene pendentes" (traduction du latin: et bien pendantes).
Uzès: j'y ai fait de nombreux séjours dans la résidence secondaire de mon ami P., parisien genevois, juif polono-autrichien, homme de lettres et traducteur. Sans doute l'être, avec Pierre, dont intellectuellement, je me suis senti le plus proche dans ma vie.
Il avait acheté une toute petite maison (une pièce par étage) coincée entre ses semblables du Castelet: je crois que c'est ainsi que l'on appelait cet alignement de bicoques mitoyennes (sur le tracé des anciens remparts?). Je l'y rejoignais pour une semaine chaque été, avant que ses difficultés à marcher et à monter un escalier ne l'obligent à la vendre.
Et nous avons des nuits plus belles que vos jours. Cette citation de Racine gravée sur la promenade aux platanes, je l'ai lu chaque soir où j'abandonnais P., trop âgé pour les plaisirs que je me proposais de ces nuits, je l'ai vécu quelquefois, accoudé seul sur la balustrade à contempler la campagne gardoise, avec ses lumières clignotantes dans la pénombre brumeuse, ou enlacé, embrassé, bousculé, tourneboulé un peu plus loin au milieu de la garrigue et des oliviers, dans les bras d'un compagnon de passage.
J'ai prévenu P. de la mort de Pierre, en 2005. Il ne pouvait pas se déplacer et ne quittait plus Paris: je lui ai promis alors de monter le voir à de prochaines vacances. Trois mois plus tard, je l'ai appelé: plus d'abonné à ce numéro. Étant parvenu à joindre sa nièce, dont par hasard j'avais conservé le numéro à Genève , j'ai alors appris sa mort: il s'est éteint doucement à l'hôpital, à peine un mois après Pierre. Cette manie qu'ont mes amis de disparaître sans rien dire pendant que je tourne le dos!

Riens (23)

Je suis arrivé chez E. à midi pile , au deuxième coup à l'horloge de l'église.
L'après-midi au jardin: tailler les dahlias, couper les roses trémières, arracher les oeillets d'Inde, nettoyer les géraniums, préparer la terre pour l'hiver. On sent les saisons ici. J'ai fini avec la nuit.
Et ce soir, à 18h30, messe. Qu'est-ce qui m'a pris? Je n'y suis pas allé depuis pour le dernier Noël. Je n'ai pas réfléchi: il fallait que j'y aille. J'en avais d'ailleurs envie depuis longtemps. E. m'a expliqué ensuite qu'il s'agissait d'une "commémoraison pour les fidèles défunts": quelle horreur, ce mot à rallonge!
En fait, c'est une célébration pour les morts de l'année. Est-ce cela qui m'a fait entrer dans l'église, sans redouter comme d'habitude d'avoir en face de moi non pas un prêtre mais un ami, non pas, pour simplifier, du sacré mais du profane?Je ne sais pas.
Ce que je sais, c'est que , pendant toute la messe, je n'avais pas E. en face de moi mais réellement un prêtre. Ce que je sais, c'est que, comme chaque fois que j'assiste à une célébration dans une église, j'ai ressenti la même émotion: j'ai sans cesse les larmes au bord des yeux, il faut que je les contienne pour qu'elles ne se mettent pas à couler sur mes joues (et je n'y parviens pas toujours), mais ce sont des larmes de bien-être. Je n'ai plus rien d'amer dans le coeur ou dans les pensées. En fait, j'ai le coeur et les pensées vides, ou plutôt vacantes, comme en attente de quelque chose que je sens proche.
Je crois que je voudrais très profondément renoué avec la foi solide de mon enfance. Je ne sais plus aujourd'hui si je suis croyant ou non: je n'arrive pas à trouver la réponse en moi. J., avec qui j'en parlais il y a quelques jours, m'a répondu: -Si tu crois à tout ce que dit le Credo, alors tu es croyant. Est-ce si simple? Si c'est ça, la réponse est non. Moi je n'ai qu'une prière: le Notre Père. Il me suffit. Suffit-il pour se dire croyant? Et pourquoi vouloir à tout prix en être sûr? Parce que cela m'apporterait une grande sérénité. Mais pour cela, il faudrait que je me montre plus simple, moins orgueilleux peut-être. Je voudrais tant y arriver un jour!

jeudi 1 novembre 2007

Abécédaire (T, encore)

Toussaint: c'est le jour ou jamais d'en parler.
Beaucoup, en France et ailleurs, confondent la Toussaint, fête de tous les saints le 1er novembre et le Jour des morts, le 2 novembre. Dans ma famille, on n'échappe pas à cette confusion et c'est comme tout le monde que nous fleurissons les tombes pour le 1er novembre.
Plus exactement, nous veillons à ce qu'elles soient déjà fleuries ce jour-là, et, pour éviter la foule, nous nous rendons au(x) cimetière(s) quelques jours auparavant (et quelques jours plus tard pour nettoyer les caveaux). Pour éviter la foule et aussi, comme nous sommes des sauvages de père en fils et de mère en filles, pour ne pas avoir à rencontrer telle ou telle ancienne connaissance dont notre chemin s'est depuis longtemps largement éloigné.
Habituellement, c'était mon père aidé de mon frère qui se chargeait de cette tâche. Moi, je n'ai jamais beaucoup aimé les cimetières, non parce que ce seraient des lieux morbides, mais parce qu'ils sont vides, ne me parlent pas, ou ne me parlaient pas jusqu'à la mort de Pierre.( A ce moment-là, et pendant plus d'un an, il m'est devenu indispensable de m'y rendre plusieurs fois par semaine.)
Cette année, mon père est mort et mon frère a entamé hier une série de chimios pour la récidive de son cancer. J'ai pris le relais, en achetant les chrysanthèmes et en allant dimanche dernier les placer sur les tombes. Et, autre changement par rapport au cérémonial habituel, nous sommes retournés aujourd'hui au cimetière.
J'ai vu tous ces gens qui arrivaient nombreux avec les bras chargés de pots, en groupes de quatre ou cinq la plupart du temps, auxquels s'adjoignait parfois un vieillard qui semblait penser que la fois prochaine, c'est lui qu'on viendrait fleurir, parlant haut, dévisageant ceux qu'ils croisaient ("Tu crois que c'est...., le fils de.... ? Regarde, des lyonnais: ça doit être les.....! Ils sont partis depuis combien de temps? Si c'est lui, comme il ressemble à son père..."), comparant la grosseur des plantes offertes, les comptabilisant sur les caveaux: "ça, c'est celle de Janette, et celle-ci celle de Fernand. Les Dubon ne sont pas encore passés: ils mettent toujours une bruyère...", échangeant des commentaires sur la décoration de la tombe d'à côté, apostrophant une famille amie (ou alliée) aperçue à l'autre bout de l'allée, s'étonnant que le cantonnier n'ait pas mis plus d'arrosoirs (des barils lessive en plastique) à disposition, trouvant que ce n'est pas un temps de Toussaint mais qu'on le payerait plus tard, en décembre, cherchant vainement la tombe de quelqu'un qu'ils ont connu autrefois ("Pour une fois qu'on vient ici, on n'a vraiment pas de chance!"), riant d'un rire sonore, tout contents d'être vivants et finalement en assez bonne santé. J'ai même été surpris, avec le beau temps, de ne pas en voir pique-niquer.
Et dans tout ça, la fête des Saints? la fête des Morts? Rien. On vient là pour se montrer, pour se donner bonne conscience facilement une fois par an, pour se réjouir d'être encore en vie alors que la liste s'allonge sur le marbre des voisins. Je suis injuste, sans doute, mais c'est l'impression que ça donne. Cet après-midi, j'ai vu prier une seule famille, entraînée par la mère, un groupe de gens simples venus eux pour se recueillir et honorer leurs morts.
Dans un mois, au plus tard, il ne restera de cette avalanche de fleurissement que des pots cassés renversés par le vent, des tiges séchées de ne jamais avoir été arrosées, des bouquets en plastique courant le long des allées au gré des bourrasques. Le cimetière aura retrouvé son calme, sali comme la place centrale d'un village après la foire aux bestiaux, mais dans les foyers on préparera déjà la prochaine réjouissance, plus attractive celle-ci: la débauche de Noël et des fêtes de fin d'année!
Humanité, je t'aime.

Riens (22)

Aujourd'hui, je suis très fier de moi: oui, oui! très fier. J'ai préparé un BON repas.
A midi, j'avais invité ma mère et ma soeur. Un peu inquiet, car ma mère a la critique facile pour ce qui concerne le ménage, la cuisine et l'habillement (pour tout le reste aussi d'ailleurs). Et j'ai réussi ce repas, d'où ma très grande fierté.
Au menu:
Ravioles du Dauphiné.
Filet mignon à la crème fraîche et curry, accompagné d'endives braisées
Plateau de fromages
Tarte maison (les dernières prunes ramassées avec mon père.)
Bon, d'accord, ça doit paraître simple à beaucoup, mais pour moi, c'est une première, et, simple ou pas, j'en suis très fier. Na!